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France Télécom : le témoignage d’un syndicaliste

Publie le mercredi 28 octobre 2009 par Open-Publishing
4 commentaires

France Télécom : le témoignage d’un syndicaliste

J’ai lu et entendu beaucoup de choses sur les suicides chez France Télécom. Retraité depuis peu de cette entreprise, j’ai vu et connu la détresse de mes collègues. Dans mon établissement, à Nice, j’ai été délégué du personnel CGT et secrétaire du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT). J’écris donc en connaissance de cause. Tous les jours, comme syndicaliste, j’étais confronté à l’impact désastreux des choix stratégiques et financiers de l’entreprise sur ses salariés.

En 2005, le gouvernement a nommé Mr Lombard à la tête de France Télécom. Il succédait à Thierry Breton, devenu ministre des finances. En 2007, le nouveau PDG était promu commandeur de la légion d’honneur. Il n’y en a que pour les copains ou coquins ! A la tête d’une entreprise qui engrange des millions d’euros à chaque bilan semestriel, Lombard a commencé par se faire voter par le Conseil d’administration de belles augmentations de salaire. On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Par contre, il refusait de discuter des augmentations pour le personnel.

Au vu de ce qui se passe à France Télécom, c’est devant les tribunaux que des dirigeants d’établissements devraient se trouver. Des mesures destinées à améliorer les conditions et la sécurité du travail ont été régulièrement votées, en CHSCT, devant les délégués du personnel. Mais elles avortaient avant même d’être appliquées. Lorsque nous dénoncions ces faits, verbalement ou par écrit, nous ne trouvions aucun écho, ni en interne, ni auprès des pouvoirs publics (direction du travail, ministre de tutelle, gouvernement).

Face à la casse de leur métier et aux restructurations incessantes, beaucoup de salariés ont tenté de se réfugier derrière des arrêts de travail. Certains ont trouvé des solutions précaires en « magouillant » avec les chefs. D’autres, poussés à bout, se sont donné la mort. L’attitude de l’encadrement – encouragé et protégé par la direction – pousse des salariés vers le point de non-retour. Chez France Télécom, cela fait longtemps qu’il y a « non assistance à personne en danger ».

Le mal vient de très loin. Depuis le démembrement des PTT et la privatisation de l’entreprise, le personnel a dû accepter des baisses de son pouvoir d’achat, des suppressions de postes, la mobilité, les vexations et les humiliations. Le salarié était sommé de se taire, car « il y a plus malheureux que lui » – et que, « fonctionnaire », il a la garantie de l’emploi. J’ai souvent entendu : « si tu n’es pas content, tu vas voir ailleurs. Change de métier... ». Cela a rongé et détruit beaucoup de gens.

Les restructurations successives ont dépossédé les hommes et les femmes de leur métier. Récemment, des travaux techniques réalisés par des agents de FT ont été livrés à Dalkia, filiale de Véolia (concurrent de France Télécom). L’objectif de la direction était d’obtenir un investissement corps et âme pour les besoins économiques de l’entreprise. Aux salariés de gérer les contraintes, souvent aux dépens de leur santé – et à l’entreprise d’en tirer les bénéfices. Le management s’apparente très souvent à de la propagande et à de la manipulation.

J’ai connu des cas extrêmes de détresse. Du fait de mes mandats syndicaux, j’ai siégé à Paris sur des dossiers d’accidents de travail ou de maladie. On demandait l’impossible aux agents traumatisés ou accidentés. Ils devaient – entre autres – se chercher eux-mêmes un poste compatible avec leur pathologie. L’entreprise était incapable de reclasser ses propres agents.

Démunis face au stress des agents, les médecins du travail ont systématiquement alerté nos directions. Mais ils ont été ignorés. Leur indépendance est d’ailleurs régulièrement menacée. Dès qu’elles ne sont pas conformes à la doctrine managériale de France Télécom, les actions des médecins du travail sont entravées. Face à cette situation, nombre d’entre eux ont démissionné.

Suite au suicide d’un salarié, le 28 septembre, à Annecy, le médecin du travail de l’établissement a sollicité l’intervention d’un docteur psychiatre spécialisé dans la souffrance au travail. Mais le psychiatre s’est vu refuser l’accès à l’entreprise !

A présent, on met un numéro vert à la disposition du personnel. Un questionnaire anonyme doit être distribué pour recueillir le ressenti du personnel. Soit ! Mais il suffisait à la direction de lire les rapports annuels des médecins, les expertises faites sur des services à partir des années 90, et elle aurait trouvé beaucoup d’éléments qui expliquent la souffrance des salariés de cette entreprise.

Malgré la longue série de suicides, Mme Lagarde, ministre des finances, a officiellement renouvelé sa confiance à Didier Lombard. Il a dû se tailler un contrat béton en cas de « sortie » prématurée de la société. En attendant, les promesses, conférences de presse et visites sur sites continueront, pour faire écran.

