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Handicap et Campagne électorale - 2° partie = attentes des personnes handicapées

Publie le mardi 6 mars 2007 par Open-Publishing

HANDICAP ET CAMPAGNE ELECTORALE 2007

2° partie :

Insatisfactions et demandes des personnes handicapés dans la double campagne

Il n’y a qu’à suivre les toutes dernières émissions politiques et les débats sur les médias « grand public » ; deux années après le vote de la « Loi Handicap », les Français atteint d’un handicap attendent beaucoup de cette double campagne électorale d’abord présidentielle ensuite législative.

Que demandent ces personnes handicapées en 2007 ?

Questions majeures à quelques jours du premier tour des présidentielles du simple fait qu’elles se comptent entre 3 et 5 millions de personnes, donc de familles. Questions incontournables du fait du vieillissement de la population, donc de sa pyramide des âges dont le sommet s’associe souvent à l’invalidité. Questions cruciales pour les partis et les candidats de 2007 qui seront ensuite confrontés aux législatives.

Exprimer les attentes des personnes handicapées relève d’un véritable challenge. Leurs demandes sont tout aussi spécifiques que leurs typologies propres. Leurs revendications se différencient du tout au tout au travers de chaque personnalité. On en trouvera mille différentes en tapant « handicap » comme mot clé sur n’importe quel moteur de recherche Internet. Tel individu exige une présence constante à ses côtés. Afin de se reposer et de s’occuper davantage des autres membres de la fratrie, tout en prenant du recul, tel parent isolé souhaite pouvoir confier son enfant quelques jours dans un institut spécialisé. Telle famille attend de l’école ou du collège de son quartier qu’elle se décide à appliquer la nouvelle loi et à gérer la scolarisation de leur enfant avec ou sans intégration dans l’établissement proprement-dit. Tel jeune se désespère de suivre la formation professionnelle qu’il désire faute d’un simple problème d’accessibilité technique. Tel jeune adulte attend de la Fonction Publique qu’elle s’applique à elle-même l’obligation d’emploi à hauteur des 6%. Tel autre professionnel demandera des horaires mieux adaptés voire des périodes libres d’arrêt de travail compensées par une forme de ressources différenciée qui lui laisse toutes portes ouvertes pour son avenir. Telle fédération de petits commerçants demande à celle des Maires de France une réelle coopération en matière de transports, de voirie et d’access.

Dans les départements ruraux, on s’impatiente d’ententes intelligentes entre compagnies de transports privées, concessions régionales et régies municipales y compris le week-end ou le soir. Telle association se bat davantage sur la formation des aidants et des auxiliaires de vie, ou vis-à-vis de la recherche scientifique et médicale spécifique, ou de la lutte contre la souffrance, ou sur les moyens de limiter l’isolement ou de rendre plus agréables et plus vivants les foyers de vie, ou sur la formation et l’emploi, sur le maintien des entreprises adaptées (E.A. soient les ateliers et centres de travail) soumis à une féroce concurrence, à la loi du marché et aux taux d’efficiences de leurs travailleurs. D’autres associations militent pour les loisirs et la culture, les échanges internationaux, l’adaptation du logement, toutes les formes d’aides techniques et la recherche de leurs financements, ou encore pour la réflexion et le soutien aux personnes handicapées en milieu rural, et – dans une large mesure – pour les formules les mieux adaptées aux souhaits de nos aînés à chaque étape de leur maturité devenant crépusculaire.

On trouvera donc des milliers de demandes dont les décrets d’application de la loi du 11 février 2005 commencent à couvrir le champ. Obtenus parfois au forceps (600 amendements lors de la seconde lecture du projet en décembre 2004) chacun des articles de cette loi a été âprement négocié par un collectif inter-associatif (« le comité d’entente ») par devers les deux chambres du Parlement et parfois frontalement contre le Gouvernement.

Les associations pouvaient attendre beaucoup plus de cette loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » mais elle a du moins le mérite d’exister et de renouveler son aïeule de 1975. Ses trois grands axes ont pour ambition de « garantir aux personnes handicapées le libre choix de leur projet de vie », de « promouvoir leur participation effective et entière à la vie sociale », et de mettre ces personnes « au centre des dispositifs qui les concernent » selon l’expression de Madame Marie-Anne Montchamp alors Secrétaire d’Etat.

A cet effet, trois volets ont été acquis : l’institution d’une « prestation de compensation intégrale du handicap » d’une part ; l’amélioration (à venir d’ici 2015) de l’accessibilité non seulement technique ou physique mais tout autant socio-culturelle [ selon le voeu d’un « accès à tout pour tous » ] d’autre part ; la mise en place – enfin – des guichets uniques dénommés « maisons départementales des personnes handicapées » (MDPH).

