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Il faut sauver l’argument d’antisémitisme

Publie le dimanche 3 août 2008 par Open-Publishing
7 commentaires

Il faut sauver l’argument d’antisémitisme
Par André Gunthert, dimanche 3 août 2008

Ca se précise. Alors qu’après trois semaines de débat, il apparaît de plus en plus difficile de conclure au caractère antisémite de la phrase qui a provoqué le renvoi du dessinateur de Charlie-Hebdo, les anti-Siné, loin de désarmer, creusent le fond de la piscine à la recherche d’arguments toujours plus improbables – sans se rendre compte qu’il confirment par là même l’outrance de l’accusation initiale. Après BHL dérapant sur Badiou, après Joffrin dérapant sur la race juive, après Adler dérapant sur les "pétitionnaires trotskistes", un nouveau venu, Daniel Franco, passe en tête avec un dérapage sur la pédophilie qui restera dans les annales du sophisme.

Reprenons. Au moment où les anti-Siné brandissent comme des talismans les noms de Drumont, Brasillach ou Maurras, il faut relire quelques pages de La France juive pour se rendre à l’évidence : des antisémites de la trempe de ces pamphlétaires ont depuis longtemps disparu de l’hexagone. Cette raréfaction de l’antisémitisme patenté est manifeste dans les libelles des anti-Siné, qui, pour prouver l’ampleur du danger, n’ont guère que le nom de Dieudonné à se mettre sous la dent. Le vieux père Le Pen, il est vrai, n’effraie plus grand monde. Reste que des sorties comme les chambres à gaz, "détail" de l’histoire de la seconde guerre mondiale, appartiennent clairement au registre de l’antisémitisme. Dans ce cas, nul besoin de recourir à des arguties spécieuses ou à des exemples tirés par les cheveux. Le "détail" est antisémite, personne n’en doute – pas même les plus gauchistes des antisionistes...

En comparaison, « Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! », fait incontestablement pâle figure. Les plus ardents à le démontrer ont été les anti-Siné, qui n’ont eu de cesse de charger la barque, par des accusations de mauvais goût, de gâtisme, de stalinisme et autres élégances. Mais Siné a-t-il été viré de Charlie parce qu’il était stalinien, mauvais dessinateur ou trop vieux au goût du directeur ? Pas que l’on sache, c’est pourquoi, après s’être rendu compte que l’accusation ne suffisait pas à convaincre d’être seulement répétée, une deuxième vague a cherché à renforcer l’argumentaire. D’abord apparu en commentaire dans des forums, un extrait d’une interview radiophonique de 1984 semblait donner toutes assurances sur la méchanceté du dessinateur. Jusqu’à ce qu’on en éclaircisse le contexte, qu’on constate que Siné, condamné, s’était excusé, et que cet exemple se dégonfle à son tour. On a vu alors circuler une autre preuve décisive : une gracieuseté de Pierre Desproges, qui décèle chez Siné « un antisémitisme de garçon de bain poujadiste ». Comme tout le monde, j’adore l’humoriste décédé en ...1988. Toutefois, comme Siné n’a pas été licencié sous Mitterrand, mais sous Sarkozy, et à moins de tenir l’antisémitisme pour une identité quasi-ontologique, j’aimerais bien qu’on me démontre son crime autrement qu’en excipant d’archives antérieures à la création même de Charlie, ou en invoquant les témoignages de son voisin, de sa concierge ou de son barman.

Une demande qui n’a aucune chance d’être entendue, compte tenu du nouvel instrument apparu dans les colonnes de Libération. Etant donné la raréfaction des antisémites, puis des dérapages à caractère judéophobe, voire de la mention même du mot "juif", Bernard Franco, a mis au point un capteur d’une sensibilité extraordinaire, capable de détecter l’antisémitisme à très grande profondeur. S’attaquant à Alain Badiou, victime collatérale de l’affaire Siné, Franco déduit d’une phrase du philosophe, qui caractérise notre régime pseudo-démocratique comme une oligarchie, « que s’attaquer à l’oligarchie revient toujours jusqu’à un certain point à s’attaquer aux juifs, bref, que derrière le très reconnu pouvoir des riches opère secrètement un règne des juifs. »
Il est rassurant que tant de désinvolture argumentative éveille le courroux des lecteurs – et d’abord celui des internautes, prompts à se manifester en commentaires. Comme Joffrin avait dû modifier son article, puis le compléter d’une suite embarassée, Franco se voit contraint de corriger l’affirmation la plus manifestement fautive de son libelle, puis de répliquer par un second "Rebond". Las, pour démontrer le bien-fondé de son raisonnement, l’auteur se risque alors à un parallèle des plus douteux, qui revient à dire que, si Badiou n’est pas accusé de pédophilie, c’est donc qu’il est antisémite. Alors que les souvenirs douloureux d’Outreau ou de l’affaire Baudis rôdent encore, choisir de s’appuyer sur l’invraisemblance de l’accusation de pédophilie n’est ni du meilleur goût ni de la plus grande efficacité démonstrative. A ce stade, ce qu’on comprend est qu’il apparaît vital, non de démontrer que Siné ou Badiou sont antisémites, mais bien de sauver coûte que coûte la crédibilité de l’argument d’antisémitisme.

