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Manifeste pour défendre la civilisation. Dix idées contre le racisme
Publie le mardi 7 mars 2006 par Open-Publishing1 commentaire

Dix idées contre le racisme (pas seulement contre celui de Pera)
Traduit de l’italien par karl&rosa
L’Occident vit une crise profonde. De ses modèles économiques et sociaux, mais aussi de ses modes de produire et de consommer : de sa civilisation. La "conte de fées" de la globalisation, qui promettait une nouvelle, extraordinaire époque de progrès pour tous, l’age d’or est fini. La domination du marché - mondial et unique - a généré des inégalités, de l’insécurité, de l’instabilité, une nouvelle concentration des richesses dans les pays riches. Et comme conséquence de tout cela, elle a généré la guerre. La guerre n’est pas un accident, une éventualité : c’est la conséquence de cette globalisation occidentale, c’est inévitable, c’est la voie de survie pour le marché unique.
A cette crise de l’Occident, à ce "mal obscur" qui envahit nos sociétés, une partie des classes dirigeantes, des intellectuels et de l’Eglise offre une réponse ouvertement réactionnaire.
Qui reste parfois dans les limites du bon sens et du conformisme et parfois - souvent - n’arrive pas à éviter des accents racistes et xénophobes. En quoi consiste cette réponse ? Dans l’idée que le "choc des civilisations" est inévitable et même déjà en cours et que la clef de voûte de l’ "Histoire" - la seule voie pour sauver l’humanité en danger - est la "rescousse" de l’Occident menacé. Le règlement de comptes entre les civilisations supérieures - à savoir les plus riches, technologiquement plus avancées - et le reste du monde. La condition pour que cette rescousse ait du succès est la défaite de ces parties du monde non occidental qui sont plus éloignées de l’idée de l’intégration.
C’est pourquoi la culture islamique, les peuples arabes - et les migrants - deviennent le nouveau bouc émissaire de nos difficultés et de nos peurs. Exactement comme ce fut le cas à l’époque des croisades contre les "infidèles". Cette nouvelle croisade - publiquement déclarée par le manifeste de Marcello Pera [président du Sénat, ndt] (pour la défense de l’Occident), qui a reçu l’adhésion d’une grande partie du centre-droit et a été présenté hier au Pape - se rattache organiquement aux valeurs antimodernes et pré- illuministes, au nom de la restauration des Hiérarchies traditionnelles, de type social, culturel, sexuel.
Ce projet - ici en Italie - pollue dangereusement le climat, bien au-delà de la campagne électorale : il nourrit la haine et l’intolérance, corrompt la culture et en empêche le développement, sème un nouvel intégrisme inquiétant, désintègre même les bases du libéralisme, mise sur un néo-fondamentalisme occidentaliste de type autoritaire. Nous voulons nous y opposer activement, en relançant une carte des valeurs radicalement alternative. Nous vous en proposons un schéma et vous demandons d’y adhérer.
LE MANIFESTE
L’EGALITE
Les femmes et les hommes sont toutes et tous égales/égaux. Chaque être humain naît avec le même droit à une vie complètement réalisée, sans distinctions de genre, de caste, de patrimoine, de revenu, d’ethnie, de religion. Le but fondamental de la politique est d’affirmer ce principe. En aspirant à construire un monde où les inégalités diminuent de plus en plus. La tâche première de la politique n’est pas d’assurer de l’efficacité au développement, mais de réduire et d’effacer les abus et les inégalités dans les relations entre les personnes, les peuples, les Etats. Ce n’est que comme cela que l’on peut garantir le droit fondamental à l’individualité et à la différence. Une société équilibrée sauvegarde les différences et défend les droits individuels, une société injuste et hiérarchisée les efface. Le devoir essentiel de la politique dans une société moderne est de s’opposer à toutes les discriminations : les théoriques et les pratiques, les économiques et les sociales, les formelles et les substantielles. Le racisme et la xénophobie sont les plus odieuses et les plus aberrantes de ces discriminations.
LA LIBERTE
Tout être humain naît libre. Tout être humain a le droit de vivre libre. Il ne pourra pas y avoir de liberté si on ne démolit pas les bases de l’esclavage du besoin, de l’exploitation du travail, de l’égoïsme social, de l’oppression patriarcale, de la superstition, du nationalisme. La liberté se réalise en abattant la domination. L’affirmation d’une société pleinement libre se fait à travers la critique et la remise en perspective du pouvoir. La liberté des individus et des peuples, c’est-à-dire la possibilité de vivre sa propre vie de tous les jours et de construire son propre destin en rationalité et autonomie, reste un besoin humain inéliminable.
