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Le TCE, le droit européen et la mise à mort de la Sécurité sociale...

Publie le dimanche 3 juillet 2005 par Open-Publishing
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José Caudron, chargé de cours en économie de la protection sociale à l’Université Paris 1

Lors de l’émission télévisée Mots croisés, Max Gallo face à Jean-François Coppé, a affirmé que la Constitution européenne créerait les conditions pour que les entreprises exigent de se désaffilier de l’assurance maladie obligatoire. Le ministre du Budget lui a répondu que le principe de concurrence continuerait à ne s’appliquer qu’aux seules assurances complémentaires santé facultatives.

Ce que prétend Jean-françois Coppé est inexact, car le tour de passe-passe pour privatiser l’assurance maladie dès le premier euro est pratiquement achevé, comme le demandent le Medef et la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA) depuis près de quinze ans. Les péripéties du combat en passe d’être gagné par les forces ultra-libérales, en France comme dans l’Union européenne, méritent d’être rapidement rappelées.

Dès 1992, deux directives européennes, dites directives assurances (92/49/CEE et 92/96/CEE), réclamaient la mise en œuvre du principe de concurrence « libre et non faussée » pour l’assurance maladie. Elles visaient en premier lieu d’accorder aux assureurs privés le bénéfice des mêmes avantages fiscaux et sociaux que celles des complémentaires santé mutualistes.

C’est à la suite du rapport de la mission de Michel Rocard " Mission Mutualité et Droit Communautaire " (1999), commandé par Lionel Jospin que la France s’est mise en conformité à ces directives européennes.

La réforme du Code de la mutualité en 2001 aboutit à assimiler assurances privées et mutuelles, ce qui rend complexe pour ces dernières la poursuite du principe de solidarité qui constitue leur fondement, puisque la concurrence s’avère exacerbée dans le domaine des complémentaires santé.

Toujours en s’appuyant sur les directives européennes, certains ont tenté de faire valoir qu’elles devaient s’appliquer également à l’assurance maladie obligatoire de base du régime général de la Sécurité sociale financée par une cotisation patronale, une cotisation salariale (désormais infime) et par la CSG. Ainsi Denis Kessler, incontournable vice-président du Medef jusqu’à 2003, et dans le même temps vice-président de la FFSA, a-t-il saisi à plusieurs reprises la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) pour demander qu’il soit mis fin au « monopole » de la Caisse nationale d’assurance maladie.

Mais, jusqu’à présent, la jurisprudence de la CJCE est restée stable pour estimer que ce « monopole » se justifiait par la mission de service public confiée aux caisses d’assurance et par le caractère obligatoire des cotisations.

Il est à craindre désormais que cette jurisprudence se retourne en raison d’une surprenante convergence de dispositions récentes : la loi française sur la résiliation des contrats d’assurance (mars 2005) qui renforce le droit à résiliation de chaque souscripteur d’une assurance quel que soit son objet, les modifications déjà apportées à la Constitution française, et bien évidemment le Traité constitutionnel européen.

L’avenir se montre du coup rayonnant pour les assureurs privés dont on sait combien le lobbying peut être efficace. Déjà certains réclament la fin du « monopole » de la Sécurité sociale comme, sur leurs sites respectifs, Claude Reichman (Mouvement pour la liberté de la protection sociale), candidat assez obscur des dernières présidentielles, ou encore Alain Madelin (site de La Lettre des cercles libéraux).

Ceux-ci s’estiment confortés par les prises de position les plus récentes de la Commission européenne, qui tendent à faire admettre une soumission systématique des services de santé aux procédures appliquées aux marchés publics. Mais, si les ultra-libéraux prétendent, avant même que la Constitution ne soit ratifiée, que l’on peut « sortir » de l’assurance maladie de la Sécurité sociale, ils se gardent bien d’expliquer à leurs lecteurs ce que cette éventualité leur coûterait à terme en matière de primes d’assurance...

En guise de réponse, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) rappelle ( -http://www.securite-sociale.fr/actu... ) que son monopole sur l’assurance maladie obligatoire est garanti par le Préambule de la Constitution française de 1946 réaffirmé en 1958 “Elle [La Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé... ”.

Pourtant les dirigeants de la CNAM feraient bien de lire le texte actuel de la Constitution (voir le site Legifrance) ! Surprise, car le Préambule de 1946, repris in extenso en 1958, a bel et bien disparu... La mouture actuelle se contente de ces quelques lignes d’introduction : « Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 ». La formulation ne fait aucun doute, cet « attachement » n’est nullement constitutif ni de droits ni de devoirs...

