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En troisième classe vers l’Amérique

Publie le vendredi 2 décembre 2005 par Open-Publishing

de Ida Sconzo traduit de l’italien par karl&rosa

Un jeune homme de 18 ans, né à Fossato (un centre du Nord de l’Italie qui n’a pas été mieux identifié) voyageait en troisième classe dans le navire La Lorraine. Il était très pauvre et s’appelait Umberto Bossi. Quand le navire accosta au port, tandis que les passagers de première et de seconde classe, après une inspection superficielle, étaient accompagnés au quai, il fut entraîné sur un bateau et débarqué sur un petit îlot. Après une journée entière - et peut-être plus - de queue, exposé à un vent glacial, il fut interrogé, ensuite visité et enfin expédié dans une grande ville. De lui nous savons seulement que le 12 décembre 1909, il débarqua à New York et traversa les salles de triage de Ellis Island. Certes, le jeune Umberto n’aurait jamais imaginé qu’un jour, dans la terre qu’il avait quittée par nécessité, un lointain parent à lui, un homonyme, Umberto Bossi, proposerait de tirer au canon sur les pauvres émigrants.

Umberto, dix-huit ans pleins d’espoirs, était en bonne compagnie. Comme lui, 400 autres "Bossi" avaient décidé de fuir la misère et la faim et de chercher une issue dans un autre pays. Mais la vie est pleine de surprises. Dans la même période, une décision identique avait été prise aussi par 245 membres de la famille Fini, en provenance de l’Emilie. En 1908, un autre jeune homme de 24 ans, Giacomo Berlusconi de Veniano (Côme), débarqua le onze de mai du Duca degli Abruzzi, un navire sur lequel il avait voyagé en troisième classe, après avoir embarqué à Naples. Berlusconi fut contraint à faire la queue, interrogé et visité par les médecins, protégés par des gants et de petits masques devant la bouche, à Ellis Island, Brooklyn, sa dernière résidence connue. En 1921, à 16 ans, la jeune Carolina Berlusconi, née elle aussi à Veniano, le rejoint, voyageant en troisième classe à bord du navire Colombo, parti de Gênes. Il y avait avec eux un monsieur de 32 ans au prénom original de "Giolfi" mais au nom que nous connaissons bien : Calderoli. En 19O7, Enrico et Emilia Maroni étaient partis eux aussi de Varèse mais, au cours des années, les Maroni présents dans le registre de Ellis Island devinrent 197. La famille la plus nombreuse était cependant celle des Castelli, de la zone de Lecco. 1.864 parents firent la traversée de l’Atlantique. Ce sont toujours les meilleurs qui partent. C’est vraiment le cas de le dire.

La famille Giovanardi venait, vingt personnes en tout, venait du côté de Modène, et de la Sicile, justement de Raffadali étaient partis 113 membres de la famille Cuffaro. Qu’auraient-ils dit les Giovanardi si, en lisant dans l’avenir, quelqu’un leur avait racconté qu’un Giovanardi serait devenu Président des Miséricordes qui "soignent" les immigrés dans les Centres de Rétention ? Et qu’auraient dit les Cuffaro, s’ils avaient su qu’un Cuffaro deviendrait devenu Président de la Région Sicile et que son frère, avec son entreprise de cars, transporterait des immigrés fraîchement débarqués, après une traversée massacrante, vers un avion à destination inconnue ? Les Italiens, un peuple de poètes, de saints et de navigateurs, disait-on, un peuple d’étourdis aussi - devrions-nous ajouter aujourd’hui. En ce qui concerne l’ignorance, parfois, pour ne pas faire une piètre figure il suffirait d’étudier un peu d’histoire. Beaucoup pensent, par exemple, que les Italiens émigrés étaient presque tous des Méridionaux, des culs-terreux en somme, pour se servir de leur jargon. Jusqu’en 1880, au contraire, ceux qui partaient vers le Nord représentaient 80% du total et, jusqu’en 1925, les gens du Nord de l’Italie représentaient 50% de l’émigration italienne. En 140 ans presque 30 millions de compatriotes sont partis à l’étranger.
Voyons quelques données : à la fin du 19 ème siècle les régions qui ont donné le plus grand nombre de bras ont été la Vénétie, la Lombardie, la Vénétie julienne, suivies par la Campanie, la Calabre et la Sicile. De 1876 à 1976, 3 millions 300 mille ont émigré de la Vénétie, 2 millions 700 mille de la Campanie, 2 millions 500 mille de la Sicile, 2 millions 300 mille de la Lombardie, 2 millions du Frioul, 1 millions 900 mille de la Calabre. Les destinations étaient : Les Etats-Unis, l’Argentine, le Brésil, la Suisse, l’Allemagne, la France, l’Australie. Combien d’immigrés sont arrivés en Italie ? Nous les appelons clandestins, extracommunautaires, camelots, gitans.

Nous, en France, on nous appelait Babis (crapauds), en Amérique Bat (chauve-souris), en Australie Ding (chiens sauvages) ou Wog (virus), en Allemagne mange-polenta et ailleurs : mafia-men, chianti (ivrognes), Dago (poignardeurs), fabrique cuillères, vagabonds, maccaroni ou spaghetti fresser (dévorateurs de spaghetti). C’étaient nous, les Italiens, analphabètes à 90%, fuyant la misère. Nous aussi, on était des clandestins, des milliers et des milliers de désespérés traversaient à pied les Alpes, beaucoup mourraient et on comptait les orphelins des frontières. Nous lisions des écriteaux collés aux vitrines des magasins suisses avec l’inscription : "entrée interdite aux Italiens et aux chiens", dans les villes industrialisées du Nord de l’Italie, on ne louait pas aux Méridionaux. Et passe encore aujourd’hui la nécessité politique mais pas l’ignorance de l’histoire, l’absence de mémoire, la négation de ses propres racines. D’ailleurs, que faire quand la moitié des morts d’un pays est constituée d’enfants âgés de moins de cinq ans ? Que faire quand presque 250000 de ces enfants n’ont même pas un an ? Il suffit de dire que ces chiffres ne concernent pas un des pays pauvre d’aujourd’hui mais l’Italie d’hier.

http://bellaciao.org/it/article.php3?id_article=11358