A 55 ans, malgré ma bonne santé, j’ai décidé de quitter cette boite avec – du fait de la loi Fillon sur les retraites – une piètre pension, surtout comparée à la retraite dorée qui attend Didier Lombard. Mais pendant 36 ans de travail chez FT, j’ai consacré mon énergie à défendre le salarié contre le patron, l’exploité contre l’exploiteur. Je ne vous salue pas, Monsieur Lombard. Je ne suis pas devenu votre valet. Je suis resté un homme libre.

Modeste Alcaraz (PCF et CGT, à Nice)

Publication : lundi 26 octobre 2009

Messages

  • pour le coup,l’interrogation que je me pose est la suivante.Le patronat criminalise au maximum l’action syndicale,pourquoi ne pas criminaliser l’action patronale ;il y a matière.Ensuite pas de "grandes grèves"a FT,pourquoi ?Sans doute que les salariés ne sont pas "prêt’..........Dixit les confs !momo11

    • "Ensuite pas de "grandes grèves"a FT,pourquoi ?Sans doute que les salariés ne sont pas "prêt’..........Dixit les confs !"

      J’ai malheureusement peur que ce soit un peu vrai. Je m’explique.

      à FT, comme dans d’autres boites, les dirigeants ont réussi à parcelliser le travail et à individualiser les tâches. Le flicage, les primes individualisées, la mise en concurrence des salariés entre eux, n’est pas une vue de l’esprit. Le collègue de boulot n’est pas seulement un collègue, mais surtout un concurrent.

      C’est une des grandes forces du capitalisme d’aujourd’hui.

      Christophe Dejours (psychiatre) décrit ça très bien.

      Je suis militant "de base", il n’est pas facile de mobiliser nos collègues. Quand on fait craquer le "dernier de le classe", quand on demande la solidarité de ses collègues, qu’est-ce qu’on entend ? "C’est pas bien ce qu’on lui dit, ou ce qu’on lui fait, mais s’il mettait un peu plus du sien ...", et parfois même pire "il l’a bien cherché."

      Face aux suicides (il y a eu une tentative dans mon propre service, il y a 3 ans) le discours de boite sur les problèmes familiaux etc. passe auprès de certains collègues. En effet "on ne se suicide par pour ça, il doit bien y avoir autre chose..."

      Et puis j’ai aussi entendu : "Vous, à la CGT, vous cherchez à tout récupérer."

      Si on en est là, ce n’est pas faute d’avoir alerté et cherché et depuis longtemps. Le premier rapport que je connaisse sur le stress au travail à FT date de 1995, suite à une demande des élus CGT au CHSCT du service concerné (CPE de Limoges, pour ceux à qui ça dira quelque chose) Les préconisations de l’époque, pourtant bien éloignées de la situation d’aujourd’hui n’ont pas été suivies, entre autre parce que la majorité du personnel a attendu naïvement que ça se mette en route tout seul ...

      En ce moment, avec la médiatisation, ça commence à bouger, il y a du monde dans les AG. J’y ai proposé de "planter", sans succès, mais avec un début d’écoute, chose récente.

      Voila mon vécu, je dirai quotidien, pas toujours rose. Mais je ne vois pas d’autre choix que de continuer le travail de terrain en souhaitant que le jour où ça paiera arrive vite.

      Romulus.
      (Je ne suis pas le fils de la Louve, mais c’est un surnom que certains reconnaitront)

    • criminaliser l’action patronale ! voilà un bon programme !
      plus sérieusement, je suis salarié d’ERDF, vous savez, la boîte où l’on met 240 camarades en conseil de discipline suite au mouvement de grève du printemps dernier...
      bref...
      je regarde le reportage qui est passé sur france 3 lundi et qu’entend-je ? 2 cadres poursuivent leur patron au pénal pour harcélement moral... affaire introduite en 2004... toujours pas jugée malgré des faits incontestables dixit l’inspecteur du travail...
      et là on en prend une sacrée de tarte dans la gueule ! CS de discipline ou harcélement : effet immédiat sur les salariés et le climat social dans l’entreprise ===> Plus personne n’ose bouger...
      nous, syndicalistes, on se défend avec les moyens qu’on nous laisse... résultat : de longs mois d’attente voir d’années pour être, peut-être, rétablis dans nos droits... en attendant le patron continue la casse de l’entreprise.

      La solution... réintroduire des groupes clandestins afin de faire changer la peur de camp... puisque les moyens légaux ne suffisent pas !

      Malheureusement les salariés ne sont pas encore prêts ... quoique...

  • la riposte qui c.. dans les pompes de bellaciao mais qui ne peut pas s’empecher de venir y publier ses articles, ils sont vraiment bizarres !!!