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L’obsession du libre-échange

Publie le vendredi 23 janvier 2004 par Open-Publishing

Un entretien avec Francis Wurtz, député, président du groupe de la Gauche unitaire européenne ( GUE), à l’issue du Forum parlementaire mondial qui s’est tenu à Mumbai, les 18 et 19 janvier, et a réuni 155 participants de 25 pays.

Q : Quels rapports entre le Forum parlementaire et le Forum social mondial ?

R : Ce qui nous réunit dans ce réseau mondial, c’est la volonté d’agir pour redonner toute sa place à la politique, dans le meilleur sens du terme, face aux lois du marché. Nous souhaitons nous mettre au diapason des exigences qui émanent des mouvements sociaux. Voilà pourquoi, à nos yeux, le Forum parlementaire ne peut pas se séparer du Forum social.

Q : Quels ont été vos principaux thèmes de travail ?

R : Ils ont porté sur trois grandes questions : les négociations commerciales et financières internationales, la question de la sécurité internationale et les droits. Concernant la première, nous avons totalement intégré le message des participants au FSM qui jugent de façon extrêmement sévère l’OMC, sur la base d’expériences concrètes et durement vécues. La conception actuelle de l’OMC - une émanation des rapports de force économiques internationaux - a été mise en échec à Cancun. Il faut donc réfléchir à la création d’une nouvelle organisation sous l’égide des Nations unies qui doivent devenir le cadre de référence des négociations. Autre grande préoccupation pour nous, c’est cette prolifération et cette obsession des zones de libre-échange. Nous pensons que c’est le développement qui doit avoir le dernier mot et non le libre-échange, car celui-ci s’inscrit toujours dans un rapport de domination d’une grande puissance sur des pays nettement moins développés. Il a été aussi beaucoup question de la dette. Actuellement, on cherche à annuler la dette de l’Irak. Très bien, mais qu’en est-il de tous les pays qui ne peuvent pas se développer à cause de ce garrot ? Sur toutes ces grandes questions internationales, nous voulons être présents et actifs. Je rappelle que l’Union européenne élargie possède un droit de vote au FMI et à la Banque mondiale beaucoup plus important que les Etats-Unis, par exemple. Donc, il n’y a aucune excuse.

Q : À propos des Etats-Unis, quelle position avez-vous adoptée sur la question de la guerre ?

R : Il y a eu réprobation générale de la doctrine Bush et un refus total de considérer que la guerre pourrait être un moyen banal de régler les problèmes du monde. De même, nous avons insisté sur la nécessité de renforcer la légitimité et l’efficacité du système des Nations unies, y compris en réformant le Conseil de sécurité. Nous avons adopté une attitude très offensive sur la question du terrorisme, sous toutes ses formes, y compris le terrorisme d’État. Nous considérons également qu’il ne doit pas y avoir de sanctuaire sur la question de la prolifération des armes nucléaires : si on veut crédibiliser la lutte pour le désarmement nucléaire, il faut que les puissances nucléaires qui sont au Conseil de sécurité donnent l’exemple, c’est-à-dire engagent un processus crédible de démantèlement de leur propre arsenal nucléaire. Bien sûr qu’il faut se mobiliser contre les armes de destruction massive, à commencer par le nucléaire, mais il ne peut pas y avoir d’exception. D’ailleurs, rien que l’expression « armes de destruction massive » devrait convaincre tout le monde qu’elles n’ont pas le droit d’exister… Enfin, nous affirmons qu’il faut se mobiliser pour obtenir la ratification du Traité sur la Cour pénale internationale, qu’il faut agir contre toute tentation des pays concernés de conclure avec les Etats-Unis des accords d’exemption des exigences de la Cour pénale internationale. Là aussi, pour que la justice soit crédible, elle doit être universelle.

Q : Et sur les droits ?

R : Beaucoup a été dit sur le démantèlement des droits sociaux et démocratiques. Sur la mise en cause de la diversité culturelle (sur l’uniformisation de la culture), sur le danger xénophobe, les droits des minorités, et le « droit des droits » : l’égalité hommes-femmes. Nous avons soulevé la question de nos collègues parlementaires victimes de la répression à cause de leurs idées (Colombie, Iran, Pakistan…). Pour 2004, le FSM a fixé des grands rendez-vous sur lesquels nous nous mobiliserons aussi : le 20 mars, jour anniversaire du déclenchement de la guerre en Irak, sera une grande journée mondiale contre la guerre. Puis deux rendez-vous européens auront lieu : début avril, des journées d’action syndicale, et le 9 mai, qui devait être une journée contre la constitution européenne, sera une journée d’action pour une autre Europe. Enfin, au mois de juin, la conférence de la CNUCED sur les questions sociales et environnementales, à Sao Paulo, sera encore l’occasion de se mobiliser à l’échelle de la planète. Mais on pourra dire que le Forum parlementaire aura atteint son but quand les participants auront traduit leur accord avec la Déclaration en actes concrets, aussi bien sur le terrain que dans les institutions auxquelles ils appartiennent.

Q : Quel élargissement vous a permis l’organisation cette année du Forum en Inde ?

R : Qualitativement, l’élargissement à la région asiatique est un pas considérable. Pour des raisons objectives, l’Afrique est encore un énorme manque à gagne. Mais, avant Mumbai, il y avait aussi l’Asie. Hier et aujourd’hui, les députés indiens et pakistanais venus en nombre à notre Forum ont en permanence discuté et travaillé ensemble, et ont exprimé une tout autre conception de la sécurité régionale et de la coopération pour le co-développement. L’organisation du Forum à Mumbai nous a permis de nous enrichir considérablement dans cette partie du monde où vraisemblablement se jouera l’avenir. On sent bien ce Forum social est tout sauf un corps étranger sur la réalité indienne, contrairement à ce que certains journaux ont dit. Je trouve qu’il est particulièrement populaire et bien ancré dans les réalités des différents états de l’Inde.

Q : Vous n’êtes donc pas de ceux qui voulaient maintenir le FSM à Porto Alegre ?

R : Non, j’ai adoré Porto Alegre et j’y retournerai avec plaisir l’an prochain. Mais je pense que la décision de venir ici était juste et nécessaire. Cela ne devrait d’ailleurs pas s’arrêter à l’Inde.