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Italie : les années de plomb pèsent toujours sur la péninsule

Publie le vendredi 17 septembre 2004 par Open-Publishing

de Alessandro Mantovani

Dans la péninsule, la majeure partie du monde politique réclame le retour des anciens des Brigades rouges pour qu’ils purgent leurs peines.

Rome,

correspondance particulière.

Au printemps 2002, alors que les Nouvelles Brigades rouges venaient d’assassiner Marco Biagi, conseiller du ministre du Travail, le gouvernement italien a arraché un accord avec Paris qui acceptait, pour la première fois, l’éventuelle extradition d’anciens des Brigades rouges. Une liste de quatorze personnes, condamnées en Italie pour des faits de lutte armée, était présentée par le ministre de la Justice, Roberto Castelli (Ligue du Nord), à Dominique Perben. En septembre 2002, ce dernier expliqua que la France allait décider, cas par cas, si l’extradition était possible pour les responsables de crimes de sang commis après 1985.

Paolo Persichetti, ancien militant des BR-UCC (Brigades rouges-Union des communistes combattants), fut livré le 23 août 2002 à la police italienne. Sa situation était la plus inconfortable : son entrée en France était récente, ses délits aussi (1987) et il faisait l’objet d’un décret d’extradition signé en 1994 par Édouard Balladur. De plus, à l’époque, Persichetti était soupçonné d’être impliqué dans l’assassinat de Biagi, hypothèse délirante (et vite abandonnée), mais qui justifiait de fortes pressions italiennes. Deux ans après, c’est au tour de Cesare Battisti d’être arrêté par la police française. Il sera jugé extradable avant de disparaître. Ce qui n’entame en rien la volonté de Castelli, le ministre italien, qui a affirmé que " les procédures d’extradition sont lentes, conditionnées par le système de garanties des États démocratiques, mais la justice fera son cours ". Et d’assurer que Paris va reprendre Battisti et extrader les autres.

En Italie, la droite et la quasi-totalité du centre gauche partagent l’opinion que les militants des groupes armés des années soixante-dix et quatre-vingt doivent rentrer et purger leurs peines. C’est peut-être le seul dossier sur lequel l’Association des magistrats soutient le gouvernement de Silvio Berlusconi. Si un consensus assez large existe, à Rome, pour la grâce à Adriano Sofri - l’ancien leader de Lotta continua et commentateur prestigieux du quotidien la Repubblica, incarcéré sur la base des déclarations d’un repenti qui, en 1998, a décidé de raconter l’assassinat d’un commissaire de police commis en 1972 - ceux qui ont préféré la fuite n’attirent pas de sympathie. Magistrat anti-terrorisme à Turin pendant les années soixante-dix, dirigeant du PCI puis des Démocrates de gauche (DS), président de la Chambre des députés en 1996 et aujourd’hui chef du groupe parlementaire DS, Luciano Violante est le chef de file de la gauche qui n’a jamais renoncé à la chasse aux anciens terroristes : " Castelli a raison, a-t-il déclaré, la "doctrine Mitterrand" est incompatible avec l’Europe. " Battisti et les autres, d’après Violante, ont été jugés selon les principes du droit, y compris dans les procès par contumace.

Contre cette opinion, il n’y a que le parti de la Refondation communiste PRC, une partie des Verts, le quotidien il Manifesto et d’autres héritiers de l’extrême gauche des années soixante-dix. À savoir ceux qui, autrefois, demandaient une " solution politique " pour clôturer les années dites " de plomb ", pendant lesquels les " terroristes " ont tué des centaines de personnes. Mais l’État, lui aussi, est allé bien au-delà de ses principes. Les groupes armés comptaient des milliers de militants et les mouvements ultra-radicaux des dizaines de milliers. Face à un phénomène politique et social avant d’être criminel, l’Italie s’était dotée de lois exceptionnelles (toujours en vigueur) et les condamnations à perpétuité arrivaient souvent sur la seule base de témoignages de repentis, bénéficiant de réductions de peine s’ils donnaient des noms. Les cas de torture et les meurtres de " terroristes " sont bien connus. Une réflexion sérieuse aurait peut-être rendu plus difficile l’apparition des Nouvelles Brigades rouges.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-09-16/2004-09-16-400570