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La priorité des services secrets suisses : comment Hani Ramadan sucre son café

Publie le mercredi 1er mars 2006 par Open-Publishing
6 commentaires

La priorité des services secrets suisses : comment Hani Ramadan sucre son café

par Ian Hamel

« La Tribune de Genève » a révélé jeudi 23 février que le Service d’analyse et de prévention (SAP), le service de renseignements intérieur de la Suisse, avait infiltré pendant deux ans le Centre islamique de Genève, dirigé par Hani Ramadan, le frère aîné de Tariq Ramadan. Cette taupe devait-elle simplement espionner ou avait-elle pour mission de fabriquer des preuves contre Hani Ramadan ?

Le quotidien genevois annonce la semaine dernière qu’une « taupe fédérale infiltre le Centre islamique de Genève ». Il s’agit d’un ancien repris de justice (escroquerie, drogue, trafic d’anabolisants) qui reçoit en 2004 pour mission d’infiltrer le CIG, fondé par Saïd Ramadan en 1961, et animé depuis la mort de ce dernier, en 1995, par son fils Hani Ramadan. Cet indicateur, appointé par le service de d’analyse et de prévention (SAP), va jusqu’à se convertir le 30 avril 2004. Il reçoit comme priorité absolue d’espionner Hani Ramadan. Cette traque va jusqu’à compter le nombre de morceaux de sucre qu’il met dans son café...

Cette démarche n’a rien d’extraordinaire. En France, les Renseignements généraux « fliquent » toutes les mosquées et toutes les associations où se réunissent les musulmans. Le problème, c’est que cette taupe, prise de remords, a tout avoué à Hani Ramadan et a raconté son histoire dans « La Tribune de Genève », le principal quotidien du canton de Genève. Depuis, Jean-Luc Vez, le directeur de l’Office fédéral de la police, a confirmé l’information, précisant que cette opération était parfaitement légale, « la loi fédérale sur le maintien de la sûreté intérieure autorise l’acquisition d’informations par des informateurs », déclare-t-il dans « Le Matin Dimanche ». Le problème, c’est que le SAP a effectivement le droit d’utiliser des informateurs pour lutter contre le terrorisme, l’espionnage, et la prolifération des armes de destruction massive. Mais Hani Ramadan est-il lié, d’une façon ou d’une autre, à l’une de ces catégories ?

En clair, le frère aîné de Tariq Ramadan développe depuis très longtemps des opinions qui ne plaisent pas à tout le monde (il a notamment écrit dans « Le Monde » le 10 septembre 2002 un texte très controversé intitulé « La Charia incomprise »). Mais cela en fait-il pour autant un terroriste ou un allié des terroristes ? L’indicateur a lui-même reconnu qu’Hani Ramadan « se montrait méfiant de tous ceux qui manifestaient un langage révolutionnaire, n’hésitant pas à exclure du centre certains musulmans ». Hani Ramadan, fils de Saïd Ramadan, le gendre d’Hassan Al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens, a toujours manifesté son hostilité au terrorisme. « Je suis suisse et je défend la réputation de mon pays », déclare-t-il.

Depuis 1959, date de l’arrivée de Saïd Ramadan à Genève, chassé d’Egypte par Nasser, les services secrets suisses n’ont jamais cessé d’espionner le Centre islamique de Genève. Une note, que l’on peut consulter aux Archives fédérales à Berne, datant du 5 août 1966, révèle que trois des enfants de Saïd Ramadan « se sont rendus à l’étranger en vacances », Aymen et Bilal en Grande-Bretagne et Yasser à Saint-Malo, en France... On imagine la valeur stratégique d’une telle information ! Aujourd’hui encore, les services secrets suisses fantasment sur le Centre islamique de Genève, une modeste bâtisse installée rue des Eaux Vives dans la ville du bout du lac Léman.

Jacques Pitteloud, l’ancien coordinateur des services suisses, assurait que tous les comploteurs islamiques se réunissaient au deuxième étage du CIG avant de perpétrer leurs sinistres missions. Et le journaliste Richard Labévière, dans son livre « Les dollars de la terreur », assure que Hani et Tariq Ramadan ont piqué la caisse des Frères musulmans (en page 166) afin « d’instrumentaliser et de valoriser une capacité d’influence dans les milieux musulmans d’Europe pour la monnayer auprès des riches donateurs toujours prêts à financer une légitimité islamique ». Les riches donateurs étant les Saoudiens. Richard Labévière oublie de dire que Hani comme son frère Tariq sont interdits de séjour en Arabie Saoudite.

Bref, pour les services secrets suisses, et pour certains journalistes, les Ramadan sont l’incarnation du mal. Toutefois, la défection de cet indicateur (il se serait réfugié en France) pose un autre problème : avait-il seulement pour mission d’espionner Hani Ramadan, ou devait-il « le faire tomber », en introduisant au Centre islamique de Genève des documents compromettants ? Cette information doit encore être mise au conditionnel. Mais ce n’est pas un mystère que certains en Suisse (et en Europe) sont prêts à bafouer la loi pour se débarrasser du frère aîné de Tariq Ramadan. En espérant que le scandale éclaboussera le conseiller de Tony Blair pour les affaires de terrorisme.

