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En 2010, nous avions encore le choix...
Publie le samedi 18 décembre 2010 par Open-Publishing2 commentaires
Je suis né en 2010 et j’ai 20 ans. Je dois partir à la guerre et j’ai peur. J’aurais bien voulu éviter cela, mais c’est impossible : la puce qui se trouve dans mon bras ne me le permet pas. “Ils” doivent savoir tout le temps où je suis, pour ma propre sécurité. Pourtant, mes parents m’ont toujours dit que tout était bien mieux avant : on pouvait se déplacer où bon nous semblait, parler à qui l’on souhaitait, choisir ce que l’on voulait faire… oui, cela devait être bien. Mais pour nos ennemis aussi.
D’après ce que je sais, c’est lorsque j’avais six ans que tout a changé. Après une crise économique terrible, les gouvernements de l’Europe (qui n’étaient pas alors une province de l’Empire Atlantique) avaient décidé de faire cesser les révoltes populaires, et arrêté un grand nombre de terroristes, qui d’après ce que j’ai compris émettaient sur internet des appels à la révolte, et se battaient pour faire émerger de nouvelles idéologies. Je ne sais pas comment cela a pu se produire puisque toutes les communications étaient déjà surveillées, mais des groupes de Musulmans, alliés à ces terroristes, ont tout de même réussi à lancer des attentats contre les pays libres, pour semer le chaos et la guerre partout autour d’eux. D’après ce que j’ai appris à l’école, ces “êtres sauvages” (je ne sais pas comment les appeler autrement) n’ont rien d’humain, et n’ont aucun autre but que de nous exterminer, nous les envoyés de Dieu. C’est comme cela qu’on s’appelle entre nous, pour faire la différence. Car c’est vrai qu’ils nous ressemblent beaucoup.
Toujours est-il que c’est après un de ces attentats, plus meurtrier que les autres, que la guerre s’est déclenchée, et que le monde libre a été contraint de recourir à l’Etat d’Urgence. Désormais tous les enfants sont pucés dès la naissance, et le gouvernement, qui reçoit ses ordres du chef de l’Empire Atlantique, doit appliquer les Plans quinquennaux de production pour pouvoir continuer à lutter efficacement contre nos ennemis. Mes parents ont alors été envoyé dans des usines d’armement, et moi-même dans un internat social, où j’ai appris à lire et à écrire. Là-bas j’ai aussi appris à reconnaître mes droits et mes devoirs, c’est à dire l’obéissance et le respect des valeurs humaines : je sais où j’ai le droit de me déplacer, à qui j’ai le droit de parler, et ce que je n’ai pas le droit de dire.
Mes parents, avant d’être pendus pour terrorisme, le savaient eux-aussi pourtant. Vivre libres ce n’était pas lutter contre nos chers gouvernants, mais éliminer les dangereux terroristes qui nous massacrent tous les jours quelques hommes justes et bons. Eux qui croyaient que tout allait s’arranger en les “intégrant”, en les aidant, en les aimant… je ne sais pas ce qui a pu leur passer par la tête : comment imaginer faire comprendre quoi que ce soit à des bêtes sanguinaires ?
Je sais bien ce qu’ils me racontaient quand j’étais petit. Que l’amour de son prochain et la confiance étaient des valeurs bien supérieurs à la haine et à la peur, et d’autres stupidités du même genre…mais on m’a prouvé depuis que tout cela n’était que mensonge et tromperie : l’étranger n’est pas un “prochain”, et il faut en avoir peur pour pouvoir le haïr. Mais c’est que mes parents étaient, d’après ce qu’on m’a dit, conditionnés à réfléchir comme cela, ils ne savaient pas, et ne pouvaient pas comprendre.
Et puis c’est bien à cause d’eux aussi si tout cela s’est déroulé comme ça : restriction d’eau, de carburant, de nourriture, tout cela ne serait pas arrivé si nous n’avions pas permis à tous ces monstres de se nourrir et de se développer ainsi, comme des souris !
La dernière fois que je les ai vu, je leur ai dit tout cela, mais ils ne voulaient rien comprendre : ils me répétaient sans cesse que nous étions tous des frères, et que chacun méritait de vivre dignement, et librement. Qu’il fallait agir pour éviter la guerre et la famine, changer le monde et toutes ces stupidités. Que nos gouvernants ne cherchaient qu’à nous asservir et nous affamer, pour mieux nous contrôler… Mais qu’ont-ils fait eux, alors, pour éviter cela, puisqu’ils en étaient convaincus ?
