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"Le capitalisme à l’agonie", le nouveau livre de Paul Jorion.
Publie le lundi 21 mars 2011 par Open-Publishing4 commentaires
Vingt ans après la chute du mur de Berlin, l’essayiste Paul Jorion prononce l’oraison funèbre du capitalisme. Dans son nouveau livre ("Le capitalisme à l’agonie"), il analyse les causes de sa mort prochaine et donne des pistes pour l’avenir.
La Tribune : Vous annonciez en 2007 la crise du capitalisme américain. Aujourd’hui, le capitalisme serait, selon vous, à l’agonie. À quand l’acte de décès ?
Paul Jorion : Sa chute est désormais certaine car il est entré dans une dynamique d’implosion que seules pourraient enrayer des mesures dont il est clair maintenant que nos dirigeants ne les prendront pas, et tout retard supplémentaire rend un redressement éventuel plus difficile. Le répit de la Bourse ne doit pas faire illusion. Les déséquilibres sont toujours là. Et la crise financière a ruiné les États. Ils n’ont plus les moyens de financer une protection sociale qui permettait d’entretenir la croyance que tout le monde pouvait profiter du système. Or, ce système est très dur pour ceux qui ne sont plus protégés. Regardez aux États-Unis : 100.000 personnes défilent dans les rues de l’État du Wisconsin, en majorité des Blancs de la classe moyenne, pour protester contre la suspension des droits syndicaux. Et la Grande-Bretagne ne pourra pas démanteler sa protection sociale sans réaction. Les mouvements de contestation vont se multiplier et accompagner l’effondrement du capitalisme.
La Tribune : La crise actuelle n’est donc pas une crise cyclique dont le capitalisme se relèvera comme toujours ?
Paul Jorion : Je ne crois pas aux crises cycliques, une théorie très conservatrice qui fait croire qu’il y aura toujours un paradis après l’enfer et qui exclut par principe l’écroulement du système. Les crises ne sont jamais les mêmes. Le monde change avec les crises. C’est un point de vue que je partage avec Marx, qui fut le seul économiste moderne à prévoir la fin du capitalisme. En revanche, nous divergeons sur les causes de sa disparition. Marx l’explique par la baisse tendancielle du taux de profit. Or, les profits n’ont jamais été aussi élevés. La définition extrémiste que nous avons donnée à la propriété privée génère par le mécanisme des intérêts une concentration inéluctable des patrimoines. Pour pallier celle-ci, le crédit croît, et le système s’en trouve toujours davantage fragilisé. L’argent appelle l’argent, les riches prêtent de plus en plus et consacrent leurs excédents à la spéculation alors que les ménages tombent dans une spirale d’endettement. Le jeu prend fin lorsqu’il n’y a plus assez de joueurs.
Est-il encore temps de sauver le système ?
Il y a eu une fenêtre de tir entre 2008 et 2010 pour tenter de sauver le capitalisme, du moins dans un état de fonctionnement comparable à celui où il était auparavant. Mais il aurait fallu pour cela engager un certain nombre de réformes de fond, notamment dans la finance. Mais, après les injections massives de liquidités dans le système, les dirigeants ont finalement prétendu que l’on pouvait le rétablir exactement comme avant, mais sans le bouclier social. C’est une erreur d’une grande naïveté, qui devrait accélérer sa chute. Car la situation est encore pire qu’elle ne l’était avant la crise en termes de concentration de richesses et de puissance de la finance. Contrairement aux années 1930, où il y a eu une redistribution de l’argent, toutes les mesures prises depuis 2007 ont toujours protégé ceux qui avaient de l’argent, les banques et les investisseurs.
Quelles seraient alors les mesures à prendre ?
La priorité doit être d’empêcher la concentration de la richesse. La fiscalité peut aider mais elle ne suffira pas. La question des salaires et du partage de la valeur ajoutée est également centrale. Ce qu’il faut, ce sont des réformes radicales pour changer de trajectoire, notamment dans la finance, qui est à l’origine de beaucoup de problèmes. Interdisons par exemple les paris sur les fluctuations de prix, qui sont à mes yeux, l’un des éléments qui a le plus corrompu le système. Les banques doivent revenir à leur fonction première, l’intermédiation et les activités assurantielles sur des actifs existants, pour soutenir l’économie.
Les gouvernements semblaient avoir pris conscience très tôt de la gravité de la crise. Comment expliquez-vous cet immobilisme ?