LA FRATERNITE
La cohabitation solidaire entre les personnes est à la base de toute civilisation : seul le lien amical de l’espèce, seule la capacité de rapport avec l’Autre, seule la construction active d’un lien de fraternité ont rendu possible l’extraordinaire histoire de l’humanité. Contre les pulsions destructives de l’homo homini lupus, contre le retour de l’esprit masculin et guerrier, contre la pratique de la mort et de l’extermination, la fraternité est aujourd’hui une dimension essentielle. La seule qui puisse nous indiquer un horizon de bonheur.
LE DEVELOPPEMENT
Le développement ne se mesure pas par la fausse neutralité du PIB : ce n’est pas l’aveugle croissance quantitative de marchandises. C’est un projet de renaissance économique et sociale, respectueux de l’environnement, des droits des générations à venir et de la nécessité d’une distribution équitable de la richesse. La terre est à tout le monde. La richesse économique et technoscientifique doit servir à tout le monde. Aux vivants et aux futurs habitants de la Terre.
LES DROITS DE NOUVELLE CITOYENNETE
Toute personne est citoyenne si elle peut exercer les droits basiques de participation à la politique. Si elle peut se défendre du pouvoir. Si elle est en face d’une justice non discriminatoire par la classe et par le patrimoine. Si elle peut librement exprimer ses propres idées et ses propres espoirs. Mais une pleine citoyenneté est inséparable de l’extension des droits universels essentiels : à l’éducation, à la santé, à la mobilité, au logement et à une survie digne. La culture, l’information, la santé, les transports de base, le logement, pour qu’on acquière véritablement ce statut universel, ne peuvent qu’être soustraits à la domination des marchandises et du Privé. L’école publique, laïque et plurielle, lieu de cohabitation, de rencontre et de métissage, est la base de cette inspiration. L’Etat ne doit pas financer la libre instruction privée.
LA FAMILLE
Les femmes sont le sujet de la révolution la plus extraordinaire et la plus prolongée de notre époque, fondée sur la liberté et sur l’autodétermination féminines. A la base de la cohabitation sociale, qui assume la diversité de genre et d’orientation sexuelle comme le trait distinctif de la liberté moderne, il y a donc le libre choix des personnes - avec la seule limite établie par le respect des libertés d’autrui. La famille s’articule aujourd’hui en une vaste multiplicité d’options et d’unions libres, contre et au-delà de la domination patriarcale, contre et au-delà de toute hiérarchie établie d’une façon autoritaire, contre toute idée traditionnelle limitant la liberté sexuelle.
LE REFUS DU RACISME
Aujourd’hui personne ne peut argumenter de façon crédible la supériorité de l’ "homme blanc". Mais il existe une position, répandue, qui affirme la supériorité culturelle et civile de l’Occident sur d’autres peuples de la planète. La fermeture des frontières, la catégorie du "clandestin" soutiennent ce nouveau racisme. Nous affirmons, au contraire, le droit des peuples à émigrer, à voyager, à se mêler et nous opposons aux fermetures des frontières.
LE DIALOGUE ENTRE CIVILISATIONS
Le dialogue entre les différentes civilisations est une ressource pour l’humanité. La civilisation occidentale - ce mélange complexe de culture progressiste née de l’Illuminisme, du libéralisme, du christianisme et de la contribution du mouvement ouvrier - n’est qu’une des civilisations qui habitent la planète. D’autres se sont exprimées, avec beaucoup de force et de splendeur aussi, dans des époques révolues, d’autres horizons traversent l’imaginaire des populations mondiales. Le dialogue entre les civilisations est la nouvelle frontière de l’humanité, l’unique horizon crédible pour un avenir de paix et de bien-être réciproque.
LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME
Le terrorisme est une forme atroce et inacceptable de lutte politique. Il anéantit les corps, multiplie les victimes et pour ces mêmes raisons rend la politique muette. Aujourd’hui, l’hypothèque du terrorisme ne pèse pas seulement sur les populations occidentales mais beaucoup plus sur le monde arabe musulman lui-même, écrasé par l’échec des espoirs progressistes, dominé par le néocolonialisme et pris en otage par des formations intégristes et réactionnaires qui font de l’instrument terroriste un usage sans scrupules autant que lucide. Le terrorisme ne s’explique pas seulement par le désespoir social car il vit d’un projet politique qui lui est propre. Toutefois l’agression de l’Occident capitaliste le nourrit et le renforce. Battre le terrorisme signifie avant tout offrir une possibilité d’auto libération démocratique aux peuples arabes musulmans et cela ne peut se faire qu’en mettant une fin aux guerres et à l’oppression dont ils sont l’objet.
