Accueil > LA CIRCULATION INTERNATIONALE

LA CIRCULATION INTERNATIONALE

Publie le dimanche 31 janvier 2010 par Open-Publishing

Il est nécessaire de replacer cette lecture (Contribution à la critique de l’économie politique, la monnaie, Karl Marx, 1859, Editions sociale, 1968) dans le cadre où le capitalisme n’avait pas encore procédé à la suppression de la parité de la monnaie avec l’or, où les banques centrales n’avaient pas acquis le pouvoir d’interventions actuel, etc.

Ceci en tête, cette lecture montre à mon avis que l’analyse de Marx, de la phase historique qu’il a vécue jusqu’à aujourd’hui reste pertinente. La situation décrite comparée à la situation que nous connaissons laissait prévoir l’évolution que l’économie a connue effectivement, et le présent éclaire le passé comme notre connaissance actuelle de l’homme éclaire la connaissance de l’homme préhistorique. Et vice versa, en retour ce passé éclaire notre présent économique.

Cela montre aussi la capacité de Marx, d’Engels et des « pères et mères du marxisme » en général à saisir le processus de la production et reproduction de la société humaine, non seulement sous l’aspect économique qui est déterminant en dernière instance, mais aussi les activités humaines multiples et diverses qui n’en sont pas séparées mais forment l’unité de l’activité. En cela, se reporter par exemple à leurs commentaires et analyses sur les arts.

Etre déterminant en dernière instance ne veut pas dire que tout est prédéterminé. C’est le débat humain millénaire qui passe par l’anankè (nécessité) et la liberté des grecs ou le libre arbitre et la volonté divine de Saint Augustin et qui se poursuit dans la philosophie moderne et l’athéisme et le dépassement (aufhebung) de l’athéisme lui-même (voir manuscrits de 1844). A ceci près que Marx inaugure l’idée que la philosophie ne doit pas se contenter de comprendre le monde mais doit aussi avoir pour but de le changer, et que le progrès philosophique est lui-même en relation dialectique avec les changements qu’il induit. Mais ce n’est pas seulement une influence des choses les unes sur les autres, c’est un processus dans les objets et l’objet global à transformer où l’on agit sur les contraires qui les habitent et les meuvent. C’est sur cette lutte des contraires que nous agissons et ainsi agissons aussi sur nous-mêmes et nous créons-nous nous-mêmes.

Mais bien sûr tout n’est pas dans Marx et le marxisme. Le marxisme est de l’ordre des grands acquis humains en mouvement. Et l’acquis essentiel du marxisme tient en cette découverte de l’humanité en tant que conscience de la nature sur elle-même, qui est passée par l’intuition primitive, la pré-conscience et qui accède à une conscience globale collective que la révolution scientifique et technique, la multiplication et l’approfondissement des relations planétaires portent progressivement à maturité, malgré des régressions qui contiennent pourtant de nouvelles accumulations de capacités humaines. Sans optimisme béat, on peut considérer que tout reste ouvert pour l’humain. Pour agir sur la réalité par sa pensée l’homme se doit de comprendre quelle est cette réalité. Pour Marx et pour nous encore la réalité c’est le mode de production capitaliste, ses contradictions et le pré-apparaître à faire éclore que cette lutte interne contient. En particulier le dépassement de la mesure quantitative de la valeur d’échange.

TEXTE DE MARX :

De même que la circulation intérieure, la circulation internationale exige une quantité d’or et d’argent toujours variable. Aussi une partie des trésors accumulés sert-elle chez tous les peuples de fonds de réserve de monnaie universelle, qui tantôt se vide, tantôt se remplit de nouveau suivant les oscillations de l’échange des marchandises[1]. Indépendamment des mou­ve­ments particuliers qu’elle exécute dans son va-et-vient entre les sphères de circulation natio­nales [2], la monnaie universelle est animée d’un mouvement général dont les points de départ se trouvent aux sources de la production, d’où les courants d’or et d’argent se répandent en diverses directions sur le marché mondial. C’est en tant que marchandises que l’or et l’argent entrent ici dans la circulation mondiale et ils sont échangés comme équivalents con­tre des équivalents marchandises proportionnellement au temps de travail qu’ils contiennent, avant de tomber dans les sphères de circulation intérieures. Ils apparaissent donc dans ces dernières avec une grandeur de valeur donnée. Toute variation en hausse ou en baisse de leurs frais de production affecte donc uniformément sur le marché mondial leur valeur relative, qui, par contre, est totalement indépendante de la proportion dans laquelle l’or ou l’argent sont absorbés par diverses sphères de circulation nationales. La portion du courant de métal, qui est captée par chaque sphère particulière du monde des marchandises, entre en partie directement dans la circulation monétaire intérieure pour remplacer les espèces métalliques usées, est en partie endiguée dans les différents trésors servant de réservoirs de numéraire, de moyens de paiement et de monnaie universelle, et en partie transformée en articles de luxe, tandis que le reste enfin devient trésor tout court. Au stade développé de la production bourgeoise, la constitution de ces trésors est limitée au minimum que requiert le libre jeu du mécanisme des divers procès de la circulation. Seule la richesse en jachère devient ici trésor en tant que tel - à moins que ce ne soit la forme momentanée d’un excédent dans la balance des paiements, le résultat d’une interruption dans l’échange de substance et, partant, la solidification de la marchandise dans sa première métamorphose.