Ian Hamel
Journaliste, prépare une biographie de Tariq Ramadan chez Flammarion.

Messages

  • Je préfère que les flics surveillent les islamistes que les syndicalistes.

    Ian Hamel essaie de nous présenter des réactionnaires religieux comme des progressistes ?

    Pour la biographie de Ramadan, Je préfère lire Caroline Fourest (Frère Tariq).

    NI DIEU NI MAITRE !

  • Je connais très bien l’espion en question, pour avoir partagé deux ans de sa vie. Déjà en 1992, pour le compte d’autres services, il infiltrait les milieux d’extrême gauche. Il était proche de l’ancien brigadiste Paolo Fogagnolo qui sortait de dix ans de prison pour complicité d’assassinat dans l’affaire Aldo Moro.
    On retrouve notre espion infiltrant ensuite, avec des méthodes peu orthodoxes, les milieux néo-nazis de la Thulegesellschaft, avant qu’il se plante lamentablement dans une troisième affaire (sous une autre identité) en Espagne en 2003.

    • Bonjour, nous sommes deux journalistes de Zürich. Vous dites que vous connaissez très bien l’espion en question.
      Ses autres missions que vous decrivez ont-elles aussi été gerées par les autoritées Suisses ?
      Et comment a-t-il fait pour changer d’identité en convainquant tout le monde ? Quel était sa mission en Espagne ? Et, surtout, savez-vous ou on peut l’atteindre ?

      Andrea Bleicher et Monica Fahmy (andrea.bleicher@sonntagszeitung.ch ou mfahmy@bluewin.ch ou tel. 01 248 47 80 ou 044 383 86 01)

  • Bonjour, j’ai traduit une interview de l’espion d’un magazine allemand qui n’a pas ete reprise en francais :

    Le 23 février dernier, Christian alias Sayyid, 35 ans, révélait dans les colonnes de la Tribune de Genève avoir été recruté en 2003 par le service d’analyse et de prévention (SAP, services secrets intérieur suisse) pour infiltrer le centre islamique de Genève, dirigé par Hani Ramadan. Ce qui a été confirmé depuis par les autorités helvétiques. L’espion affirme que l’objectif de l’opération du SAP, baptisée Memphis, était de fabriquer des preuves afin d’impliquer Hani Ramadan dans un réseau terroriste.

    Plusieurs journalistes suisses alémaniques ont rencontré l’ex agent des services secrets. Nous traduisons ci-dessous la dernière interview qu’il a donnée alors qu’il se trouvait en Grèce.

    Depuis, l’ex-agent n’est plus entré en contact avec les médias. Les enregistrements des réunions avec son officier traitant du SAP, qui prouvent ses accusations, sont parvenus à la commission d’enquête parlementaire chargée de contrôler les activités des services secrets en Suisse. Mais cette dernière a-t-elle vraiment l’intention de faire toute la lumière sur la réalité d’une opération qui nuirait gravement au département de justice et police, dirigé par le patron de l’UDC (extrême droite), Christophe Blocher ?

    Traduction : Yann Vogel (yvog@keromail.com)

    Le 23 février dernier, vous révéliez dans les colonnes de la Tribune de Genève les buts de l’opération des services secrets à l’encontre du centre islamique que dirige Hani Ramadan. Pouvez vous nous rappeler ces faits ?

    J’ai été recruté par le SAP (NDT : service d’analyse et de prévention, service secrets intérieurs suisses) à la fin de 2003. A l’époque, je travaillais pour la brigade des stupéfiants de la police du canton de Genève. Mon rôle consistait à infiltrer des réseaux de trafiquants et à réunir les conditions pour des arrestations en flagrant délit. D’une manière générale je n’ai jamais tellement eu d’affinités avec les policiers, mais, par le passé, ma conduite n’avait pas toujours été exemplaire. C’était en quelque sorte pour moi l’occasion de remettre les pendules à l’heure. Mes premiers rendez-vous avec le SAP se sont bien passés. Ils semblaient être motivés par une éventuelle menace sur le territoire Suisse. Pour ma part je ne connaissais rien à l’Islam. Comme la majorité des gens, j’étais conditionné par tout ce que les médias servent chaque jours en matière d’amalgames entre islam et terrorisme. L’opération a été baptisée Memphis, mon nom de code était Menes. Bien sûr on ne m’a pas, au départ, informé des objectifs exacts de l’opération. Les services secrets avaient besoin de m’évaluer afin de savoir si je pouvais être fiable. La première étape consistait à m’intégrer dans la communauté musulmane, et plus particulièrement celle qui fréquente le centre islamique que dirige Hani Ramadan.

    Qu’avez-vous trouvé sur Hani Ramadan ?

