Le modèle d’Europe qui nous était proposé par le référendum n’existait déjà plus !

de Paul Saint-Aubin, Historien, Toulouse

Je m’étonne un peu des "sanglots longs"de la majeure partie des éditorialistes de la presse dite "de gauche" devant le résultat du référendum. En effet, Je crois que les NON qui se sont manifestés, à l’occasion des élections référendaire sur la "Constitution européenne" ne tombaient pas du ciel mais ont été préparés par de nombreux facteurs parmi lesquels, la "facilité" des gouvernements nationaux à faire "porter le chapeau" de leurs politiques peu populaires à l’Europe, mais aussi par l’enfermement de celle-ci dans un cadre désormais obsolète qui méconnaissait ses nouvelles vocations et missions, désormais essentielles de stratège économique et de bouclier social pour les Peuples européens.

Keynes avait l’habitude de dire que : "Les hommes sont autant les fils de leur époque que ceux de leurs pères". Or l’ Europe qui a été fondée en 1957, sur un compromis libéral (surtout démo-chrétien) et socialiste n’est plus la même que celle qui avait été pensée et initiée par Jean Monnet et construite durant les "trente glorieuses".

Cette Europe et ce compromis ont désormais cinquante ans, ce qui est considérable à l’aune de l’accélération de l’histoire et des techniques.
Or cette "Europe des six" avait été bâtie, dix ans après une période de guerre et de pénurie, où il s’agissait prioritairement de nourrir sa population (cela explique les conditions particulièrement favorables faite alors à la politique agricole commune, (La fameuse "P.A.C" tellement brocardée par le libéral-travailliste Tony BLAIR ).

En outre, les outils économiques qui prévalaient alors, étaient au niveau mondial, jusqu’en 1971, le système dollar qui obligeait les États à respecter de manière assez égale (même pour les USA) une certaine discipline monétaire.
Quant à l’outil budgétaire, il était fondé sur le consensus Keynésien avec ses politiques de relance nationale qui sont restées encore possible jusqu’à la fin des années soixante-dix.

Toutefois, ce cadre économique, relativement sécurisant sur le fondement duquel l’ "Europe des six" a bâti son succès et sa puissance, a été balayé par l’abandon, en 1971, du système de change fixe par les USA et par l’absence de contrôle des mouvements devenus browniens des capitaux et par l’entrée en crise des politiques keynésiennes menées au niveau national, la dernière en date ayant été initiée par les gouvernements Mitterrand-Mauroy de 1981 à la mi-1983.

Au moment même ou l’Europe s’élargissait presque jusqu’à l’excès et sans réfléchir vraiment à la réalité historique de ses frontières (il n’est qu’à réfléchir honnêtement aux risques non calculées induits par les promesses inconsidérées faites à la TURQUIE ! en vue de son adhésion), le moteur de la locomotive européenne était privée de "charbon" ou d" électricité", c’est-à-dire des trois véritables outils, soit monétaire, soit budgétaire ou celui d’une politique d’emprunts, lui permettant de piloter et de conduire ses 25 "wagons" !

Or face aux ressacs et aux cruautés sociales de la mondialisation, les Peuples ne peuvent se contenter de pieuses invocations à la démocratie et du rappel de leur héritage culturel commun ; ils ont aussi besoin de plus concret et substantiel et notamment de se sentir efficacement protégés des affres de la concurrence et surtout de ce qu’il perçoivent comme un emballement non maîtrisé de l’économie mondiale.

Or malheureusement le projet qui leur a été soumis correspondait au renouvellement d’un compromis dépassé et en rajoutait même dans l’incertitude en se donnant le luxe de constitutionnaliser le principe de "concurrence libre et non faussé". Autant dire à des catégories sociales qui craignaient de se noyer qu’il était sage de jeter par dessus bord toute bouée de sauvetage !

* Le gros problème est aussi de nature générationnelle comme il le fut aussi pour notre État-major en mai 1940 ... et les responsables, tels Valéry Giscard d’Estaing qui ont eu la mission de préparer ce projet de Constitution étaient en retard d’une étape de l’Europe et de la Mondialisation ! Il existe aussi de nouvelles "lignes Maginot" en économie ...

En effet, ce n’est pas en pleine compétition mondiale qui peut déboucher sur une crise de solvabilité des États-Unis et/ou sur une crise de surproduction venue de la dictature communisto-ultra-libérale Chinoise, qu’il convient de jeter par dessus-bord les outils monétaires, budgétaires et d’abandonner toute stratégies de relance post-keynésienne afin de mener une politique de régulation économique continentale.

Mais pour ce faire, mieux vaut ne faut pas se tromper de décennie, sachant que le temps d’une décennie actuelle vaut désormais l’équivalent d’ un demi-siècle passé de bouleversements comme nous le montre l’actuelle transformation féroce et non maîtrisée de la Chine, au regard de l’accroissement de puissance des techniques. Nous savons aussi que demain viendront d’autres géants qui ont pour nom l’Inde , le Brésil plus tard l’Indonésie.

Or, pourquoi s’enfermer, face à ce véritable séisme économique incontrôlé et s’enfermer dans des postures inefficaces, visant à faire semblant d’ être les meilleurs élèves du dogme monétariste ou les "derniers des mohicans" de cette prétendue"libre concurrence"sans rivage, qui fait rire sous cape les vrais économistes et qui, appliquée de manière indiscriminée ne peut que jouer contre les Peuples européens et les acquis sociaux conquis par un siècle et demi de luttes ?

Malheureusement comme avait plaisir à le dire en amphi, mon ancien professeur Bianconi, professeur à l’I.E.P. de Toulouse : "Il y a vieillissement des idées comme il y a a vieillissement des artères" et nous avons le triste privilège d’être "gouvernés" et "pilotés" par des gens qui ont peu le temps ou le goût de lire et qui ne sont plus si jeunes surtout d’idées...

A ne pas se renouveler, s’obstiner à ne pas écouter les Peuples et vivre dans un Univers d’une Europe et d’un Monde "bisounours", il n’est malheureusement pas étonnant d’aller de mécomptes politiques en d’échecs électoraux, en faisant toujours plus de déçus et en mettant finalement en danger l’assise même de la démocratie.

La seule vraie question du moment qui compte vraiment devrait être : la défense concrète de nos Peuples et la sortie de la "préférence européenne pour le chômage" !