De même qu’en tant que monnaie l’or et l’argent sont conçus comme la marchandise générale, dans la monnaie universelle ils revêtent le mode d’existence correspondant de mar­chan­dise universelle. Dans la mesure où tous les produits s’aliènent en eux, ils deviennent la figure métamorphosée de toutes les marchandises et, partant, la marchandise universelle­ment aliénable. Ils sont réalisés comme matérialisation du temps de travail général dans la mesure où l’échange matériel des travaux concrets embrasse toute la surface de la terre. Ils devien­nent équivalent général dans la mesure où se développe la série des équivalents parti­culiers qui forment leur sphère d’échange. Comme, dans la circulation mondiale, les mar­chan­dises déploient universellement leur propre valeur d’échange, la forme de celle-ci, méta­mor­phosée en or et en argent, apparaît comme la monnaie universelle. Alors donc que, par leur industrie universelle et par leur trafic mondial, les nations de possesseurs de marchan­dises convertis­sent l’or en monnaie adéquate, l’industrie et le commerce ne leur appa­rais­sent que comme un moyen de soustraire la monnaie au marché mondial sous forme d’or et d’argent. En tant que monnaie universelle, l’or et l’argent sont donc à la fois le produit de la circulation générale des marchandises et le moyen d’en élargir les cercles. De même que les alchimistes en voulant faire de l’or firent naître à leur insu la chimie, c’est à l’insu des possesseurs de marchandises lancés à la poursuite de la marchandise sous sa forme magique que jaillissent les sources de l’industrie et du commerce mondiaux. L’or et l’argent aident à créer le marché mondial en ce que dans leur concept monétaire réside l’anticipation de son existence. Cet effet magique de l’or et de l’argent n’est nullement limité aux années d’enfance de la société bourgeoise ; il résulte nécessairement de l’image complètement inversée que les agents du monde des marchandises ont de leur propre travail social ; et la preuve en est fournie par l’influence extraordinaire qu’exerce sur le commerce mondial la découverte de nouveaux pays aurifères au milieu du XIXe siècle.

De même qu’en se développant la monnaie devient monnaie universelle, le possesseur de marchandises devient cosmopolite. A l’origine, les relations cosmopolites entre les hommes ne sont autre chose que leurs rapports en tant que possesseurs de marchandises. La marchan­dise en soi et pour soi est au-dessus de toute barrière religieuse, politique, nationale et linguistique. Sa langue universelle est le prix, et sa communauté, l’argent. Mais, avec le déve­lop­pe­ment de la monnaie universelle par opposition à la monnaie nationale, se dévelop­pe le cosmopolitisme du possesseur de marchandises sous forme de religion de la raison pratique par opposition aux préjugés héréditaires religieux, nationaux et autres, qui entravent l’échange de substance entre les hommes. Alors que le même or, qui débarque en Angleterre sous forme d’eagles américains [pièces de 10 dollars], devient souverains, circule trois jours après à Paris sous forme de napoléons, se retrouve quelques semaines plus tard à Venise sous forme de ducats, mais conserve toujours la même valeur, le possesseur de marchandises se rend bien compte que la nationalité is but the guinea’s stamp [n’est que l’estampille de la guinée]. L’idée sublime dans laquelle se résout pour lui le monde entier, c’est celle du marché- du marché mondial [3].


[1] « L’argent accumulé vient s’ajouter à la somme qui, pour être effectivement dans la circulation et pour satisfaire aux éventualités du commerce, s’éloigne et abandonne la sphère de la circulation elle-même. » (G. R. CARLI, note à VERRI : Meditazioni sulla Economia Politica, p. 196, vol. XV, collection Custodi, ibid.)

[2] 1re édition : « internationales ». Corrigé dans l’exemplaire I, annoté à la main. (N. R.)

[3] MONTANARI : Della Moneta (1683), ibid., p. 40 : « Les relations entre tous les peuples sont Bi étendues sur tout le globe terrestre, que l’on peut presque dire que le monde entier est devenu une seule ville où se tient une foire permanente de toutes les marchandises et où chacun, sans sortir de chez lui, peut, au moyen de l’argent, s’approvisionner et jouir de tout ce qu’ont produit n’importe où la terre, les animaux et le labeur humain. Merveilleuse Invention. »

http://monsite.orange.fr/metamorphose-travail/