La CNAM se réfère également à l’article 1 de la loi Douste-Blazy d’août 2004 : « La Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de l’assurance maladie ». Ceci constitue-t-il pour autant une garantie du maintien du monopole de la Sécurité sociale ? En fait non, car le TCE viendra apporter la pièce du puzzle qui manquait pour achever la privatisation. On sait que dans la Constitution européenne, les services publics disparaissent au profit de « services d’intérêt général », et que ces derniers peuvent être assurés par le privé sous « délégation de gestion d’une mission de service public ». Une lecture détaillée du Titre III nous apprend aussi que les systèmes de sécurité sociale, qui en apparence restent de la compétence des « pratiques et législations nationales », ne pourront accuser de déficit sans que la Commission ne leur impose, sauf dérogation exceptionnelle et temporaire, de rétablir leurs comptes. On sait déjà qu’une directive-cadre de l’Union, attendue d’ici la fin de l’année, viendra confirmer cette recommandation expresse pour les services de santé et l’ensemble des services sociaux (voir sur le site Europa le rapport de Sophia In’t Veld sur les aides d’Etat accordés aux services publics adopté par le Parlement européen le 22 février 2005).

L’unique solution pour les États membres dont les systèmes de santé font apparaître un déficit consistera à l’évidence à encourager des transferts vers le privé, qui se verra alors confiée la gestion du régime de base pour les clientèles dites « solvables », selon cette logique que les dépenses privées n’apparaîtront plus, par définition, dans les dépenses publiques.

Concernant la France, on peut alors craindre que la cotisation patronale à l’assurance maladie puisse être rapidement transformée en prime d’assurance maladie versée à des assureurs privés, ce qui correspond en tous points au projet que le Medef exprimait en 2001 dans sa Nouvelle architecture de la sécurité sociale. Quant à elles, les caisses d’assurance maladie continueront à gérer les dossiers des populations écartées de l’emploi et/ou défavorisées, ce qui répondrait à une forme de « solidarité » compatible avec l’article 1 de la loi Douste-Blazy, d’ailleurs soumise elle-même aux hypothèses de conformité avec le TCE.

La suite est parfaitement prévisible, car il suffit de se référer au système de santé néerlandais et au mécontentement grandissant qu’il affronte. « L’universalité » et le « caractère obligatoire » seraient maintenus en apparence, mais avec la mise en concurrence des caisses d’assurance maladie, peu à peu privées de ressources, face à des assureurs qui pratiqueront la sélection des risques en accélérant l’éclatement du système de santé « en plusieurs vitesses ».

Mais les « groupies » de Claude Reichmann et d’Alain Madelin risquent de déchanter bien vite, car alors le syndrome américain ne sera plus loin. Aux Etats-Unis, pour bénéficier d’une assurance maladie privée jugée suffisante, il en coûte 800 dollars par mois (un tiers du salaire moyen), ce qui explique la forte demande des populations pour que soit mis en place un système d’assurance maladie solidaire, aussi bien d’ailleurs parmi les partisans des démocrates que de ceux de l’administration Bush. En ce qui nous concerne, pouvons-nous encore faire obstacle aux souhaits des ultra-libéraux ?

Un Non le 29 mai serait certes un premier pas dans ce combat douteux.

C’est fait depuis, mais "ils" n’ont rien entendu !

De José Caudron, chargé de cours en économie de la protection sociale à l’Université Paris 1 - Merci à JEAN-MARIE / -http://altermonde.levillage.org/art...

Messages

  • En complément, voici un texte personnel écrit en mai, toujours d’actualité. Penser que le NON à la contiution européenne suffirait, ce serait aller au devant de graves déceptions.

    Le grignotage des droits sociaux continue de plus belle, la part du privé est de plus en plus importante, les fonds de la Sécu vont alimenter... les assurances pour la complémentaire santé.

    Quand la Sécu n’aura plus que quelques oripeaux, quand les complémentaires (assurance ou "mutuelles" qui se partage le "marché") remourseront la plus grande partie des soins courants, la propagande gouvernementale et médiathique, nos oligarchies politiques sauront tenter de nous convaincre des bienfaits de la "libre concurrence".