Celle-ci est effectivement menacée. Depuis le début, l’affaire était mal engagée : s’attaquer à un énoncé anti-sarkozyste dans un journal satirique dont la campagne pour la liberté d’expression était encore dans toutes les mémoires n’était pas un contexte idéal pour cette campagne. Face à un accusé teigneux, la multiplication des interventions d’intellectuels "vus à la télé" n’a pas eu les résultats escomptés. Ce qui a été mis en danger est la validité même de l’accusation d’antisémitisme dont, en l’absence de démonstration convaincante, les rouages ont été mis à nu.

L’argument d’antisémitisme n’a que peu à voir avec une judéophobie désormais en grande partie imaginaire. Dans l’affaire Siné, sa mobilisation est apparue pour ce qu’elle est : un outil de disqualification dans les mains des arbitres de la médiasphère. Comme le remarquait ici même un de mes lecteurs, renvoyant à la lecture de l’article de Deleuze sur les nouveaux philosophes, cette confiscation du débat est une donnée déjà ancienne du paysage intellectuel français. C’est cette mainmise qu’est venue secouer, un temps, l’affaire Siné. Soyons réalistes : on ne renversera pas de sitôt le règne des nouveaux philosophes et de leurs descendants. Tout juste leur a-t-on glissé un peu de poil à gratter sous les draps. On voit à leurs soubresauts qu’ils n’y sont guère accoutumés.

Source :
 http://www.arhv.lhivic.org/index.ph...

Messages

  • Tempête dans un verre d’eau !!!
    Il faut sauver l’argument d’antisémitisme ?
    Pourquoi celui-là plus qu’un autre ? fallait-il sauver l’argument d’islamophobie (après les caricatures de Mahomet) ou d’anti cléricalisme ou d’anti boudhisme ?
    Marre des archaïsmes réducteurs, sortis du fond des âges et portés par le communautarisme intégriste religieux pour défendre des intérêts purement politiques !
    L’antisémitisme est le plus présent de tous et le plus envahissant. Il joue sur la culpabilité due au génocide des Juifs par les Nazis.
    Il ne s’honore pas de ne pas avoir tiré les expériences de l’histoire, en particulier en ce qui concerne les persécutions qu’il a dû subir. Sans aller jusqu’à l’extrémisme nazis, il a recréé des ghettos de Palestiniens (n’oublions pas non plus Sabra et Chatila), tué des victimes civiles y compris des enfants.
    D’autres génocides ont ponctué notre histoire récente : les Arméniens, les Indiens d’Amérique, les Tziganes (voir les Roms actuellement chassés de partout, y compris en France pays des Droits de l’Homme !), en ex-Yougoslavie les Bosniaques, les Croates, même les Serbes !, en Afrique les Rwandais et bien d’autres...
    Quand on voit un petit pays comme la Belgique abritant la Communauté Européenne se diviser entre Flamands et Wallons, quand on voit ce qui se passe en Irlande du Nord ou au Pays Basque, ou même en Corse pour rester dans notre pays, on peut désespérer de la nature humaine !!!
    L’humanité n’évoluera favorablement que lorsque qu’on aura laissé de côté ces archaîsmes de clocher qui rendent "l’autre", l’étranger de couleur de peau, de culture, de religion, différents donc forcément suspects, que lorsqu’on aura accepté "l’autre" tel qu’il est et que "l’autre" venant d’ailleurs aura accepté de respecter la culture, l’histoire du pays dans lequel il s’implante.
    Nous vivons en France, pays chrétien mais pays de la Révolution Française instaurant la laïcité et des Droits de l’Homme et du Citoyen.
    Revenons à ces bases simples. Les religions n’ont droit de cité que si elles restent à leur place, qu’elles soient chrétiennes, musulmanes, juives ou autres.
    Et toutes à la même place, aucune ne primant l’autre.

    • Mias il ne faut pas confondre "antisémitisme" (qui est une forme de racisme qui a fait les dégâts que l’on sait) et l’"antijudaîsme" qui ne peut être que le combat idéologique contre une religion et qui, alors, à mon avis, tout comme l’"anticatholicisme" et l’ "antiislamisme" est un combat d’idées n’empêchant nullement le respect des individus croyants.

      En fait cet amalgame est souvent fait par ceux qui appartiennent à ces sectes et y militent dans le but de s’abriter derrière des lois ou des "valeurs" humanistes pour tenter d’empêcher que l’on ne touche à leur prosélytisme, leurs manipulations...etc.