Il y a eu une réelle volonté de changer les choses. L’une des explications de cette volte-face est de dire qu’il existe une oligarchie surpuissante qui dirige nos pays et que cette oligarchie n’a pas voulu abandonner une once de pouvoir. Cette explication, la plus couramment avancée, est insuffisante, voire erronée. À mon sens, le véritable responsable de cette inertie est la faillite de la science économique. Elle s’est montrée incapable de fournir une grille d’analyse et une boîte à outils pertinentes. Les politiques se sont tournés de bonne foi vers les économistes mais ils n’ont trouvé que des personnes dont le discours confortait ceux qui avaient précipité le monde dans la crise. La science économique actuelle ne sert qu’à produire une idéologie, celle de l’omniscience des marchés, sur des postulats erronés, avec un vernis de complexité pour faire fuir les curieux. Finalement ? à l’exception de Keynes ensuite ? Marx, dans le prolongement d’Adam Smith et de Ricardo, a été le dernier des économistes capable d’appréhender le système de l’intérieur. Mais en associant à ses analyses un projet révolutionnaire, il a suscité un rejet total de toute l’« économie politique » dont il était le représentant. Il est grand temps de reprendre les choses là où il les avait laissées et de reconstruire une science économique digne de son nom.
Les pays émergents ne sont-ils pas l’avenir du capitalisme ?
Les émergents tentent de faire leur révolution industrielle avec beaucoup de retard. Ils reproduisent les mêmes schémas qu’en Occident et ils produiront les mêmes impasses. Seule la Chine est rétive. Les Chinois ne sont pas convaincus des vertus du capitalisme, ni même d’ailleurs de la démocratie. Ils sont dans l’expérimentation permanente sans avoir de théorie. Toutefois, ils ne peuvent s’extraire de la mondialisation et commencent à souffrir eux aussi des délocalisations.
La critique du système ne nourrit-elle pas le populisme ?
Le populisme se développe quand l’opinion a le sentiment de n’être plus représentée par les institutions. Comment manifester son opposition à ce qui se passe aujourd’hui ? Seuls les sondages expriment le ras-le-bol de l’opinion et ils dégagent souvent de larges majorités sur des questions posées. Mais ces majorités s’éparpillent un peu au hasard dès qu’il faut les traduire en intentions de vote. Il ne reste que des votes protestataires. Sans compter tous ceux qui ne votent plus car ils estiment que cela n’a plus aucun sens. La responsabilité des politiques est énorme : ils proclament la réforme du capitalisme et deux ans plus tard les mêmes disent que ce n’est plus la peine. Et Quand Marine Le Pen grimpe dans les sondages, la seule réponse politique est de changer la loi sur les sondages ! En fait, la politique n’a plus de contenu, et encore moins d’alternative à proposer. C’est aussi une faillite de la démocratie.
Une alternative au capitalisme est-elle réellement envisageable ?
Oui, on peut toujours briser les tabous, essayer des choses nouvelles. L’exemple de la Révolution française est très intéressant. C’est une période d’expérimentations dans laquelle on n’a pas encore les outils conceptuels pour comprendre ce qui se passe et proposer une alternative. Les révolutionnaires n’ont aucun exemple sur quoi fonder leurs expériences. Mais ils avaient la volonté de tout remettre à plat et ils ont réussi à bâtir un projet politique et un Etat moderne dont Napoléon saura récolter les fruits.
Croyez-vous en un 4 août des PDG du CAC 40 ?
Oui, car les élites commencent à douter.
(*) "Le Capitalisme à l’agonie", Fayard, 340 pages, 20 euros.
Messages
1. "Le capitalisme à l’agonie", le nouveau livre de Paul Jorion., 21 mars 2011, 20:20, par astana
l ’article est tres encourageant pour les marxistes.mais quand meme je ne vois pas pourquoi marx se srait tromper sur les causes qui president au changement
ou au remplacement de l’ancien mode de production par un nouveau ??.
– la baisse tendentielle du taux de profit reste entre autre ,l’une des causes essentielle et determinante dans le phénomeme de la colonisation des peuples du SUD ;
– elle reste aussi essentielle dans le phénomene des delocalisations des industries et des services vers des pays ou la valeur travail est 10 fois inferieurs ,et c’est tout a fait ce que nous vivons presentement ;
– votre reticence sur la theorie marxiste, je la comprends ,mais, c’est aussi comme çà que vous aussi vous contribuez a ce que vous appellez ""la pauvreté de la science economique""" ;
– la pauvreté de la pensée economique est liée au plan pour la lutte contre le communisme et le marxisme , vous avez certainement remarquez comment les altermondialistes avec leur cohorte de""""SCIENTIFIQUES AUTO PROCLAMES""", qui s’ acharnent a detruire toute la théorie marxiste ,et, a les entendre ,MARX se serait gourré partout . en plus comme vous dites ils n’apportent pas de nouvelles solutions et je dirais meme qu’ils n’ ont meme pas vu venir la crise !!!.
