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Les municipales de Bordeaux portrait succinct de la France électorale

Publie le jeudi 28 septembre 2006 par Open-Publishing

Les municipales à Bordeaux comme prétexte à un portrait succinct de la France électorale

Dans une dizaine de jours, élections municipales à Bordeaux. Cinq listes vont être proposées au suffrage des Bordelais. Ce scrutin a au moins le mérite d’être clair, contrairement aux futures et dernières élections présidentielles, avec plus d’une douzaine de candidats dont près de la moitié n’ont pas atteint les 5% alors que la majorité d’entre eux ne possédait pas les qualités requises pour exercer la plus haute fonction politique en ce pays. Mais au fait, pourquoi évoquer cette élection dont le résultat est connu par avance, dont l’objectif est simplement de « normaliser » une situation locale en remettant Alain Juppé aux commandes de la municipalité, ce dernier ayant été obligé de démissionner de son mandat de maire conformément à la loi républicaine ? En vérité, on voit transparaître une photographie représentative de la conjoncture politique contemporaine. Voyons quelles sont ces cinq listes.

En termes d’espérance de vote, les deux principales sont constituées d’une part avec les partis occupant la majorité actuellement, soit l’UMP, l’UDF et les divers droites, d’autre part avec les partis au pouvoir avant 2002, soit le PS, (le MRG) et le PC. Bref, la gauche de gouvernement, excepté les Verts qui feront une liste à part. La figure centrale est donc composée d’un paysage politique rappelant celui de la France après 1981, pendant le premier septennat de Mitterrand. A cette figure s’ajoutent trois formations rassemblant des tendances qui se sont affirmées avec force depuis 1981, autrement dit, traduisant de facto la représentation de craintes, ressentiments et colères manifestés au cours des vingt-cinq dernières années mais sans doute présents bien avant. Ces tendances sont devenues plus visibles dans les champs politiques et médiatiques, notamment l’antibéralisme consécutif aux grèves de 1995 et le mouvement Attac. En effet, les médias sont le miroir des opinions que par ailleurs elles contribuent à engendrer. De là découlent les grandes lignes de ce qu’espèrent mais aussi craignent les électeurs.

Les trois listes « alternatives » sont conduites par le Front national, les Verts et un conglomérat anti-libéral. Voilà une photographie assez fidèle des craintes exprimées par une partie de la population et dont la traduction se manifeste par le suffrage accordé à ces partis qu’on appelle protestataires ; ce qui est de cas de deux d’entre eux, les Verts ne méritant pas d’être classés dans cette catégorie, bien que dans l’esprit, on puisse les considérer ainsi. En fait, les écologistes se cherchent et ce n’est pas un scoop. Si on prend ces trois partis on verra apparaître trois craintes dominantes. En premier lieu celle de l’immigré et de la perte de l’identité française pour les électeurs du FN ; puis la crainte du développement technique pour ce qu’il occasionne dans l’environnement ; enfin, la crainte de la mondialisation et du marché pour ce qu’il engendre comme conséquences économiques et sociales.

En quelques mots, ces électeurs craignent l’étranger, l’homme, la perte des valeurs traditionnelles, puis les dégâts de la technique, les accidents écologiques, l’altération du climat ; enfin le profit, les puissances financières avec les effets sur la conjoncture du travail et la précarité économique. Les plus jeunes ne s’en souviennent pas, mais dans les années 1970, les individus ne manifestaient pas ce type de craintes avec une telle intensité. Pourquoi ? D’une part parce que les conditions sociales étaient différentes, et d’autre part en raison d’une espérance dans l’action politique, manifestée notamment à gauche et conjurant les peurs autant que le malaise social. Pour le reste, les craintes écologiques étaient bien présentes, mais pas exacerbées dans les médias comme actuellement. Les catastrophes écologiques, Seveso, Bhopal, Tchernobyl, la couche d’ozone, la déforestation, la gestion des déchets industriels, tout cela a pris de l’ampleur, comme du reste la ghettoïsation des immigrés, la paupérisation sur fond de profit en augmentation incessante. Bref, de quoi alimenter les trois craintes dominantes. Et donc créer le terrain pour que se présentent ces trois listes.

Pour le reste, deux grandes formations ont su gérer les affaires locales et nationales depuis 1950, avec actuellement, deux grands partis, l’UMP et le PS, chacun sollicitant l’appui de formations plus discrètes. Bref, la droite et la gauche. A Bordeaux, la droite est implantée depuis des décennies. Alain Juppé sera réélu, étant apprécié des Bordelais, perçu à juste titre comme le rénovateur de la ville doublé d’un bon gestionnaire. Du point de vue politique, c’est ni plus ni moins que de clientélisme qu’il s’agit, terme que j’emploie de manière neutre pour désigner l’évolution de la vie publique au cours des dernières décennies. L’action politique se propose comme un bien de consommation. L’électeur est un client. Le gouvernement actuel joue à plein le clientélisme en distribuant de l’argent de poche aux citoyens. La gauche aurait fait pareil en modulant légèrement les cadeaux selon ses préférences sociales. Les client sont satisfaits, sauf les mécontents et les inquiets, ceux-là se tournant alors vers les partis exprimant la colère et les trois craintes majeures.

Les électeurs des deux grandes formations ne souhaitent pas de rupture mais des réformes, des aménagements, à l’instar d’un client demandant à son concessionnaire un équipement supplémentaire pour son véhicule ou à son décorateur de changer les meubles du salon. Désir d’avenir, volonté de rupture, tout ceci n’est que lubie et artifice de campagne, les gens ont un désir de conservation des situations acquises. Restent les mécontents qui souhaitent accéder à une situation et votent protestataire, avec les craintifs qui, eux, ont peur de l’évolution de la société. L’espoir et le progrès partagé, l’idée d’un avenir partagé par tous et pour tous se sont envolés. Voilà la photographie de la France politique avec ses tendances et nuances. L’image fournie par les élections bordelaises est donc assez claire. Nous attendons que l’ancien concessionnaire revienne à la Mairie. Les quais ne sont pas encore achevés. Mais les anciens meubles, pardon les hangars, ont été enlevés.

Ce qui donne le motif général de la politique actuelle. Finis les grands projets de société, les valeurs, les idéaux, la culture, la solidarité spirituelle. L’heure est aux préoccupations techniques et matérielles dans un pays qui comme bien d’autres, s’en remet aux matérialisme et à l’économie libidale, celle qui a fourni le ressort pour le triomphe du capitalisme. Mais n’oublions pas la figure de Janus, autant pour la technique que la libido, si bien que le plaisir va de pair avec le déplaisir, d’où le succès des trois ensembles protestataires.

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