Accueil > Les banques, le Parmacrack et les fonds d’investissement

Les banques, le Parmacrack et les fonds d’investissement

Publie le mercredi 25 février 2004 par Open-Publishing

Traduction

de Pjotr (pseudonyme d’un opérateur du secteur bancaire)

Je lis souvent avec beaucoup d’attention et je fais passer "il Granello" (version
italienne de "Le grain de sable", hebdomadaire d’information électronique de
ATTAC), en en faisant souvent suivre les articles les plus intéressants aux amis,
je suis opérateur de bourse et vous pourrez facilement imaginer la peine que
j’ai à faire cohabiter ma personne et mes idées avec le travail que je fais.
Comme je tiens à ce que le "Granello" ruisselle de vérité (selon moi, son incontestable
objectivité est sa grande force), je dois vous avertir que la phrase suivante
n’est absolument pas exacte : "Les banques connaissaient-elles la situation de
Parmalat ? Quiconque a fréquenté, même peu, même par la bande, les milieux de
la finance sait qu’à un certain niveau tout se sait et tout se répand. Mais,
justement, à un certain niveau : de là jusqu’en bas, plus rien ne filtre. Plus
que de réserve, il semble qu’il s’agisse presque d’omerta. Mais s’ils savaient,
pourquoi ont-ils continué à financer Parmalat ? Parce que, de toute manière,
les obligations émises ce n’était pas eux qui les possédait. Il les refilaient, évidemment en en vantant grandement les louanges et, surtout, en encaissant
de copieuses commissions, à leurs clients ignorants, éblouis par des intérêts à deux
chiffres mais absolument ignorants d’avoir en main à peine plus que du papier
chiffon."

Moi, le milieu je ne le fréquente pas qu’un peu et je puis vous dire que : les
intérêts n’étaient pas à deux chiffres mais que jusqu’à début novembre 2003 les
rendements nets et les titres Parmalat étaient conformes à leur estimation (rating
BBB-[considéré comme une bonne cotation, NdT]. Quant à qui détient ou détenait
les titres, la présence de Bondi et l’intervention du gouvernement s’expliquent
précisément par le fait que les banques et les "investisseurs institutionnels" détiennent
en portefeuille les obligations du groupe de Collecchio.

La différence substantielle entre le crack de Cirio et celui de Parmalat réside
précisément dans le fait que les obligations Cirio n’avaient pas de rating (notation,NdT)
et donc que ni les banques ni les investisseurs institutionnels ne détenaient
ces titres. Parmalat, au contraire, avait un rating et, de plus, pas mauvais,
et ceci parce qu’ils avaient truqué le bilan. (Et j’ai des raisons de croire
que s’ils ont réussi pendant 15 ans à aller de l’avant avec de faux bilans, s’ils
ont été côtés avec de faux bilans, c’est parce que seul, un cercle restreint
de personnes, SAVAIT, autrement le jeu ne peut pas durer aussi longtemps, tôt
ou tard quelque chose transpire.) En effet, ce n’est qu’ainsi que l’on peut expliquer
le fait que pour Cirio tout flotte dans un mystérieux verbiage alors que pour
Parmalat tout se mobilise tambour battant (je rappelle que Parmalat n’a encore
manqué le remboursement d’aucune obligation pour le moment, qu’il a été déclaré en
défaut et qu’une procédure d’intervention a été mise en œuvre avant même que
n’arrive matériellement quoi que ce soit), la raison est aussi simple que triste :
les victimes de Cirio ne sont que de petits investisseurs sans voix alors que
les victimes potentielles du crack Parmalat sont aussi les banques et les investisseurs
institutionnels qui, eux, ont la voix et les leviers du pouvoir.

Ce que sont les fonds d’investissement

Les fonds d’investissement sont une invention pas tellement récente, le concept
remonte à l’antiquité : les marchands phéniciens avaient coutume de répartir leurs
marchandises dans plusieurs embarcations car, de telle sorte, un accident en
mer n’aurait pas gâché tout le chargement ; le concept reste plus ou moins le
même : le petit épargnant peut, grâce aux fonds, diversifier ses propres économies/investissements
dans une grande variété de titres de telle sorte qu’il se trouve protégé des
risques de difficulté ou de crise de sociétés en particulier. Et ceci est un
aspect positif indiscutable mais il y a aussi malheureusement des aspects négatifs.
A ne pas négliger.