– en fin le marxisme,ce n’est pas seulement la """planification imperative"""
c’est aussi une conception et une vision du monde basée sur de nouveaux rapports de productions qui exclue la propriété privée sur les moyens de productions et de la finance.
– mais quand meme bravo pour cette tres interessante reflexion qui merite d’etre approfondi......
1. "Le capitalisme à l’agonie", le nouveau livre de Paul Jorion., 21 mars 2011, 21:06, par Marxouri1
Trop de rigolos prétendent avoir "dépassé Marx", mais bien peu l’ont vraiment lu, et encore moins ont essayé de vraiment mettre leur comprenette à sa hauteur : c’est tellement plus bling bling gratifiant, de déclarer "moi je pense comme marx mais j’ai en plus , enfin, une idée moderne que marx n’a pas eue sur la dimension minimale des préservatifs pour ne pas détruire le taux de profit d’un coup tiré à la hussarde"...
Oui, vraiment, c’est du mauvais goût ce Jorion ! allons plutôt voir du côté des chercheurs sérieux, qui ne se disent pas quites de tous comptes avec cette sacrée "pensée marxienne" !
Il y en a aux USA, en France , en GB, et ...fort peu en Italie...quant à la Chine, sait-on jamais ? la recherche y est de moins en moins freinée, ce serait une bonne "surprise" que la "renaissance intellectuelle" y accompagne le récent virage économique "social" ! Mais ne rêvons pas : le plaisir de la société de consommation c’est surtout celui de ne pas réfléchir ...!
2. "Le capitalisme à l’agonie", le nouveau livre de Paul Jorion., 7 avril 2011, 19:46, par Redford
Je vois en tous cas des rigolos qui n’ont pas lu Jorion. Il dit que Marx a tort sur la cause de la chute du capitalisme par la chute tendancielle des profits parce que, tout simplement, cette baisse tendancielle n’a pas lieu - c’est même le contraire. Ça ne l’embêterait pas du tout que Marx ait eu raison mais il ne va pas non plus défendre l’indéfendable. Au demeurant, il conclut en disant "est ce que le rôle de Marx dans l’histoire sera sérieusement minoré s’il s’avère que son pronostique de la chute du capitalisme, s’il s’est avéré exact, n’aura pas été du, dans le détail, à la cause qu’il avait imaginé ? J’en doute."
Il donne un rôle essentiel à Marx : à un moment il dit même que c’est le dernier véritable économiste. Mais il est critique, tout comme il l’est de Keynes, ce qui ne l’empêche pas de trouver des mérites au BANCOR.
En revanche, il explique gentiment mais fermement que les marxistes "intégristes" qui refusent d’envisager que l’humain Marx ait pu se tromper sur quelque chose, et ce même quand les faits le montre sans appel ne sont pas pour lui des interlocuteurs sérieux. Surtout quand on a, comme lui, suffisamment bien lu Marx pour savoir que cette cause a été évoquée dans des textes qu’il avait refusé de publier de son vivant, les jugeant insuffisamment finis.
2. "Le capitalisme à l’agonie", le nouveau livre de Paul Jorion., 22 mars 2011, 06:25, par yapadaxan
Si on résume, le capitalisme est irrémédiablement foutu, mais, in fine, le capitalisme peut s’en sortir !!!...
Hein ? Glop, pas glop, c’est ça la dialectique. S’en sortir, oui, mais comment ? En dissociant, chez Marx, l’analyse du capitalisme, le seul qui l’ait compris de l’intérieur, de son projet politique révolutionnaire. Bin voyons...
Attention au titre : le capitalisme à l’agonie. Qui dit agonie, dit mort. Or, l’auteur n’emploie pas le mot. Il suggère mais s’arrête in extremis. Pourquoi ? Parce que dans son scénario fictif, il évite et veut éviter cette triste fin pour lui.
Et Marx est clair à ce sujet : le capitalisme ne mourra pas de lui-même. Il faudra accoucher du socialisme. Ce sont les révolutionnaires qui, en renversant le capitalisme, mettront en place les fondations de la nouvelle société socialiste.
Et donc le capitalisme ne peut pas mourir de sa propre mort, et donc le capitalisme n’est pas à l’agonie.
Ecueil 1 : éviter de faire croire que le capitalisme peut mourir de lui-même, sinon à quoi servirait la théorie de la lutte des classes ? Il n’y aurait plus qu’à attendre que tout se fasse tout seul.
Ecueil 2 : éviter que le capitalisme ne se prolonge comme le suggère Jorion à coups de grandes réformes.
Ceci est un chef-d’oeuvre du réformisme, du renoncement. Un appel à ne pas renverser le capitalisme. Un appel à le prolonger. Il s’attache à décourager toute perspective révolutionnaire. Et c’est exactement ce que font le PS et le PCF, rallié au réformisme.