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Luxembourg référendum : appel à la résistance citoyenne

Publie le lundi 27 juin 2005 par Open-Publishing

de Claude

Je peux bien le dire aujourd’hui, je suis inquiète... très inquiète. Une inquiétude insidieuse, entêtante... qui se niche chaque jour un peu plus en moi, qui fait son trou, se goinfre goulûment de ce réveil brutal d’un sommeil sans rêve dans lequel je m’étais enferrée trop longtemps.

J’entends déjà certains se gausser, sautant sur l’occasion ici offerte d’enfoncer encore un peu plus le clou médiatico-pédagogique de l’après NON : « vous voyez bien qu’ils ont voté par peur, qu’ils sont frileux, qu’ils ont peur de l’Autre et peur de l’Europe ! ».

Rien n’est moins juste que cela, en tout cas pas cette fois-ci. Ce n’est pas la peur qui a dicté sa loi et présidé à mon NON.

Pour la première fois, peut-être, j’ai décidé en toute conscience, j’ai refusé la solution du « moins pire ». J’ai étudié, analysé, décortiqué... comme des millions d’autres individus. Je me suis repue de lecture, d’avis, d’idées, d’opinions, de discussions. Pour une fois au moins, je n’ai pas cédé aux sirènes alarmistes qui m’exhortaient à voter pour empêcher l’effondrement de l’Europe, l’isolement de la France, le cataclysme politique et toutes ces joyeusetés promises en cas de victoire du NON.

Pour la première fois de mon existence, peut-être, j’ai résisté...

Et je n’avais pas peur, soutenue que j’étais par l’engouement fantastique de ces millions de gens qui redécouvraient, en même temps que moi, un intérêt pour la politique, pour l’Europe, pour leur pays, pour l’avenir... pour la vie.

Car ce choix était à mille lieues de ce repli xénophobe, de cet égoïsme national que l’on tente chaque jour de nous enfoncer dans le crâne à grands renforts d’arguments spécieux et d’analyses scabreuses, il était même tout le contraire. Une ouverture à l’autre, un partage, la confrontation d’idées, l’exploration de doutes, tout ce qui préside à un formidable enrichissement de l’un par l’autre, de l’un pour l’autre... Une soif inextinguible de comprendre, une boulimie insatiable de nouvelles idées, de nouvelles voies à explorer pour devenir enfin le digne acteur de la condition d’être -un- humain.

Et aujourd’hui, quelques semaines après cette deuxième naissance, en lisant la presse, en écoutant la radio, en parcourant la toile, cette fois-ci et pour la première fois, j’ai peur...

J’ai peur de voir chaque jour à quel point cette démocratie que je croyais acquise est fragile.

J’ai peur de ce constat terrifiant que me forcent à faire tous ces gens avec leurs allusions sournoises, leurs propos insolents, leurs attitudes arrogantes...

« Analphabètes, xénophobes, conservateurs, étatistes, trotskistes, égalitaristes, pollueurs, mystificateurs, nationalistes, menteurs, mécontents, grincheux, populistes, souverainistes, anti-européens, anti-turcs, irrationnels, sociaux-pleurnicheurs, empoisonneurs, démagogues, frontistes, réactionnaires, néo-conservateurs, néo-communistes, néo-cons, incultes, idiots, médiocres, corporatistes, fascistes, nostalgiques, malhonnêtes, messianistes, masochistes, peureux... »*

Voilà ce que nous sommes pour eux...

Occupés à ressasser leur dépit, soucieux de chercher les mots qui blessent et les justifications douteuses, englués dans leur pensée unique, ils ne daignent même pas envisager d’autres possibles, avec ces « nonistes » qu’ils méprisent tant.

Mais ces propos insanes, ces pitoyables gesticulations, ces verbiages douteux, ces références malhonnêtes, ces attitudes puériles de « mauvais perdants » mettent au moins une chose en lumière : LEUR incapacité à accepter l’Autre dans sa différence.

Car contrairement à ce qu’ils laissent entendre, ce ne sont pas les affreux « nonistes populistes » qui se sont repliés dans des carcans idéologiques honteux, mais bien plutôt eux, qui refusent d’accepter ces « autres » pourtant tout aussi fondés qu’eux à donner leurs avis en refusant ce traité inique. Bornés, butés, acharnés à essayer de réduire à néant la pensée de ceux qui les dérangent tant parce qu’ils leur ressemblent si peu...

La vraie xénophobie se terre très exactement là... dans ce refus catégorique de créditer l’autre de son libre arbitre, dans ce rejet systématique d’autres façons de penser, d’autres façons d’être et d’envisager l’avenir. Dans cette morgue autocratique qui outrage chaque jour nos idéaux, qui gifle nos aspirations à vivre dignement, qui méprise nos besoins vitaux.

Pourtant aujourd’hui, le NON est là et bien là... et comme les autres ils vont devoir l’accepter et faire avec, que cela leur plaise ou non, car c’est la règle des démocraties : la majorité...

A moins qu’ils n’aient déjà décidé entre eux, comme on commence de plus en plus à l’entendre, que la démocratie directe est inadaptée, que le peuple s’égare dans des considérations erronées et qu’il est nécessaire de le déposséder de sa légitimité à décider de son sort...

Car le danger est très exactement là...

A trop les avoir écoutés, lus, encensés, nous les avons placés là où ils se trouvent. Nos regards admiratifs, nos oreilles bienveillantes, nos silences consentants les ont amenés à croire qu’ils étaient les mieux placés pour savoir et penser à notre place... et ils ne s’en privent pas. Il n’est que de parcourir les médias pour s’en apercevoir.

Je ne sais pas s’il est déjà trop tard pour changer cela, je n’ai pas de certitudes à ce propos. Juste la conviction chevillée au ventre qu’il faut TOUT ESSAYER POUR QUE CELA CHANGE, ici, sur la toile dans cet espace encore préservé (mais pour combien de temps encore ?) et partout ailleurs où nous pouvons encore le faire.

Il faut résister, encore et encore, il faut faire entendre nos voix, il faut exprimer nos aspirations, il faut s’unir et s’organiser, rejoindre des associations, des partis, en créer même, si ceux qui existent ne répondent plus à nos besoins... mais il faut le faire vite, car de l’autre côté les moyens sont énormes, les pensées sont structurées, les locomotives sont en marche... depuis longtemps déjà !

Je veux encore croire qu’il n’est jamais trop tard pour relever ses manches et se mettre au boulot, pour prendre ses responsabilités de citoyens, pour mettre son intelligence au service de ces causes nobles et justes que sont la ré-appropriation de notre légitimité citoyenne, la construction d’une Europe des peuples, la mise en place des systèmes qui se préoccupent enfin des hommes et des femmes...

Je suis sûre que nous pouvons faire tout cela... ensembles, portés par cet élan formidable qui est né lors de ce référendum...

A nous de ne pas nous laisser mener à l’abattoir, comme des moutons dociles...

* Cette liste d’injure, non exhaustive, est le résultat de quelques mois de campagne référendaire sur fond de Traité Constitutionnel européen.

http://www.constitution.lu/