    Le "bourrage de crâne" que nous avons vécu se reproduit déja : on nous serine le "déficit" de la retraite, le "déficit" de l’assurance maladie, le "déficit" des allocations familiales, le "déficit" des AT/MP, les "déficit" de l’assurance chômage.

    Ce que l’on ne nous dit JAMAIS , c’est que ces déficits sont savamment organisés par les exonérations des cotisations patronales.

    Pour l’oligarchie qui nous gouverne, c’est la faute des Vieux trop nombreux, la faute des Malades qui consomment des médicaments comme des sucettes, la faute des Malades qui s’arrêtent de travailler, la faute des malades de l’Amiante, la faute des Chômeurs

    RESISTANCES !

    Patrice Bardet

    patrice_bardet@yahoo.fr


    Les partisans du NON affirment que la Constitution programme la fin des Services Publics, c’est à dire la fin par exemple du monopole de la Sécurité Sociale.

    Une intense propagande des partisans du OUI prétend que les Services Publics seraient garantis par le traité Constitutionnel Européen. Mais défendons nous la même notion ? Certes NON !
    Lire par exemple « Les partisans du "OUI" et les Services Publics :

    En réalité, ce que « défendent » les partisans du OUI, c’est que la mission d’Etat de la Protection Sociale puisse être confiée à des entreprises privées soumises entre-elles à la « concurrence libre et non faussée ». En clair, les Assurance privées doivent pouvoir concurrencer la Sécurité Sociale dès lors qu’elles obéissent à un même « cahier des charges » fusse-t-il minimal, fixé par l’Etat. Pour l’assurance maladie, ce « cahier des charges », c’est la notion de « panier de soins ».

    C’est ce qui permet à AXA de concurrencer les Caisses Primaires d’Assurance Maladie pour la Couverture Maladie Universelle (CMU) : ils seraient devenus fous chez Axa ? Bien sur que NON, mais c’est un simplement un « investissement » de communication, la « vitrine sociale » pour Bobos , le « cheval de Troie » vers un « marché » bien plus juteux : l’assurance sociale du « soin de confort ».

    Rappelons que cette « concurrence » sur la CMU a été mise en place par le gouvernement « socialiste » Jospin, par une ministre « socialiste », Martine Aubry.

    Pour une approche un peu plus complète, on lira « Sécu, gouvernement, Constitution Européenne

    Le gouvernement RAFFARIN continue sur cette lancée et démantèle la Protection Sociale, dans la continuité des gouvernements de droite ou « socialistes » : l’exemple de la Caisse Nationale de Solidarité est un exemple…exemplaire !
    En très résumé :
     les personnes âgées dépendantes sont actuellement prises en charge par la Sécurité Sociale et par les départements (aide sociale) : les soins par les Caisses Primaires d’Assurance Maladie, l’aide ménagère par la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse des Travailleurs Salariés. On aurait pu confier l’Aide Personnalisée Autonomie (APA) à la Sécu dont c’est la mission de base : la protection sociale dans son ensemble devait être confiée à la Sécu par le Conseil National de la Résistance. Ce n’a pas été fait, par manque de courage politique (au mieux) ou pour préserver la part de « marché » : la protection sociale a été saucissonnée, avec les conséquences que l’on connaît, notamment pour l’assurance chômage, opposant les salariés aux privés d’emploi, les jeunes aux vieux, les malades aux bien portants, les actifs aux inactifs. L’APA a été principalement confiée aux départements : c’était un « choix » politique, celui de l’assistance d’Etat (financée par les impôts indirects injustes : l’impôt foncier et la taxe d’habitation, la TVA et autres taxes, impôts non proportionnels aux revenus) plutôt que la solidarité intergénérationnelle assise sur la création de richesse dans le lieu où elle se forme : l’entreprise ( à cet égard, rappelons que la seule richesse créée est du fait des travailleurs : le capital ne peut « fructifier » que sur l’exploitation de la force de travail , comme un cancer qui ne se développe que sur une cellule saine).
     ce gouvernement de droite extrême prétend faire payer par les seuls salariés la dépendance, met à bas les 35 heures, nous impose la « corvée de pentecôte ». Bien plus grave, il organise la sortie de la solidarité intergénérationnelle des salariés d’une catégorie de population : les retraités, comme si un retraité était autre chose qu’un travailleur…à la retraite.
     De même, les Caisses de Sécu, quand elles étaient majoritairement gérées par les administrateurs salariés élus (75% avant la « réforme » de 1967 – la CGT était majoritaire-) ont créé les « centres médicaux sociaux », maisons de retraite, établissements de soins, maisons de cure médicale, centres pour handicapés, cliniques, maternités, centres de rééducation et réadaptation des accidentés du travail, (etc, la liste est longue !) innovant constamment pour répondre aux besoins de sécurité sociale ou sanitaire des salariés et de leurs familles
     Depuis 1995, par la volonté des « politiques », les Caisses de Sécu – « pilotées » par la CFDT- se recentrent ( à marche forcée) vers la protection « minimale » : l’assurance ; les établissements médicaux sociaux sont progressivement fermés, vendus au privé (pour les plus « rentables » économiquement) , ceux qui restent détachés des Caisses d’origine, et « mis en concurrence » avec les acteurs du « marché » Privé.

