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La "nation catholique" espagnole et les socialistes

Publie le mercredi 8 juin 2005 par Open-Publishing
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de Henri Tincq

Le conflit qui oppose depuis des mois la hiérarchie catholique espagnole au gouvernement socialiste de José Luis Zapatero renvoie aux pages, sinon les plus sombres, au moins les plus contestées de l’histoire de la mythique "nation catholique" . Poursuivant le combat de Jean Paul II, Benoît XVI a lancé aux fidèles espagnols, le 23 mai, un appel à la résistance aux "tendances laïques" qui, selon lui, menaceraient leur pays, et demandé à l’Eglise de se montrer "ferme" dans ses options.

L’Eglise espagnole s’oppose à plusieurs réformes du gouvernement de gauche à Madrid, notamment celles qui simplifient la procédure du divorce, autorisent le mariage entre homosexuels et les recherches sur les cellules souches d’embryons, rendent facultatif l’enseignement religieux dans les écoles publiques. Selon une récente enquête de l’institut Opina, 82 % des Espagnols se disent catholiques et 47 % pratiquants. La grande majorité d’entre eux votent pour le Parti populaire (PP, droite), mais les deux tiers des Espagnols estiment que l’"Eglise est loin de la réalité sociale" .

Ce type de fracture n’est bien sûr pas unique en Europe. Ces dernières années, dans des pays comme la France, les Pays-Bas ou la Belgique, où des formes d’union homosexuelle ­ allant jusqu’au mariage ­ sont reconnues par la loi, les épiscopats nationaux ont fait aussi la guerre au pouvoir en place. Le mariage homosexuel est devenu une sorte de "chiffon rouge" pour le catholicisme.

En Italie, de son côté, l’Eglise mène aussi la bataille pour l’abstention dans le référendum qui doit décider, en juin, d’autoriser la procréation médicalement assistée et la recherche à des fins thérapeutiques sur les cellules souches d’embryons, que le cardinal Angelo Scola, patriarche de Venise, vient de qualifier, dans le quotidien La Repubblica du 23 mai, de nouvelle "tentation de Faust" . Cette campagne de l’Eglise italienne ressemble à celles qu’elle avait menées et perdues, au début des années 1970, contre le divorce et l’avortement.

Mais, en Espagne, tout conflit entre Eglise et Etat prend des proportions démesurées, compte tenu de l’histoire douloureuse du XXe siècle. Devant l’attitude du gouvernement Zapatero, des courants catholiques espagnols rappellent déjà les entreprises anarchistes et anticléricales qui avaient failli, selon eux, faire périr l’"âme" de l’Espagne.

L’avènement de la République en 1931 équivaut à une "séparation" de fait entre l’Eglise catholique et l’Etat, comme celle de la France en 1905. "L’Etat espagnol n’a pas de religion officielle" , tranche alors la nouvelle loi fondamentale. On brûle des églises et des couvents dans les Asturies, en Catalogne, en Andalousie. Des ordres religieux, comme les jésuites, sont dissous, voire expulsés. Toute subvention à l’Eglise catholique et à ses institutions d’enseignement est coupée.

"La guerre civile fut une guerre de religion" , rappelle l’historien Bartholomé Bennassar. L’armée franquiste part en croisade au nom du Christ-Roi contre les "marxistes" , multiplie les exécutions sommaires dans la "vermine rouge" . Les républicains ne font pas non plus le détail et fusillent prêtres, religieux, évêques. 7 000 ecclésiastiques périssent dans la guerre civile. Héros de l’Alcazar de Tolède, le général franquiste Moscado s’écrie, en 1938, au sanctuaire de Saint-Jacques-de-Compostelle : "Toi, saint Jacques, qui nous encourageas dans les moments pénibles de la guerre et qui guide le généralissime, nous venons proclamer nos convictions catholiques et nationales face aux négations judaïsantes et cosmopolites."

CAUTION MORALE

L’Eglise fut un pilier du régime franquiste. Elle a même permis à ce dernier de se prévaloir d’une sorte de caution morale, marquant la distance avec les régimes fasciste et nazi. Franco favorise l’enseignement confessionnel, cède à toutes les exigences d’un catholicisme de Reconquista, exige un "droit de présentation" des évêques avant leur nomination par le pape. Mais, grâce aux évolutions intérieures au catholicisme des années 1960 et 1970 ­ l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII, le concile Vatican II (1962-1965), l’enseignement de Paul VI (1963-1978) sur la liberté politique, le respect des droits de grève ou de presse ­, l’Eglise catholique, à l’exception des ultrafranquistes et des ministres technocrates de l’Opus Dei, prend ses distances avec Franco.

Le Caudillo, qui a déjà fort à faire avec le clergé basque séparatiste, se dit "poignardé dans le dos" . Il déteste Paul VI ­ qui se garde de répondre à son invitation de visiter le pays ­ et ne peut empêcher l’ascension d’une figure qui reste aujourd’hui à l’honneur de l’Eglise d’Espagne : le cardinal Vicente Enrique y Tarancon (1907-1994), archevêque de Tolède et de Madrid, primat d’Espagne, qui prêche un langage de réconciliation nationale, condamne le triomphalisme catholique qui a suivi la guerre civile, réclame une libéralisation du régime et proteste contre la répression.

A la mort de l’amiral Carrero Blanco, intégriste catholique, chef du gouvernement franquiste, assassiné en 1973 par l’ETA, l’"évêque rouge" est voué aux gémonies. Dans les manifestations ultrafranquistes, des banderoles surgissent : "Tarancon al paredon" (Tarancon au poteau). Après la mort de Franco, en 1975, c’est lui qui ralliera l’Eglise catholique à l’idée d’un Etat non confessionnel.

Dans le conflit qui oppose de nouveau, trente ans après, l’Eglise et le gouvernement socialiste en Espagne, on ne peut oublier le poids des passions d’hier et des ressentiments, ni celui d’une intolérance et d’une violence qui furent largement partagées. Mais ce passé ne saurait excuser une attitude d’opposition systématique qui n’est pas fidèle à l’héritage d’un cardinal Tarancon et du concile Vatican II. La manière dont Benoît XVI arbitrera ce conflit dans les mois à venir sera une indication sur les orientations qu’il compte donner à son pontificat.

http://www.lemonde.fr/web/article/0...

Messages

  • L’église n’a plus rien à faire dasn les affaires d’un état ! Son histoire est passée qu’elle laisse la démocratie et le progrès s’exprimer et surtout qu’elle ne profite pas d el’histoire (cf. la guerre civile en Espagne) pour revenir au premier plan ! Les socialistes veulent réformer l’Espagne qu’ils le fassent elle en a besoin !