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Le syndrome de la guerre du Golfe n’a pas eu lieu

Publie le jeudi 15 juillet 2004 par Open-Publishing

Rendue publique mardi, l’étude menée par l’équipe du Pr Salamon conclut à l’absence de syndrome spécifique aux vétérans du conflit de 1990-91 • Pour l’association de défense des malades Avigolfe, ces conclusions sont partiales •

Par JEAN-DOMINIQUE MERCHET

e syndrome de la guerre du Golfe n’existe pas. Au terme de trois ans d’enquête épidémiologique sur la santé des vétérans du conflit contre l’Irak (1990-1991), l’équipe de l’Inserm du Pr Roger Salamon, épidémiologiste à Bordeaux, est arrivée à cette conclusion tranchée. « Mais si on s’arrête là, c’est une idiotie », a-t-il précisé, car cela « ne veut pas dire qu’il n’y a pas des conséquences dont peuvent se plaindre les militaires », qui imputent leurs maladies à leur participation à la guerre.

Dans son rapport, remis mardi au ministère de la Défense, le chercheur écrit que « les résultats de l’enquête n’ont pas démontré l’existence d’un syndrome spécifique, ce qui est concordant avec les résultats de la plupart des études étrangères ». Une enquête britannique, menée par l’Ecole de médecine tropicale de Londres auprès de 40.000 soldats, vient d’ailleurs d’aboutir à la même conclusion : « Il n’existe pas de syndrome unique de la guerre du Golfe ». Même l’association Avigolfe, qui regroupe des vétérans français malades, en convient aujourd’hui. « Nous parlons de maladies de la guerre du Golfe, pas d’un syndrome », explique sa porte-parole, Christine Abdelkrim-Delanne.

Pensions

Pas de syndrome, donc, mais des malades. Et même un nombre de « signes fonctionnels (maux dont se plaignent les malades, ndlr) plus important que ce à quoi on pouvait s’attendre », avoue le professeur. « 2.255 sujets ont rattaché au moins un de leurs symptômes à leur mission dans le Golfe. Les plus souvent cités étaient le mal de dos, la dépression, les pertes de dents et les douleurs articulaires », affirme le rapport, qui ajoute que « des cancers ont été rapportés par 64 sujets ». Ces maladies sont-elles réellement une conséquence d’une participation aux opérations militaires ? L’association Avigolfe l’affirme et le professeur Salamon n’apporte pas de réponses définitives. Il note cependant que « 24 pensions d’invalidité ont été imputées à la mission dans le Golfe » sur les 150 demandes signalées depuis 1991. Plusieurs facteurs auraient pu provoquer des maladies : l’exposition à des gaz toxiques ou à de l’uranium appauvri, la prise de médicaments psycho-stimulants, des problèmes de vaccination, le stress, etc. Mais à chaque fois, c’est au malade de fournir la preuve que son affection est directement liée à la guerre, ce qui, dans la réalité, se révèle quasiment impossible.

Reste à savoir s’il y a plus de malades chez les vétérans -ou parmi leurs descendants- que dans une population comparable qui n’aurait pas participé à la guerre. En matière de « malformations congénitales » des enfants, les chiffres sont identiques. Pour les cancers, « les sujets ayant participé à l’enquête présentent une fréquence moins importante que la population française ».

Sans l’action d’Avigolfe, jamais les ministères de la Santé et de la Défense n’auraient commandé une telle étude épidémiologique, mais les conclusions ne la satisfont pas. L’association, qui a déjà recensé 31 décès et suit plus de 300 dossiers, « rejette » les résultats de cette enquête qu’elle juge « pas indépendante ».

Antidotes

« Des critiques peuvent être avancées », reconnaît le professeur Salamon dans la présentation de son étude. D’abord, « la validité de l’information recueillie, faisant appel à la mémoire des sujets, en ce qui concerne les expositions (à différents produits toxiques, ndlr) sur le terrain ». L’enquête a eu lieu plus de dix ans après les faits et les archives militaires sont très déficientes. Durant des années, le ministère affirmait que jamais l’ordre de prendre des antidotes contre les armes chimiques n’avait été donné, avant que le général commandant l’opération Daguet explique le contraire ! Le « taux de réponse » pose aussi problème : « Les résultats présentés ne concernent que les sujets joignables et ayant accepté de répondre ».

Pendant longtemps, le ministère de la Défense n’a pas été capable de fournir le nombre exact de militaires ayant participé à cette guerre. Les évaluations ont varié de 18.000 à 25.000. Finalement, « une liste de 20.261 militaires a pu être élaborée », assure le rapport. Or, seule la moitié d’entre eux (52%) a pu être retrouvée. Les autres -surtout des jeunes engagés qui ont depuis quitté l’armée- ont disparu dans la nature. Et, sur cette moitié, à peine 54% ont finalement répondu. Au final, l’enquête a donc porté sur 5.666 vétérans, soit 28 % de la liste initiale. Parmi eux, une majorité de militaires toujours en activité. L’enquête comprenait également la possibilité de passer un « bilan médical » gratuit, qui n’a concerné que 1.008 vétérans. Sur 20.000, c’est quand même peu.

http://www.liberation.com/page.php?Article=223517