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La canicule, un an après : il faut plus de solidarité

Publie le mardi 17 août 2004 par Open-Publishing

de Patrick Pelloux

Il y a un an, la France connaissait une canicule entraînant une catastrophe sanitaire et humanitaire dont nous nous croyions à jamais protégés. Ce n’est pas un anniversaire ou une commémoration, ni une victoire ou une défaite d’hommes contre d’autres hommes. C’est un devoir citoyen de ne pas oublier que notre pays n’a su ni prévoir, ni réagir, ni comprendre la catastrophe de la canicule de l’été 2003.

Une année après, l’inquiétude, l’angoisse collective persistent. Souvent, on nous pose cette question : "Sommes-nous prêts ?" Mais à quoi ? Quelles seront les catastrophes des années futures ? Personne ne peut le dire, sinon affirmer qu’il y en aura d’autres. Ainsi, il convient de faire passer la culture de la prise en charge des urgences dans le secteur sanitaire et social, et la notion que le risque est toujours possible, et présent dans toute société.

En juin 2003, le professeur Jean-Louis San Marco était bien seul à vouloir faire de la prévention face au risque sanitaire dû à la canicule. Il avait fait son possible depuis l’été caniculaire de 1983 qui avait touché le sud de la France faisant, selon l’Inserm, 4 700 victimes. L’été 1976 avait déjà causé 6 000 décès.

La prévention sanitaire seule ne pouvait pas tout empêcher, mais elle pouvait limiter la gravité des conséquences de la chaleur. Toutefois, ce professeur n’avait pas été entendu par les responsables de la santé publique.

Aujourd’hui, la volonté du ministre Douste-Blazy lui a permis d’être écouté. Cet été a vu se concrétiser la prévention contre la chaleur. Il ne s’agit pas d’une revanche sur 2004, mais plus d’une évolution nécessaire de notre système sanitaire et social. Et l’on doit espérer que les politiques de prévention toucheront d’autres domaines liés à la santé publique comme l’obésité, l’alcoolisme, les accidents du travail...

A l’été 2003, les signaux d’alerte n’avaient pas été vus ou entendus alors que nous aurions pu connaître les risques d’une telle vague de chaleur. Cette année, le progrès résulte du lien entre Météo France et l’Institut national de veille sanitaire, mais également avec les urgentistes. Le plan en faveur des urgences de septembre 2003 prévoyait de créer un observatoire des urgences.

L’habitude de notre pays est d’observer, mais surtout pas de décider d’évoluer. C’est un de ses sempiternels défauts. Nous avons voulu un simple numéro et courriel d’alerte avec l’INVS, qui est en relation directe avec le ministre. Ainsi, une alerte courte et efficace permet une réactivité qui sied aux urgentistes et répond rapidement aux éventuelles catastrophes.

Plus étonnant est le refus, depuis l’été 2003, de réformer notre organisation de santé publique et de renforcer le service public hospitalier. On aurait pu croire qu’après plus de 15 000 morts nous aurions quitté la logique d’entreprise qui touche l’hôpital au travers le plan Hôpital 2007 et toutes celles que l’on veut y appliquer depuis plus de vingt ans. Eh bien non. Nous connaissons autant de fermetures de lits que l’an passé. Et c’est grâce à la volonté du ministère que l’on a pu rouvrir des lits, mais sans personnel supplémentaire, y compris dans les hôpitaux de Paris où il est si difficile de faire entendre les besoins de la population et des personnels hospitaliers.

Nous manquons de personnels dans toutes les catégories socioprofessionnelles de l’hôpital. Si nous avions eu autant de malades à hospitaliser que l’an passé, nous aurions dû activer, comme à l’été 2003, les plans d’afflux massifs dans les hôpitaux. Cela est inévitable en cas de crise, mais semble révéler aussi que l’hôpital est en manque chronique de moyens et qu’un afflux inopiné peut le faire basculer dans une crise suraiguë.

Nous devons quitter cette spirale infernale de la précarisation de l’hôpital public. Cela ne va pas sans moyens financiers supplémentaires ni réformes pour retrouver les valeurs de l’intérêt général et du service public hospitalier. Cela ne va pas sans associer les malades, les usagers, les élus, les personnels hospitaliers, les médecins et leurs organisations représentatives.

Cela nécessite une grande politique sociale de recrutement et de formation. Nous ne soignerons jamais les malades avec des statistiques ou des logiques industrielles, mais bien avec des professionnels sanitaires et sociaux. La santé va au-delà de la simple économie.

A l’été 2003, la reconnaissance et l’importance aux yeux de la population des services d’urgences n’existaient pas aussi ouvertement, et encore moins dans le microcosme de la santé. Pourtant, les services d’urgences ont une importance essentielle. Et bien au-delà du rôle médical ! Ils sont une sorte de vigie des évolutions sociétales et sanitaires. Cette reconnaissance crée des devoirs aux urgentistes. Nous devons réussir la naissance de cette spécialité que Bernard Kouchner avait initiée et que Douste-Blazy va concrétiser lors de la prochaine rentrée universitaire.

Elle ne doit pas s’enfermer dans la connaissance médicale mais doit rester ouverte aux autres sciences qui favorisent l’évolution de notre civilisation comme l’écologie, l’évolution des climats ou la sociologie.

A l’été 2003, il avait été dit qu’il n’y aurait pas de surmortalité du fait de la canicule, que ce n’était pas une catastrophe, que c’était la faute des médecins de ville, la faute des familles, que ceux qui mouraient devaient mourir... Souvenez-vous de ces quelques experts pour lesquels il n’y avait ni catastrophe ni surmortalité. Ils se sont trompés mais ne l’ont pas reconnu. L’enseignement est amer, car il ne faut pas alerter un système qui dort et se protège même de la connaissance des malheurs de son peuple. Ainsi, celui qui révèle la vérité doit être détruit et banni.

L’importance du lien sanitaire et social est fondamentale, mais nous nous en sommes écartés. En effet, notre civilisation laisse se développer de véritables ghettos sociologiques, et c’est une erreur de dire que cela ne concerne que les personnes âgées. La précarité sociale affecte toutes les personnes atteintes d’un handicap, quel qu’il soit.

En un an, il n’y a eu aucun changement radical de notre société pour réduire les risques d’une crise sanitaire et sociale comme celle que nous avons connue. Et surtout, nous n’arrivons pas à impliquer les plus exclus. La souffrance de se sentir inutile est un nouveau mal. Souvent, les personnes âgées avec lesquelles nous parlons nous le disent : "Je ne sers plus à rien".

Nous aurions dû, depuis la catastrophe de l’été 2003, remettre en cause l’exercice des solidarités pour que la santé ne devienne pas une charité ou une pitié, mais un droit fondamental de tout être humain. Plus encore, comme l’écrivait Georges Balandier, "nous sommes dans l’obligation de civiliser les nouveaux mondes issus de l’œuvre civilisatrice".

Cette année, il vaut mieux embaucher des chargés de communication plutôt que de trouver des solutions aux problèmes de l’hôpital. On pense que le paraître devrait nécessairement faire oublier la crise de l’été 2003. L’humanisme de notre pays, qui a bercé son histoire et ses philosophes, doit retrouver toute son importance. L’économie doit être au service de l’homme et pas l’homme soumis aux règles économiques.

La réflexion sur le drame de l’été 2003 n’est pas terminée, continuons-la ensemble pour le progrès de l’humanité.

Patrick Pelloux est président de l’association des médecins urgentistes hospitaliers de France.

http://www.lemonde.fr/web/recherche_articleweb/1,13-0,36-375647,0.html