Toutefois la négociation s’est complexifiée avec chacun des décrets d’application dont les tenants et les aboutissants se heurtent encore avec les intérêts de tel Cabinet ministériel, de tel Corps de la Fonction Publique, de telle chambre patronale ou syndicale, de tel regroupement de communes, d’offices HLM, de professionnels en transports de voyageurs et « autocaristes », de groupuscules d’enseignants, d’organisateurs de vacances … dont le lobbying est impressionnant auprès de leurs élus ou de leurs tutelles.

Décrets pour l’essentiel parus au Journal Officiel mais en outre dont les interprétations divergent d’un Ministère à l’autre, d’une Direction à l’autre, d’un Département à l’autre … ce qui porte déjà à croire qu’une structuration Régionale eut été nettement plus cohérente et efficace.

En somme, deux années plus tard, la loi se met à peine en place — de manière divergente, et parfois contradictoire — avec des moyens financiers restreints qui, pour la partie « compensation », reposent essentiellement sur une agence de l’Etat - la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) - dont le budget d’environ 14 milliards d’euros est loin de s’apparenter avec une cinquième branche ( « à risques ») de Sécurité Sociale, gérée par tous les partenaires sociaux, à enveloppe ouverte.

Ces balivernes et cette complexité contre l’Intérêt Général s’en ressentent tout particulièrement au sein des familles et des couples concernés par le handicap grave.

Il faut d’abord reconnaître que certaines personnes handicapées peuvent garder la tête hors de l’eau. Il s’agit d’une part des accidentés de la route ou du travail [ ainsi que des victimes d’un tiers dans le cadre de conflits ou d’attentats et des traumatismes du sport et des loisirs par ex. ] qui – au terme d’une procédure souvent fastidieuse – obtiendront tout de même l’équivalent d’une assurance-vie [ voire d’un solde de leurs crédits ], de la part de leurs assureurs et de leurs mutuelles. Il s’agit d’autre part des salariés et des les travailleurs ayant cotisé au moins dix années qui obtiendront un pourcentage de leur salaire dans le cadre de la Pension d’Invalidité. Toutefois, pour les salariés au SMIC, ce versement qui s’avère très insuffisant car inférieur aux derniers salaires permet à peine de faire face à l’indispensable et à l’urgence. Il s’agit, d’autre part aussi — et tant mieux pour elles — des personnes atteintes d’un handicap mais qui peuvent tout de même travailler à temps complet ou à temps partiel et qui reprennent ou poursuivent une carrière avec ou sans cumuls de droits. Il s’agit enfin des retraités prudents qui ont pu cumuler plusieurs formes d’épargnes, de pensions et de ressources pour eux-mêmes, leur conjoint et leur famille.

Mais — de loin — ceux-ci ne constituent certainement pas la majorité de la population concernée par le handicap grave qui passe son temps et son énergie à ne point sombrer.

A ne pas sombrer dans l’écœurement pour celles et ceux des adultes vivant en établissement et en foyer – durant trente à quarante-cinq ans de leur vie ! – avec moins de 130 euros/mois : un « reste à vivre » qui les oblige à choisir entre s’habiller, fumer, s’abonner à un bouquet satellite TV ou accéder à l’Internet encore bien souvent au bas débit …

A ne pas sombrer dans la colère pour les travailleurs des Entreprises Adaptées (EA) dont les salaires varient entre 65 et 85% du SMIC pour leur majorité.

A ne pas sombrer financièrement car les jeunes, les jeunes adultes et les adultes atteints de maladies graves (trisomies, myopathies, diabètes, scléroses, cécité, mucoviscidoses, rhumatismes, fibromyalgies, péri et polyarthites, maladies mentales ou psychiques, maladies rares, neuro-dégénératives ou des conséquences du travail (charbon, amiante, chimie …) cancers ou sida en phases critiques et enfin traumatismes crâniens …) ne pouvant exercer d’activité salariée : tous quasiment vivent au seuil de pauvreté avec l’Allocation Adultes Handicapés de 621,27 euros auxquels se complètent parfois 99,40 euros de « complément d’AAH » ou 179,31 euros de « complément de ressources ».

