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« Les Antillais veulent la République, pas l’indépendance »
Publie le jeudi 26 février 2009 par Open-Publishing« Les Antillais veulent la République, pas l’indépendance »
INTERVIEW | Les violences en Guadeloupe et en Martinique sont de nature semblable à celles des banlieues en métropole explique le professeur Justin Daniel.
De notre correspondant à Paris Jean-Noël Cuénod | 26.02.2009 | 17:14
Alors que les négociations entre grévistes, patronat et représentants du gouvernement français paraissent prendre bonne tournure en Guadeloupe, la Martinique a connu une nouvelle nuit d’émeute, non seulement à Fort-de-France mais aussi dans d’autres communes. Auteur de nombreux ouvrages sur les Antilles et professeur de sciences politiques à l’Université de la Martinique et de la Guyane à Fort-de-France, Justin Daniel (51 ans) nous donne quelques clés pour comprendre la crise antillaise.
Comment expliquer les violences qui secouent actuellement les Antilles françaises ?
Il faut tout d’abord souligner qu’elles ne sont pas causées par les collectifs de syndicalistes qui font tout – notamment le LKP en Guadeloupe et son homologue à la Martinique – pour éviter les débordements. En fait, ces violences sont de nature assez semblable à celles qui ont embrasé les banlieues de la région parisienne ou d’autres cités de la métropole. Elles sont le fait de jeunes qui se trouvent dans un état de désespérance extrême et s’attaquent aux symboles de la société de consommation pour assouvir leurs frustrations. L’économie souterraine, les trafics de drogue et d’armes ainsi que les conflits qui leur sont liés entrent pour une bonne part dans ces explosions. Il y a quelques années, j’ai coordonné un rapport à l’intention du ministère de l’Outre-Mer à propos de ces nouvelles poches de pauvreté « désintégrante » qui s’ajoutent à des formes de pauvreté plus classiques. Depuis la situation n’a fait que s’aggraver avec l’émergence de nouvelles figures de l’exclusion qui font terriblement peur.
Les négociations entre grévistes, patronat et représentants du gouvernement français paraissent sur la bonne voie. Sortirait-on de la crise en Guadeloupe mais aussi en Martinique ?
En Guadeloupe, il y a une lueur d’espoir. Mais les collectivités locales devront financer en partie les aides prévues. Or, en Martinique, ces collectivités locales, notamment le département, ont déjà été mises fortement à contribution et ne me semblent pas en mesure de pouvoir assumer de nouvelles dépenses. Dès lors, la résolution du problème social en Guadeloupe n’aura pas forcément d’effet sur la Martinique ou, à tout le moins, les solutions ne pourront pas nécessairement être étendues.
Le Figaro publie aujourd’hui un sondage estimant que 51% des Français de la métropole désirent l’indépendance de la Guadeloupe. Pourquoi les Martiniquais et les Guadeloupéens n’ont-ils pas réclamé leur indépendance à l’image des pays africains ?
La colonisation de l’Afrique par la France n’est survenue qu’au XIXe siècle, alors que celles de la Martinique, de la Guadeloupe mais aussi de la Réunion et de la Guyane s’est produite beaucoup plus tôt, au XVIIe siècle. Les liens avec la métropole sont donc beaucoup plus anciens et denses. Après l’abolition de l’esclavage, la revendication des Antillais n’a jamais varié, à savoir obtenir l’égalité en tant que citoyens de la République française. La très grande majorité veut la République et pas nécessairement l’indépendance. La création le 19 mars 1946 des départements d’outre-mer avait soulevé bien des espoirs. Toutefois, l’égalité réelle entre les citoyens français des Antilles et ceux de la métropole ne remonte qu’à 1996. Ce demi-siècle d’attente a suscité un désenchantement certain de la part des Antillais vis-à-vis de la métropole. Mais l’idée d’indépendance n’a pas fait son chemin de façon décisive. Même le mot « autonomie », politiquement et historiquement connoté, fait parfois peur, car il faut aussi tenir compte de la défiance de la population antillaise à l’endroit des autorités locales. Dès lors, la population hésite à leur donner trop de pouvoirs, tout en revendiquant la prise en compte de la différence et de leur identité propre. Toute la difficulté est là : élaborer un cadre institutionnel adossé à un nouveau modèle de développement répondant à ces aspirations qui peuvent paraître contradictoires.
Comment voyez-vous le destin des Antilles françaises ?
A court terme, il s’agit de sortir de la crise au plus vite car les violences deviennent insupportables pour la population. A moyen et long terme, il faut remettre à plat tous les rapports entre la métropole et les Antilles quitte à faire des révisions déchirantes, notamment, pour les dirigeants locaux. Le modèle de développement actuel est devenu néfaste et improductif. Il consiste à injecter de l’argent public de la métropole dans l’économie locale. Dans un premier temps, il s’ensuit une croissance économique rapide – elle est plus élevée dans les Antilles qu’en métropole ! Mais ce système provoque des dérèglements structurels qui déséquilibrent gravement l’économie antillaise, sans apporter de solutions à long terme. Il faut donc adopter un autre modèle, en développant au maximum les ressources locales et en mobilisant l’ensemble des citoyens autour de projets collectifs auxquels ils adhèrent et dont ils assument également les conséquences.