    Rappelons aussi
     que le gouvernement « socialiste » Jospin s’est empressé de mettre en œuvre le plan Juppé et accentué la « maîtrise comptable » des dépenses de santé
     que le démantèlement du financement de la protection Sociale a été initié par le gouvernent Rocard, et que les gouvernements socialistes (ou non) successifs ont programmé l’exonération des « cotisations patronales » qu’ils nommaient eux aussi « charges patronales », au prétexte du « développement » de l’emploi. Mais Où sont passées les « promesses » d’embauche de 1.000.000 jeunes d’Yvon Gattaz et Chotard, les 400.000 d’Yvon Perigot, les 500 000 de Jean Gandois, promis en contrepartie des « allègements » de cotisation successifs ? Quand Rocard chiffre à 500.000 le nombre d’emplois créés par l’Euro, de qui se moque-t-il ? L’Euro, comme la politique du « franc fort » chers aux socio-libéraux, n’a fait que détruire l’emploi, jetant de plus en plus de travailleurs dans la misère. Le Traité de Maastricht devait conduire à l’Europe Sociale et assurer le plein emploi. Qu’en est-il aujourd’hui ? La destruction de l’emploi et des systèmes de protection sociale dans toute l’Europe, du fait des contraintes financières du pacte de stabilité.

    Les gouvernement successifs aidés par certains « syndicats » de « cogestion » ont toujours accentué cette dérive , étranglant le financement de la protection sociale. De 1981 à 1999, la part des entreprises dans le total des financements de la protection sociale a diminué de 10 points, passant de 53,8 % à 44,0 %. C’est une spoliation ! Les cotisations patronales sont du « salaire socialisé » : à chaque fois que l’on diminue la cotisation patronale, ce qui va dans la poche du patronat est volé aux travailleurs (actifs ou inactifs). En 2003, ce sont 20 milliard d’euros d’exonérations sur les cotisations sociales que les patrons n’ont pas décaissé. Et on ose nous parler de « déficit ». Il est simplement organisé !

    En 2001, le MEDEF, dans son projet de « refondation sociale » annonçait la ligne politique « il faut bâtir une protection sociale moderne qui accorde la plus grande place aux services ». Ces « services » étant accessibles, pour le patronat, par la « cotisation », ceci implique que sans cotisation, l’entreprise se dégage de toute solidarité avec les « non productifs ». Ce n’est rien moins que le retour à la « charité publique » comme « filet de sécurité ». Une illustration évidente est celle de la couverture maladie complémentaire. Les « mutuelles » d’entreprise ( mutuelles dites de « groupe ») sont financées en moyenne à 60 % par le patronat, qui entend donc réserver la protection sociale à ses seuls salariés, et refuse toute solidarité avec les autres (rappelons que moins de 20 % des salariés sont couverts par une mutuelle cofinancée par l’entreprise et qu’un retraité perd automatiquement tout droit, de même le salarié licencié ou mis en invalidité, accidenté du travail, ou atteint d’une maladie professionnelle).

    Ces Services élémentaires ainsi définis sont bien entendu soumis à la « concurrence », l’Etat étant chargé de définir le « cahier des charges » d’un « service de base », service de base qui peut être rendu par un organisme d’Etat (ou semi-public comme la Sécu), ou un organisme lucratif privé, les « services » complémentaires étant apportés dans le seul intérêt du capitalisme.

    A cet égard, la constitution européenne soumet à la concurrence libre et non faussée les Services d’Intérêt Économique Général ( article III-166) et interdit de d’aider ces entreprises (telles la Sécu), même classées SIEG (article III-167).

    Ainsi donc la boucle est bouclée !

    RESISTANCE !