Pécuniairement encore, à ne pas sombrer pour les victimes d’accidents et de traumatismes n’ayant pu travailler dix années minimum et qui vivent sous le seuil de pauvreté avec des Pensions d’Invalidité minimales de 255,30 euros complétées de secours (dénommé FSI) d’un montant semblable. 626 euros mensuels pour un cadre de la Fonction Publique, par exemple, accidenté à la 8° année de sa carrière !

Encore, à ne pas sombrer pour les couples dont les revenus de celui qui est valide pénalisent les montants de son conjoint et dont le salaire diminue les taux d’AAH ou de Pension d’Invalidité de l’autre.

A ne pas sombrer dans le désespoir pour cause d’isolement – seul, en couple ou en famille – sans trouver moyens d’apporter de la vie, de la lumière, des sorties, des centres d’intérêt et un univers autre que celui de la dépendance.

A ne pas sombrer lorsqu’un foyer ou une famille – dont un membre et notamment un enfant est handicapé — ne parvient pas à obtenir suffisamment d’assistance (en heures ou en financements indirects) humaines pour soutenir la présence permanente du parent ou de la fratrie à l’aide quotidienne, à l’assistance, à la surveillance, aux conduites et déplacements, aux repas, aux toilettes, aux couchers, aux loisirs etc etc ….

A ne pas sombrer dans le repli sur soi lorsqu’un jeune adulte est contraint de vivre en foyer ou en établissement protégé faute de logements sociaux adaptés et accessibles en nombre suffisant sur sa commune.

A ne point sombrer dans l’assistanat perpétuel lorsque — compte-tenu de statistiques (inter)nationales, de diagnostics médicaux, de ressources ou de garanties – et en dépit des conventions qui se succèdent, l’on n’obtient pas la moindre aide à la création d’entreprise , pas le moindre accord de crédit, pas le moindre accès à l’emprunt.

A ne pas sombrer psychologiquement lorsque le ou les parents d’un enfant gravement handicapé veulent bénéficier d’un temps de répit pour se retrouver eux-mêmes, ressouder leur couple et s’occuper des autres enfants. … mais qu’ils cherchent en vain des auxiliaires de vie à domicile pour une couverture de 24 h/24 ou un établissement spécialisé qui puisse accueillir leur progéniture pendant quelques heures ou quelques jours.

A ne pas sombrer lorsque l’inverse se produit et que les enfants prennent la charge de leurs parents grabataires ou très vieillissants avec les séquelles mentales et physiologiques du grand âge et qu’ils aiment au point de ne pas vouloir les laisser partir en établissement si ce n’est à l’hôpital .

En réalité, on ne trouvera pas une seule des personnes citées ci-dessus qui ne s’en sortirait sans l’aide de sa famille ou de ses proches. Et malheur à qui n’en n’a plus !

Autant d’embûches, autant d’impasses, qui font de la vie de beaucoup de ces personnes et de leur entourage un cauchemar. Ne serait-ce qu’en moyens techniques (domicile, couloirs, portes, salle de bain, chambre, lit, mobiliers et fauteuils, matériels, véhicule, mode de courses et de cuisine, mode d’investissement dans la culture, le culte, la politique et les loisirs, accès à la communication et à l’information ….) le coût de la vie d’une personne handicapée moteur monte très vite au double, au triple parfois, des besoins de son jumeau valide. La « compensation du handicap » acquise par la loi se met à peine en place dans le domaine des aides humaines.

L’un des départements les plus riches de France, le Var en l’occurrence – tout en conservant curieusement ses anciennes structures au Conseil général à Toulon et à Draguignan (donc les postes et les salaires ad-hoc) – vient de mettre en route sa MDPH parmi les dernières de Provence/Rhône-Alpes. Avec - coïncidence ? - une récente inauguration [ où l’on comptait moins de dix personnes handicapées d’invitées ] expédiée en veille de meeting politique majoritaire sur Toulon. Or, sans que l’Ordre ni les syndicats de médecins ne s’en plaignent à ce jour, dans ce "guichet unique" en périphérie d’agglomération — où travaillent soixante salariés ! — rien n’a encore été étudié ni débloqué en matière de ces aides techniques ; aménagement du logement et de la voiture, maintenance ou achat de fauteuil roulant, domotique, orthèses, outils de la communication ..! Rien ! Visites et expertises à domicile. Rien ! Aides animalières… rien non plus.