LA PAIX ET LA NON-VIOLENCE
La guerre doit être rejetée. Sans conditions. Elle doit être expulsée de l’histoire et de la légalité internationale. Il faut s’opposer aux agressions que l’Occident et les Etats-Unis continuent à perpétrer contre le Sud du monde. Nous disons oui à la paix, à la cohabitation des peuples, à l’égale dignité des peuples et des cultures. Nous nous engageons sur la frontière de l’interdépendance et de l’accueil. Nombre d’entre nous sont convaincus qu’il ne pourra jamais y avoir de véritable paix, complète et durable, sans un choix stratégique de non-violence.
POUR ADHERER, ENVOYER UN MAIL A : posta@liberazione.it
Messages
1. LA RÉPUBLIQUE ET SES IMMIGRÉS ; L’exigence laïque du respect mutuel , 11 mars 2006, 01:02
Pour l’égalité dans une paix sans prosélytisme il manque une 11 ième exigence : la laicité. CD
LA RÉPUBLIQUE ET SES IMMIGRÉS
L’exigence laïque du respect mutuel
Rampante, innocente ou malhonnête, une certaine « islamophobie » se fraie un chemin dans le débat public français (1). Cette stigmatisation ne date cependant pas des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. L’islam serait, pour certains analystes, inassimilable par la société française, contrairement aux autres religions du Livre. Et l’on passe alors sous silence que ces dernières, au temps de leur domination politique, ont été aussi mortifères pour la liberté et pour l’égalité que la version intégriste de l’islam. Présenté comme ignorant la distinction laïque entre la sphère privée et la sphère publique, il signerait l’obsolescence du modèle républicain d’intégration. La délinquance constatée dans les banlieues ou l’affaire dite du « foulard islamique » illustreraient cette analyse.
D’autres, au contraire, affichent une certaine « islamophilie » et demandent à la République de réviser sa laïcité, notamment en finançant sur fonds publics des mosquées ou l’intervention de religieux musulmans dans les établissements scolaires (2). Bref, de rétablir une reconnaissance officielle des religions, dont profiteraient logiquement toutes les confessions. Ainsi, l’archevêque de Strasbourg a-t-il suggéré que le régime concordataire d’Alsace-Moselle, qui consacre des discriminations positives pour les religions catholique, réformée et juive, pourrait bien constituer un modèle pour toute la France. Et Danièle Hervieu Léger demande une révision de la loi du 9 décembre 1905, qui parachève la séparation des Eglises et de l’Etat.
De même, l’intégration des personnes qui se reconnaissent dans l’islam nécessiterait des entorses à la laïcité de l’école publique, en autorisant l’intervention dans les classes des représentants officiels des confessions. On invoque aussi le prétendu silence des programmes scolaires en matière de connaissance des faits religieux et mythologiques. Pourtant, les programmes d’histoire, de lettres, d’histoire de l’art et de philosophie permettent d’aborder ces questions. Qu’ils ne le fassent pas suffisamment est peut-être vrai, même si cela reste à démontrer. Ce qui ne justifie en tout cas pas le recours aux représentants des confessions, qui pourraient naturellement avoir d’autres buts que la culture désintéressée. Imagine-t-on un prêtre parlant autant des crimes de l’Inquisition catholique que des textes bibliques attribuant à Jésus-Christ un message d’amour ? La connaissance objective requiert aussi bien l’approche des faits historiques que celle des doctrines.
Ce qui doit valoir, c’est la distance propre à la déontologie laïque, faite à la fois de refus du prosélytisme et de respect de la diversité des convictions, religieuses ou non. A moins de croire que n’existent désormais que les conceptions du monde de type religieux, et que les citoyens qui ont d’autres options n’existent pas. La laïcité n’est pas volonté d’ignorer, mais souci de laisser aux familles l’élémentaire liberté de donner l’éducation de leur choix, dans la stricte conformité au principe d’égalité, en dehors de l’école. Celle-ci, en effet, a le souci de ce qui est commun à tous, et non seulement à certains : c’est à ce titre qu’elle est ciment social et facteur de paix. Qui ne voit d’ailleurs le danger de faire droit aux adeptes des diverses croyances au sein de l’espace scolaire, et d’y introduire la guerre des dieux comme naguère dans certaines écoles canadiennes, où les jeunes adeptes des religions s’affrontaient sur la base des symboliques vestimentaires arborées (3) ?