    Absolument rien, mais le SAP le savait bien avant l’opération Memphis, d’où la nécessité de fabriquer des preuves, afin de l’accabler une fois pour toute. Cela aurait arrangé beaucoup de monde que Hani Ramadan soit définitivement compromis.

    Comment devait fonctionner le « piège » ?

    Mon officier avait reçu une note émanent des services secrets libanais, transmise au SAP par le DFAE (NDT : Département Fédéral des Affaires Etrangères). Elle informait que des musulmans résidant à Genève s’apprêtaient à rejoindre l’Irak, via Damas. L’idée était d’infiltrer ce groupe, de les accompagner sur place afin de vérifier la validité des leurs contacts, tout en les laissant faire. Le SAP n’a pas la légalité pour envoyer des agents à l’étranger, mais ils ont pris le risque pour un premier séjour. L’idée ensuite était d’y retourner, dans le cadre d’une mission conjointe avec le service de renseignements d’un pays étranger. L’objectif final était ensuite de fabriquer le lien entre ces musulmans partis de Genève et le centre islamique, et bien sûr, par extension, Hani Ramadan.
    Par précaution, j’ai pris soin d’enregistrer mes trois derniers entretiens avec Patrick XXXXXXXXXX*, mon officier traitant au SAP. Ces bandes confirment mes accusations, et j’ai pris l’initiative de les expédier à la commission parlementaire en charge du contrôle des activités du renseignement suisse.

    Vous êtes vous rendu en Irak ?

    Non.

    Vous vous êtes converti à l’Islam, étais-ce une demande du SAP ou avez-vous fait du « zèle », comme l’a dit un journaliste Suisse ?

    Ma conversion était bien sûr programmée par le SAP. Comment infiltrer un milieu que l’on suppose islamiste sans être musulman ? Vous savez, travailler pour des services laisse peu de place aux initiatives personnelles. Vous recevez des ordres et vous les exécutez, c’est tout. Au départ j’étais assez emballé, bien sûr. On avait su me persuader de l’utilité de ma tâche.

    Vous avez dit dans un journal que conversion était ensuite devenue sincère. A partir de quand avez-vous trouvé la foi ?

    Assez vite, et un peu malgré moi. Il faudrait être un homme vraiment insensible pour ne pas être touché au plus profond de soi-même par la prière en islam. Au fil du temps, ma vision du monde s’est transformée, dans le sens d’une plus grande lucidité. Toutefois, ma mission en Syrie a été décisive. A mon retour j’ai décidé de mettre un terme à mes activités avec le SAP. Mais évidemment on ne clôture pas une opération comme ça, en claquant la porte du jour au lendemain.

    Est-il vrai que les services secrets vous ont menacés ?

    Oui. Il était très facile pour eux de faire pression. J’étais devenu musulman, je m’étais déplacé en Syrie ou j’avais été en contact avec des groupes de résistants. Ils pouvaient me piéger très facilement en me faisant passer pour un recruteur. Mais j’ai surtout compris à ce moment que l’opération Memphis allait se poursuivre, avec ou sans ma participation. J’ai donc décidé de prévenir Hani Ramadan.

    Dans l’article de la Tribune de Genève du 23 février relate brièvement les activités d’agents provocateurs de services étrangers au centre islamique. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur leurs objectifs ?

    Le rôle d’un agent provocateur est d’inciter à la haine et à la violence, dans le but de déstabiliser l’organisation ou le pays dans lequel il opère. J’ai effectivement pu approcher plusieurs individus en contact avec des groupes ayant un caractère terroriste et qui ont été identifiés par le SAP comme étant des agents provocateurs issus de services de renseignements étrangers.

    De quel pays provenaient-ils ?

    De XXXXX, de XXXXXXX et de XX XXXXXX*

    Vous prétendez que des agences gouvernementales infiltrent des mosquées afin de recruter des musulmans dans le but d’organiser des attentats ?

    Je ne sous-entends rien, j’analyse les faits. Ces trois dernières années, la plupart des attentats perpétrés au nom de l’Islam démontrent une chose certaine : chaque détails du style de ces actions indique qu’elles ont été préparées par des professionnels, et non par des excités formés en trois semaines sur les dunes d’un camp improvisé dans le désert. Tout cela devient clairement compréhensible au regard des effets politiques prévisibles de ces actions : elles sont toujours exactement opposées à celles qu’elles prétendent rechercher. L’assassinat de Rafic Hariri en est malheureusement l’exemple le plus probant. Un groupe islamiste inconnu, et surtout inexistant, en a immédiatement revendiqué l’attentat. La vérité semble aujourd’hui différente. On pourrait trouver 15 autres exemples similaires.

    Qu’allez-vous faire maintenant ?

    Il reste encore beaucoup de choses à dire et j’attends impatiemment d’être convoqué par la commission d’enquête parlementaire. Elle ne semble pas très pressée, mais je ne doute pas un instant de pouvoir établir la vérité. Ce n’est plus qu’une question de temps.

    (*ces noms étaient également camouflés dans la version originale)