Sait-on, en outre, que 65 à 70% des personnes atteintes d’un handicap « seulement » moteur placées en établissement et/ou foyer de vie sont jugées "incapables majeurs" et vivent sous statut de tutelle ou de curatelle alors qu’elles ne sont atteintes d’aucun déficit mental, comportemental ni psychique ? Outre le regard porté sur ces "incapables" — et la considération qui va avec — ; outre le jugement que ces personnes peuvent avoir d’elles-mêmes (i.e. refus du droit à être représenté, du droit à élire, du droit à se défendre de soi-même …) ; outre l’abandon familial pressenti là-derrière ; ce ne sont plus 130 euros/mois qui sont cédés à « ces incapables », mais des montants de l’ordre de 80 à 100 euros.

Un tout nouveau texte de loi portant "réforme de la protection juridique des majeurs" vient d’être promulgué. Le nouveau dispositif [ supposé recentrer les tutelles sur les seules personnes atteintes d’une altération mentale en privilégiant la tutelle familiale et en limitant au strict nécessaire la mise sous protection judiciaire ] se mettra en place aux frais des départements une fois de plus ; on attendra pour les décrets …. en attendant, les familles se trouvant de fait déjà absentes ou indisponibles, qui se préoccupe de la dignité de ces exclus ?

Alors ?

Alors les personnes handicapées « capables » et les candidats « plus ou moins incapables » eux-mêmes sinon de promettre de raser gratis alors que les fonds ne sont pas là et que l’avenir économique n’est pas franchement garanti à l’optimisme pur pour l’Europe de demain finiront-ils par se rencontrer et par se comprendre ?

Handicap et campagne électorale : tout en espérant des améliorations, et selon certains un déplacement à l’échelle de la Région, le dialogue ne doit-il pas d’abord se reposer sur le texte ?

La loi existe certes et devrait pouvoir régler beaucoup de ces fondamentaux mais (après ceux des ex-COTOREP et des ex-CDES ) les retards s’accumulent déjà. Bien souvent, les attentes de cet électorat s’expriment essentiellement en terme d’impatience quant à l’application juste des décrets, la répartition « au cas par cas » des moyens que cette loi a mis en œuvre, le soutien individualisé à chacun en le laissant au cœur de son projet de vie. Lorsque l’on se noie, le retard devient vite injustice et l’injustice mortelle.

Quoique partageant son analyse sur la charité, et sans vouloir peiner la grande Simone Weil, nous n’en sommes plus au temps de la seule bienveillance. Le Destin et l’Histoire font qu’en France, nous sommes en pays de droit, où la pitié, les quémandes, les quêtes, les négociations ou encore les mises en demeure et les procédures ne devraient plus être mises en avant. Hélas, par trop, tout ceci demeure ….

La loi existe certes, mais ces électeurs n’en peuvent plus d’une administration bien plus souvent sourde et muette que sociale qui se décharge fallacieusement de ses responsabilités sur les tiers associatifs, sur le bénévolat, la parenté ou le néant.

La loi existe certes, mais cet électorat attend de ses futurs élus qu’ils la découvrent, qu’ils s’en imprègnent, et qu’ils imposent le respect du Service Public et du Bien Commun fusse au détriment de l’administration, des corporations d’intérêts économiques ou financiers, des nouveaux business de la dépendance favorisés mais non contrôlés par certaines lois comme celles de Mr Borloo sans consolider d’éthique, de chartes, ni d’enseignes, i.e. en laissant libre la seule règle du marché avec ses possibles déviances et ses modes d’inhumanité supplémentaires.

Durant deux années, les associations de défense et de représentation des personnes handicapées se sont battues becs et ongles au sein du « comité d’entente » pour obtenir cette loi du 11 février 2005. Deux années plus tard encore, au minimum, leurs usagers et adhérents en demandent-ils dorénavant l’application juste sinon généreuse selon la lettre tout autant que selon l’esprit !

Eux, sauront-ils battre leur fer tant qu’il est chaud ?

Quant à la 5° puissance économique mondiale ; capable de trouver et de prêter des milliards pour des objectifs parfois confus, parfois perdus, parfois (re)vendus ; donneuse de leçons à la terre entière … la France, fière patrie des Droits de l’Homme et du Citoyen, se rendra-t-elle concrètement sensible à la détresse des 3 à 5 millions de citoyens, ainsi qu’à leurs familles, qui n’attendent que la justice et le droit individualisé au cœur de leur existence ?

Restent quelques semaines pour se faire comprendre de leurs candidats 2007 et obtenir des garanties :
comment pourraient-elles s’y prendre ? Quels sont les
atouts des personnes handicapées ? Peuvent-elles constituer
des groupes de pression et de réelles forces de propositions ?
Ont-elles leur place dans le débat et saisiront-elles leur chance ?

Tel sera le sujet de notre 3° et dernier article.