Cela signifie-t-il qu’il n’y ait rien à faire pour favoriser une meilleure intégration ? Certainement pas. Rien dans l’islam ne s’oppose au respect de la laïcité. Au contraire, seule la laïcité républicaine peut permettre l’intégration pacifique de populations différentes. Dans l’Etat de droit républicain, la même justice doit valoir pour tous, immigrés aussi bien que natifs du pays. Les « immigrés » n’ont plus à être distingués. Ils sont devenus une composante de la population. Il faut donc qu’aucun choix particulier, en matière de religion ou de vie privée, n’y soit privilégié par la loi commune. C’est justement ce qui définit la laïcité : croyants des diverses religions ou athées se voient reconnaître la liberté absolue de conscience et l’égalité dans tous les domaines (lire Qui représentera les musulmans de France ?). Ce qui implique la neutralité confessionnelle de l’Etat et son souci de mettre en valeur ce qui unit plutôt que ce qui divise.
Sur un pied d’égalité
O n voit que les différences de culture ou de religion ne sont pas niées, mais vécues de telle façon que demeure possible un espace régi par le seul bien commun, et ouvert à tous. Communauté de citoyens, la nation républicaine ne se fonde en principe sur aucune référence religieuse, aucun particularisme culturel, aucune conception obligée de la vie privée. La République n’est pas chrétienne ou islamique : elle s’interdit de se réclamer d’une confession militante, ou d’un athéisme officiel - et c’est pour cela qu’elle accueille tous les individus en les plaçant sur le même pied d’égalité, quelle que soit leur option personnelle. Il n’y a rien en elle qui puisse justifier l’exclusion, ou la rendre possible.
Bien sûr, il faut que les hommes coexistent harmonieusement et qu’en cultivant leurs préférences singulières ils ne soient pas conduits à l’affrontement. En République laïque, le rôle de la loi commune est de rendre possible et d’organiser cette coexistence, et de préserver ce bien commun irremplaçable que constitue l’espace civique accueillant à tous. Le respect des préférences privées a dès lors pour condition qu’elles ne prétendent pas annexer la sphère publique ni compromettre la recherche de l’intérêt commun par des privilèges légaux accordés aux religions ou aux spiritualités athées.
Dans une telle conception, les individus sont sujets de droit, et nul groupe particulier ne peut leur imposer quoi que ce soit. Ce danger trouve une illustration en Espagne, où des dispositions concordataires héritées du franquisme (Concordat de 1953, réaménagé en 1978) permettent à l’Eglise d’intervenir comme telle dans l’horaire normal des cours, par la médiation de personnels qu’elle désigne alors qu’ils sont payés sur fonds publics, et qu’elle peut révoquer au seul prétexte, par exemple, qu’ils viennent de divorcer. Or la logique de préservation de ces privilèges, par une sainte alliance des clergés, a conduit l’Etat espagnol à introduire dans certaines écoles publiques du sud du pays des religieux musulmans, dont la première exigence a été que les élèves filles portent le voile qu’elles se refusaient à porter auparavant. Ce double scandale défraie la chronique espagnole (4) et conduit le mouvement laïque à être de plus en plus écouté (5).
Certes, la France ne satisfait pas complètement aux exigences de l’idéal laïque, mais ce déficit ne peut disqualifier l’idéal lui-même. Les conquêtes sont partielles, et s’inscrivent dans un processus de laïcisation du droit et de la société qui est encore loin de son terme idéal. Mais elles peuvent d’ores et déjà bénéficier aux immigrés. Evidemment, cette garantie a pour condition une exigence qui s’impose à tous, sans exception : respecter la sphère publique et les lois qui la font vivre, puisque celles-ci, en principe, n’ont pour raison d’être que le bien commun. C’est précisément pour cela que le modèle républicain est intégrateur. Et que l’intégration ne produit nullement l’effacement des patrimoines culturels. Schéma idéal, dira-t-on, car la pratique est autre. Certes. Mais, concrètement, qu’est-ce qui explique un tel décalage ? Il y a bien d’autres facteurs concrets qui nuisent à une intégration pourtant promue par le droit.