  • Pour en revenir à Dieudonné, je n’accepte pas ses dérapages mais j’essaye de les comprendre. Quand ont connait les pressions (boycott, agressions, censures, diffamation, procès à répétition, etc...) que cet homme a subi, on peut comprendre qu’il ait craqué. Lâché par la gauche, pas étonnant qu’il se soit rapproché de l’extrême droite. C’est d’ailleurs toujours comme ça que ça se termine quand la gauche abandonne les siens. Par contre, la gauche peut se débarrasser de tous ces néoconservateurs (BHL, Joffrin, Val, Askolovitch, Gallo, etc…) qui se revendiquent d’elle. Par rapport à Siné, j’ai l’impression qu’il y a comme un léger « deux poids, deux mesures » dans le traitement médiatique. Je constate que pour Siné, l’ensemble de la gauche s’est levée, malgré ses antécédents, alors que l’humoriste franco-camerounais n’a jamais bénéficié d’un tel soutien. Je me pose plusieurs questions, où étaient les pro-Siné au lendemain du sketch sur le colon israélien ? Où étaient ces mêmes personnes lorsque BHL s’est fendu d’un billet d’humeur s’apparentant plus à une lettre de cachet dans le Point ? Peut-être que si, à l’époque, ces gens avaient eu le courage - qu’ils ont maintenant - de défendre Dieudonné face à cette clique de censeurs, l’humoriste n’aurait pas commis les dérapages qu’on lui connaît. Je constate d’ailleurs aujourd’hui que c’est assez facile pour les défenseurs de Siné de se prémunir de l’accusation d’antisémitisme : il suffit de se cacher derrière Dieudonné. « Je ne suis pas antisémite, d’ailleurs je condamne Dieudonné ». C’est ce qu’on commence à entendre chez les défenseurs de Siné, Siné lui-même n’hésite pas à ostraciser Dieudonné, peut-être pense-il attendrir chez ses détracteurs… il se trompe. Pour les « pontifiants » du politiquement correcte, un humoriste, qu’il soit blanc ou noir, c’est kif-kif. Par contre pour les défenseurs de Siné, la couleur de peau semble être déterminante. Ce que je voulais dire, c’est que ce n’est pas en tapant sur Dieudonné que vous allez donner un verni d’honorabilité à votre soutien à Siné. Dernière question : que feront les défenseurs de Siné quand ce dernier sera, comme l’humoriste franco-camerounais, condamné par la justice pour antisémitisme ??? <>

    • "Pro" Siné, sans être "fan" de Siné, je ne le suis pas davantage de Dieudonné, sans l’avoir été de Coluche qui se révéla être un accompagnateur efficace de réformes rocardiennes adulé par les socialistes (soupe populaire déguisée en restos du "cœur"), en rigolant des "saillies" de Desproges autorisé à la télé, ancien journaliste de l’Aurore, un ancien quotidien de Droite.
      Ras-le-bol des communautarismes outils efficaces pour la propagation de la haine. Ras-le-bol d’un régime où le Président est issu du ministère de la police, comme le vieux Bush, comme Poutine ses amis,grâce à qui il recrute ses plus fidèles laudateurs ou détracteurs repentis sur dossier.
      Avec Sarkozy c’est la boue qui remonte des égouts mal débouchés.
      Avec Sarkozy c’est comme du temps où Mitterrand faisait monter Le PEN en même temps que SOS Racisme.

  • Regarde ici pendant que je frappe la-bas !

    Se pourrait-il que Sine soit la victime collateral des intensions belliqueuses qui se précise entre Israel et L’iran. Il ne s’agit pas de minimiser les enjeux intellectuels liés a l’antisemitisme, mais force est de constater qu’a chaque fois que se developpe des projets infamants aux moyen-orien4t on a la droit a une nouvel affaire qui divise l’intelligentsia francaise. En l’occurence l’affaire Sine arrive pil-poil au moment ou on envisage carrement d’utiliser l’arme atomique, ou de frapper des installations nucleaires (ce qui revient au même).

    AINSI AU LIEU DE SE MOBILISER SUR DES OBJECTIFS CLAIRS TEL QUE LE REFUS DE LA GUERRE, LE REFUS DES PROJETS FOUS QUI ALIMENTERONT LA HAINE PENDANT DES DIZAINES DE MILLIERS D’ANNEES ; ON SE RETROUVE AVEC DES INTELLECTUELS QUI SE DECHIRENT SUR LE SENS DE TEL OU TEL MOT...

    BRAVO L’INTELLIGENCE FRANCAISE. BRAVO LA PRESSE CLAIRVOYANTE..

    ON AURAIS PRESQUE ENVIE QU’ELLE CREVE !

    ET POUR CE QU’IL EN EST DU "SAUVETAGE DE L’ARGUMENT D’ANTISEMITISME" JE PREFERAIS MILLE FOIS QU’ON SONGE A SAUVER L’HUMANITE EN SONGEANT AUX IRANIENS.

  • J’AI LU SUR "Le POINT" CET ARTICLE :

    Publié le 31/07/2008 - Modifié le 01/08/2008 N°1872 Le Point

    Liberté ou délit d’expression ?
    L’éviction du dessinateur Siné de Charlie Hebdo pour une chronique aux relents considérés comme antisémites suscite une vive polémique. On ne se battra pas pour qu’il puisse défendre ses idées.

    http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/liberte-ou-delit-d-expression/989/0/264293