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Le monde entier, à l’exception de tous les autres...

Publie le mardi 27 mai 2008 par Open-Publishing
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Dans L’Orient-Le Jour :

[...] la direction du PSNS a indiqué, dans un communiqué, que « les images du massacre de Halba sont plus sincères que ses discours. Et le monde entier est témoin de l’horreur de ce massacre ». Le communiqué a poursuivi que « la réponse de Hariri à la télévision al-Manar ne l’empêche pas de porter la responsabilité, car nous sommes les martyrs ».

C’est là une situation exemplaire. Vraiment exemplaire.

Le gars du PSNS pense que « le monde entier est témoin de l’horreur [du] massacre [de Halba] ». Il n’a pas de raison de douter que ce soit le cas : depuis quelques jours, les images (insoutenables) de ce massacre circulent sur Youtube et ont été diffusées par Al-Manar (la chaîne de Hezbollah).

Selon le commentaire qui accompagne ces images, il s’agit de membres du PSNS lynchés par des militants du clan Hariri. On y voit des hommes blessés entassés avec des cadavres, sur lesquels une petite foule s’acharne jusqu’à la mort.

Description par Al-Manar :

Meanwhile, Al-Manar and other TV stations broadcasted on Tuesday footage of a massacre in the making in the Halba village by Saad Hariri’s Mustakbal militiamen against members of the Syrian Socialist Nationalist Party (SSNP). The horrific footage showed the barbaric and brutal nature of the perpetrators. The footage showed how some executed SSNP members were lying on the ground, while others were still dying. Hariri’s Mustakbal militiamen were beating up those dying. In the footage, heavy stone blocs with sharp edges were seen saturated with blood. A young man, still in his ’teens, was dying and coughing blood out of his mouth. This cruel crime took the life of eleven young men.

Nul ne peut réellement ignorer ces images de barbarie, même dans le camp de la majorité, puisque Saad Hariri s’est défendu, prétendant qu’il s’agissait d’une manipulation, et que ce sont les membres du PSNS qui s’étaient en fait attaqués à une manifestation pacifique (on n’insistera pas trop sur la contradiction de cette explication : « c’est une manipulation, ce ne sont pas des membres du PSNS qui sont lynchés par des militants Hariri, et de toute façon ils l’ont bien cherché, puisque ce sont les membres du PSNS qui ont attaqué les militants Hariri en premier »).

J’ai reçu les liens vers ces vidéos dès le premier jour, elle circule toute vitesse sur FaceBook, dans les blogs, c’est évoqué sur Syria Comment, Angry Arab et les autres et c’est montré (au moins) sur Al-Manar ; bref ça fait beaucoup de bruit.

Et là où c’est particulièrement sidérant, c’est que si chacun dans le monde arabe a entendu parler de cette image et que le PSNS croit pouvoir annoncer que « le monde entier est témoin de l’horreur de ce massacre », aucun média occidental n’a évoqué cette affaire. Non, vraiment, non. Ce genre de sujet c’est pour les Arabes ; dans la presse libre du monde libre, ça n’intéresse personne. Dans la presse libre du monde libre, il y a des milliers de journaux, des centaines de milliers de journalistes, et aucun ne juge intéressant de faire une brève là-dessus ; ni pour évoquer le massacre, ni même indirectement pour évoquer le scandale qu’il provoque.

Tout ce que vous trouverez, ce sont des mentions similaires à celle-ci :

Dans le nord du Liban, à Halba, 14 personnes, dont des civils, ont péri lors de combats entre militants d’un parti pro-syrien et partisans d’une formation pro-gouvernementale.

Les images et de nombreux témoignages suggèrent que cette information est factuellement, totalement fausse. Information qui, depuis, est une question dangereuse au Liban (parce que qui dit massacre dit vengeance, dit autres massacres, etc.). Mais non, vraiment, ça ne nous intéresse pas. J’invite le lecteur curieux à chercher « Halba » dans Google News France et États-Unis, le résultat sera spectaculaire. Rien. À part des médias libanais francophones et anglophones, c’est le néant.

Réponse donc au gars du PSNS : non, le monde entier n’est pas témoin de ce massacre. Le monde entier n’a rien vu. Les journalistes du monde entier ont autre chose à faire.

Est-ce le syndrome Timisoara ? Par peur de l’erreur ou de la manipulation par les images, nos médias préfèrent ne pas relayer... Sans doute, oui, ça doit être ça. Mais si ces images avaient été titrées « des membres du mouvement du Futur torturés et massacrés par le Hezbollah », je me demande si les médias occidentaux auraient eu autant de scrupules. Et, encore une fois, on peut prendre du recul par rapport aux images et tout de même évoquer le scandale et le débat qu’elles provoquent au Liban.

À part ça, toujours sur le front médiatique, je vous rappelle que, selon Mouna Naïm du Monde, « Les milices réduisent au silence des médias progouvernementaux ». Les « 312 mots » de cet article du 11 mai annonçaient que la censure du Hezbollah s’abattait sur les médias du groupe Hariri.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Hé bien pour le lecteur du Monde, la censure islamo-iranienne sévit certainement toujours à Beyrouth, puisque personne au Monde n’a jugé intéressant de signaler ceci :

13 mai, 16h30 : Reprise de la retransmission de la chaine FuturTV proche du dirigeant du Courant du Futur, Saad Hariri.

Ainsi la chaîne a repris le cours normal de ses émissions : Saad Hariri y a immédiatement annoncé qu’un conflit entre sunnites et chiites avait débuté au Liban.

On a eu droit dans nos médias à de nombreux commentaires sur la censure qui s’abattait soudain sur le Liban. Aucun n’a jugé bon de signaler, quelques jours après, que les médias Hariri avaient repris le travail.

Aucun média n’a non plus jugé intéressant de passer cette notule :

La chaîne de télévision NBN a confirmé dans un communiqué l’arrêt de la retransmission des programmes des chaînes NBN, Al Manar et OTV dans le Nord Liban.
Ce même communiqué accuse des partisans du Courant du Futur d’avoir saboté les locaux de retransmission des chaînes à Tripoli et dans le Akkar avant de condamner l’agression de 2 journalistes de la chaîne Al Manar. La NBN appelle le ministère de l’information et les responsables de l’association de la presse à prendre les mesures pour garantir la liberté d’expression et prévenir les attaques visant les médias.

NBN, Al Manar et OTV étant les télévisions des principaux partis de l’opposition (Amal, Hezbollah, Aoun).

Notons encore que, puisqu’on n’avait pas appris cet arrêt des retransmissions, aucun média ne nous indique si elles ont repris depuis. Quant à la NBN qui réclame des mesures pour « garantir la liberté d’expression », c’est évidemment ironique : NBN est la télévision du parti Amal, dont la milice était en première ligne dans les affrontements à Beyrouth, affrontemens qui ont provoqué l’arrêt des émissions de Futur TV.

Publié par Nidal le vendredi, mai 16, 2008
http://tokborni.blogspot.com/2008/0...
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Merci Nidal !