Peut-être convient-il d’abord de mettre hors de cause l’héritage historique, et les traces que la culture et la religion dominantes, y ont laissées : calendrier, fêtes, usages, références quotidiennes sont propres à un lieu comme à une histoire. Elles paraissent étranges à celui qui vient d’ailleurs et possède d’autres repères. Mais faut-il les gommer pour mieux accueillir ? Cela est à la fois impossible et impensable. L’important n’est pas de réécrire l’histoire, mais de laïciser son héritage. Ce qui compte, c’est qu’aucun privilège juridique ne soit plus accordé au christianisme de ce fait. En outre, les mauvaises conditions de vie, l’exploitation sociale particulièrement intense, mais aussi des réflexes de xénophobie ou de racisme, d’intolérance à l’égard de l’autre, produisent de l’exclusion.
L’erreur trop souvent commise est d’imputer à la République elle-même ce qui ne relève pas d’elle. Et de voir dans les exigences laïques et républicaines la source d’une exclusion qui a de tout autres causes. Erreur souvent dictée par la mauvaise conscience liée au souvenir de la colonisation. Celle-ci, pourtant, n’est pas imputable au modèle républicain. Il faut rappeler que le républicain Georges Clemenceau a condamné avec vigueur les expéditions coloniales de la IIIe République. Il convient donc de ne pas se tromper de combat ni d’oublier que la laïcité a rendu possible le « creuset français ».
Quel paradoxe ce serait de renoncer à des principes qui ont joué un tel rôle, sous prétexte de mieux intégrer, alors qu’on prendrait ainsi le chemin exactement inverse ! Suivons pour cela Victor Hugo et Jaurès, qui unissaient la République sociale et l’émancipation laïque dans un même idéal. Ceux qui donnent tant à la République, en assumant des tâches souvent ingrates et mal rétribuées, doivent jouir de la plénitude des acquis sociaux, sans discrimination implicite ou explicite. Enfin, il faut que soit assurée une visibilité de toutes les composantes de la République parmi les acteurs de la vie sociale, dans les médias, ainsi que dans l’art.
Pour favoriser l’intégration dans le respect de la laïcité, la République doit aussi témoigner de réels « égards », sans que jamais soit mise en cause la loi commune à tous. Si l’on ne peut pour cela réécrire l’histoire ni modifier les paysages et la culture héritée, on peut en revanche tout faire pour que les nouvelles composantes de la population jouissent concrètement de la possibilité de vivre dans la société à égalité.
Quelques mesures simples
S ans transiger avec la laïcité de l’école publique et la nécessité de la préserver de toute manifestation ostentatoire d’appartenance religieuse, il est toutefois possible de faciliter l’accueil des jeunes de toutes origines par quelques mesures simples, et à fort coefficient symbolique. Dans les cantines, par exemple, la généralisation du choix entre deux plats pour les repas servis résoudrait de façon discrète la question des interdits alimentaires. L’attribution d’une autorisation d’absence exceptionnelle, chaque année, pour motif religieux, pourrait être envisagée. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y aurait pas à consacrer de régime juridique différent, mais simplement à témoigner d’égards.
L’introduction dans les disciplines d’enseignement qui le permettent (histoire, lettres, philosophie, histoire de l’art, musique, arts plastiques) d’une approche plus développée des grandes cultures, et notamment de celles qui peuvent toucher plus directement la mémoire des immigrés, serait sans doute une bonne chose. Le tout bien sûr dans le strict respect de la laïcité, qui requiert une étude raisonnée et une mise à distance, et exclut tout prosélytisme.
Pour permettre aux musulmans de se doter de lieux de culte et de construire des mosquées, il conviendrait de mettre un terme aux discriminations foncières comme celles qui conduisent certaines municipalités à faire entrave à la vente de terrains destinés à de telles constructions. Enfin, la laïcité ne peut vraiment s’exercer que lorsqu’on reconnaît à tous les citoyens de toutes confessions le droit d’être enterrés suivant leur religion et leurs coutumes. Trop peu de carrés musulmans existent dans les cimetières. Permettre à ceux qui le souhaitent de sacraliser la terre de France comme terre de sépulture, c’est donner des ferments pour l’enracinement des jeunes générations.
Yamina Benguigui et Henri Peña-Ruiz
http://www.monde-diplomatique.fr/2002/01/BENGUIGUI/16037