Déjà pour commencer, on peut dire que, en gérant les fonds, les banques exercent
un pouvoir dans le CA des entreprises sans rien débourser : ce sont les clients
qui achètent les titres et les banques, en les détenant, jouissent du pouvoir
qui en découle : ceux qui achètent des parts de fonds achètent, justement, des
parts, ils ne sont actionnaires de rien : l’actionnaire est le fonds. De plus
la composition du fonds est tout ce qui a de plus mystérieuse, elle change tous
les jours pour d’évidentes raisons de gestion mais ceci laisse la porte ouverte à des
opérations particulières ; les banques ont de nombreuses façons d’engager les
liquidités qu’elles récoltent : elles accordent des emprunts et des prêts et achètent
des titres. Certaines (comme je l’ai écrit hier) ont aussi acheté des titres
Parmalat pour leur bonne rentabilité. Mais, au moment où le crack s’est manifesté,
l’une ou l’autre aurait pu, malhonnêtement, avoir "vendu" aux fonds qu’elle gère
les titres incriminés, se déchargeant sur les titulaires des parts (=les épargnants)
du dommage financier. Quels moyens les épargnants ont-ils de savoir si cela a été le
cas et à quel prix ? Hélas, pratiquement aucun.

Vous comprendrez que comme ça, tout le monde aurait envie de gérer des fonds :
on achète des titres avec l’argent des autres (en percevant des commissions pour
la gestion et parfois également pour la souscription et/ou le désinvestissement),
on exerce de toute façon les pouvoirs qui en découlent comme si on les avait
achetés avec son argent et en cas de crack -mais pas seulement- le fonds devient
un énorme (ces fonds ont souvent capitalisé des milliards et des milliards d’euros)
chaudron où l’on peut "diluer" ces titres qui avaient pourtant été achetés avec
de l’argent concret. Il est évident que les possibilités de "dilution" se multiplient
avec l’augmentation des fonds en gestion, sur lesquels tartiner le discours :
celui qui gère trente fonds différents peut émietter les titres avant de les "diluer".

Et si nous y ajoutions la possibilité de soutenir son propre titre ? La banque "Arturo" veut
mettre en œuvre un mécanisme spéculatif sur ses propres titres, étant donné que
le marché s’alimente de l’offre et de la demande, quelle meilleure façon de faire
monter ou baisser le titre que de le faire avec les ressources d’autrui en utilisant
les fonds pour déplacer les volumes de la demande à l’offre et vice-versa ? et
encore : en cas de suspicion d’OPA (ou plus exactement de possibilité que quelque
autre banque cherche à acheter la banque "Arturo") quelle meilleure manière de
se défendre que de faire acheter par les fonds de la banque "Arturo" les titres
de la banque elle-même ? On fait monter le prix et on enlève du marché les titres
que d’autres pourraient ratisser, on peut ensuite demander ou apporter de l’aide à un
autre institut en formant d’importantes alliances transversales, toujours (rappelons-le)
sans aucun engagement de ses propres ressources.

La cerise sur le gâteau, c’est de trouver ensuite un réseau de placement des
fonds à coût zéro : comment donc est-ce possible ? Simple : un beau réseau de promoteurs,
convaincus - si l’on stimule leur individualisme - qu’ils peuvent obtenir des
gains majeurs s’ils acceptent d’être payés en pourcentage des commissions qu’ils
récoltent. Il n’est en aucune façon nécessaire de les former parce qu’ils se
débrouilleront tout seuls à s’informer et à vendre : sinon ils ne seront pas payés
et de plus on pourra faire pression sur eux grâce au fait qu’ils ont eux-mêmes
accepté d’ être "entrepreneurs d’eux-mêmes". On peut donc sur le marché voir
déambuler librement des promoteurs de produits financiers qui ne perçoivent des
commissions qu’en proportion de ce qu’ils vendent, donc sans aucun risque pour
l’institut puisque à production zéro, la ressource ne coûte rien et par-dessus
le marché on peut se défaire des structures de formation ou, le cas échéant,
créer des sociétés qui fassent de la formation auxquelles les promoteurs seront "invités" à s’inscrire.

Ajoutons que ces "entrepreneurs d’eux-mêmes" ne sont liés à aucun contrat national
mais négocient individuellement leur traitement économique, ils n’ont pas de
sigle syndical mais sont traités comme des salariés : ils sont soumis à un budget
et liés à une seule marque : c’est-à-dire qu’ils exercent une profession libérale
quand il s’agit de les payer et deviennent des professionnels qui ne sont plus
libres quand ils doivent décider quoi vendre.

GRAIN DE SABLE (n°122)
Bulletin électronique hebdomadaire de ATTAC ITALIE

traduit de l’italien par Karl et Rosa

Plus
d’info


22.02.2004
Collectif Bellaciao