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Quelques âmes dont on s’étonne (encore) de la naïveté vont accréditer ces récentes découvertes de la science (la souffrance sociale a, au niveau du cerveau, le même siège que la souffrance physique) et se conforter dans leur amusante opinion que la science étant finalement supérieure à l’idée qu’on peut se faire de la justice, de l’égalité et de la fraternité, il conviendrait d’être plus magnanime avec « ses pauvres ».
On savait déjà que liberté, égalité, fraternité, relégués pieusement, dans les églises de la tartufferie, avaient été supplantées par la devise moderne frappée au frontispice de la République du cynisme, depuis Hiroshima au moins : €= MC2 ; mais on ignorait qu’à ce point la bêtise la plus sophistiquée réclamerait des années de recherches dûment subventionnées, pour confirmer une désormais « immuable évidence ». « Seigneur, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » est passé, en quelques siècles, du bâillon pour la bouche et pour la main les clous, au surdéveloppement de « l’organisation scientifique et technique de l’humanité ».
Pour certains ces récentes découvertes impliqueront de meilleures résolutions sociales. Ils avaient, doit-on dire, cédés sur le terrain essentiel de la morale politique et humaine. On ne doit rien attendre de gens qui ont attendus la science pour nourrir une dialectique suspecte d’une nouvelle ferveur christique puisée dans la connaissance de l’encéphale et de ses nombreuses terminaisons .
D’autres, cyniquement, préconiseront une surenchère de médications, évidemment pas sociales mais chimiques. Il y a beaucoup d’emplois à cet effet, exercés dans la plus grande naïveté et la plus parfaite fausse innocence, ou quelquefois dans le plus absolu cynisme. D’autres, littéralement, continueront à jouir (sans entraves) d’infliger des douleurs au moins égales aux tortures les plus raffinées. Les bureaucrates staliniens n’ont pas eu besoin de ces récentes découvertes dans l’exercice, très ordinaire, de la torture sociale (cf Jan Zabrana et Victor Serge, notamment). Imités parfaitement par les fières « démocraties », à l’exemple des centaines de procès qu’infligeait annuellement la bourgeoisie à Pier Paolo Pasolini.
Si l’on doit rester attentif à la nouveauté, elle tient, en l’espèce, au besoin éprouvé par la « démocratie » de s’assurer qu’elle inflige bien des souffrances décisives. C’est là tout le sens de ces recherches et c’est pourquoi ont été commandés puis obtenus de tels travaux. Le roi et la multitude de ses laqués y trouveront matière à mieux jouir, car la jouissance est à la source de tout pouvoir, et parce qu’ils s’étonnaient quelquefois, qu’après tant de supplices infligés, tant de désastres propagés, on leur oppose encore quelques résistances et qu’on ait, tout à fait fini, de dénuder le roi. Conscients que leur gloire ne reviendrait pas, et par cela plus méprisants et plus haineux qu’ils l’ont jamais été, qu’ils n’éprouvent pas la plus petit espèce de mélancolie face à la déchéance irréversible de leur éclat, on ne saurait trouver d’aveu psychologique plus édifiant pour caractériser l’emploi criminel de leurs œuvres. Nul doute qu’ils emploieront ces récentes découvertes scientifiques pour s’assurer qu’à l’avenir, la torture sociale sera portée à un tel degré que la douleur, insupportable, annihilera et interdira définitivement toutes oppositions.
On peut suspecter que le rire roboratif qui s’esclaffe au comique de la nudité grotesque du roi et devant la bouffonnerie de ses laqués, sera invariablement écrasé par l’hilarité fasciste qui submerge, depuis la télé et le cinéma jusqu’aux conversations privées, le siècle. Les manipulateurs, avec le cynisme traditionnel de ceux qui savent que les gens sont portés à justifier les affronts dont ils ne se vengent pas, commencent par beaucoup jouir de savoir que ces mêmes gens sont portés à rire des affronts qu’on leur fait, et si la souffrance sociale et la souffrance physique ont le même siège, le rang de spectateur, en toutes choses dans la vie, porte au masochisme le plus poussé. On attend que la science, toujours en retard sur plusieurs décennies d’intuitions barbares dans les pratiques les plus ordinaires de la bureaucratie et de la bourgeoisie, nous éclaire sur ce point.