Rien. Rien du tout. Ils ne faisaient que critiquer, appeler à la révolte, citer tels ou tels auteurs qu’on sait aujourd’hui être des traîtres, et puis surtout se plaindre. Et maintenant, à cause d’eux, eux qui n’ont pas accompli leur devoir quand l’ennemi était encore faible, tant qu’il en était encore temps, je vais devoir partir demain sur le front pour aller me battre avec des bêtes féroces et sauvages, pour sauver le monde libre de leurs volontés maléfiques. Et j’ai peur. Une peur bleue. Et je hais mes parents, car ils n’ont rien fait pour m’éviter cela.
J’ai bien fait de les dénoncer.
Caleb Irri
Messages
1. En 2010, nous avions encore le choix..., 18 décembre 2010, 20:39
En ce temps il était possible
D’aller dans la rue sans son flingue
Car il n’y avait que les dingues
Qui prenaient les passants pour cible
C’était encore peu répandu
Quand on descendait à sa cave
De trouver vingt surhommes très braves
En train d’violer une inconnue
On pouvait circuler en ville
Sans peur, sans fouille systématique
Sans recevoir des coups de trique
De la part d’un vigile viril
Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l’on sentait tout ça venir
Le couvre-feu n’existait pas
Les lumières brillaient dans la nuit
On sortait bien après minuit
Car l’énergie nous manquait pas
Y avait encore des rossignols
Qui chantaient par les nuits d’été
J’avais pas d’masque sur le nez
L’oiseau tombait pas en plein vol
Il existait des grands chemins
Que les bandits fréquentaient guère
Aujourd’hui on croirait la guerre
Les embuscades au petit matin
Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l’on sentait tout ça venir
On avait encore une adresse
Pas de loisirs obligatoires
Pas de télé obligatoire
Et pas de matricule aux fesses
On pouvait prendre pour confesseur
Sa femme, son enfant, sa soeur
Sans être sûr d’ouvrir son coeur
Au ministère de l’Intérieur
Et même se regarder en face
Sans s’demander si c’est un flic
Si c’est soi-même ou un indic
Dont on voit les yeux dans la glace
Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l’on sentait tout ça venir
Il restait les derniers pavés
Il n’y avait que les maisons
Les trains, les cars et les avions
Qui avaient l’air conditionné
On avait encore le droit d’grêve
Et le cerveau en liberté
Machin avait pas inventé
La machine à lire les rêves
Avant qu’le siècle ne s’achève
Nous avons vaincu le cancer
Mais on ne meurt pas moins qu’hier
Les suicides ont pris la relève
Je garde en moi le souvenir
En ce moi de mai 2010
De ces années soixante-dix
Où l’on sentait tout ça venir
Gilles SERVAT a écrit ce texte dans les années 70.
1. En 2010, nous avions encore le choix..., 19 décembre 2010, 01:44
Je garde en moi le souvenir En ce mois de mai 2010 De ces années soixante-dix Où l’on sentait tout ça venir
Et j’ai même l’impression qu’il y a deux mondes : Celui de ceux qui sentent venir et celui de ceux qui ne VEULENT pas le sentir.
Pas que ça me fasse peur. A mon âge on n’a plus peur de rien sinon de "manquer" sa mort comme on n’a pas "réussie" sa vie selon ses désirs.
Mais même ça c’est le lot de la majorité.
Et tout ça bien que j’ai eu selon les critères en vigueur une "bonne vie".
55 ans sur 64 que je "sens" venir... Avant c’était plutôt vague... Ou pas très cohérent.
Depuis ça s’est précisé. J’ai pu même cerner ; mais sans environnement réceptif quoi faire sinon se trouver marginalisé.
Rien d’autre que se mettre "en réserve" en "prévision", au "cas où".
Ajourd’hui aussi il y en a qui "sentent ça venir". Il parlent pas le même langage que moi, mais est-ce réellement important ? L’essentiel est qu’ils "sentent " les mêmes types de choses.
Sauf que : Ca ? Qui vient ? Mais quoi au fait ???
Rendez vous dans quarante ans si on peut encore communiquer...
Mais sans moi, évidemment.
G.L.