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Mauritanie : La révolution de palais a bel et bien eu lieu

Publie le mercredi 10 août 2005 par Open-Publishing

de Marie-Pierre Olphand

Depuis leur coup de force du 3 août, qui a renversé le colonel Maaouiya Ould Taya, au pouvoir depuis 1984, les militaires mauritaniens multiplient les déclarations de bonnes intentions. Principale mesure annoncée : l’organisation d’un référendum constitutionnel pour instaurer un mandat présidentiel renouvelable une seule fois, avec des discussions ouvertes pour en déterminer la durée et examiner les moyens juridiques d’empêcher les futurs présidents de modifier les textes à leur avantage.

Les militaires assurent qu’ils ne soutiendront aucun parti jusqu’aux élections générales, qu’ils entendent organiser d’ici deux ans. Ils promettent également que ni les membres du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) qu’ils ont constitué ni les ministres du nouveau gouvernement ne pourront être candidats aux élections. "Nous n’avons que notre parole mais nous sommes sincères : nous voulons juste dégripper la machine", assurent-ils.

Depuis le 3 août, ils enchaînent les audiences avec le corps diplomatique, les partis politiques, la société civile, les journalistes, les avocats, les syndicats. Leur seul souci est d’expliquer pourquoi ils en sont arrivés là et comment ils se retireront dans deux ans au terme du processus de transition.

"Pour la première fois, des lignes claires sont exposées. Leur logique montre une certaine rationalité qui n’existait pas avant. On sent chez eux une approche intellectuelle honnête" , estime Chbih Ould Cheikh Malaïnine, président du Front populaire (FP), un parti opposé au président déchu.

L’ex-opposant affirme d’ailleurs qu’il n’y a pas eu de coup d’Etat militaire en Mauritanie : "Il y a eu une action de l’armée qui n’avait pas pour objectif de confisquer le pouvoir, mais plutôt de fixer les conditions nécessaires à l’instauration d’une véritable démocratie."

La révolution de palais a bel et bien eu lieu, sans combats de rue, sans effusion de sang et sans même l’instauration d’un couvre-feu. Une fois les élites rassurées, le président du CMJD, le colonel Ely Ould Mohammed Vall, a lancé un premier signal politique à la population : la libération d’une partie des détenus islamistes ­ 21 sur une soixantaine ­ incarcérés depuis plus de trois mois à la prison civile de Nouakchott et accusés d’appartenir à des associations non autorisées. Aussitôt fait, le ministère des affaires étrangères a été chargé d’expliquer aux chancelleries qu’il s’agissait d’érudits poursuivis injustement, et dont le dossier judiciaire était vide.

"Sachez cependant que nous nous inscrivons toujours dans une politique de lutte contre le terrorisme" , ont précisé les autorités, comme pour soulager tous ceux qui craignent le péril islamiste. Au premier rang d’entre eux, les Etats-Unis, engagés en Mauritanie dans une opération de lutte contre le terrorisme baptisée "Initiative pan-Sahel". Après avoir condamné fermement le coup d’Etat et demandé le retour du président déchu dans ses fonctions, les Américains ont renoncé, lundi 8 août, à leur exigence. "Nous oeuvrerons de concert avec l’Union africaine pour nous assurer que le gouvernement répond aux critères internationaux et respecte la volonté de la population. Nous n’exigeons rien de plus que le retour à l’ordre constitutionnel", a déclaré Adam Ereli, un porte-parole du département d’Etat.

L’Union africaine a exclu temporairement la Mauritanie au moment du coup de force, mais elle pourrait revenir sur sa décision. Pour sa part, Israël, qui a une ambassade à Nouakchott depuis 1999, n’a pas réagi officiellement. Les autorités suivent de près les événements et renouvellent leur attachement à la relation particulière qui unit les deux pays.

Après une condamnation de principe, les autres chancelleries, et notamment la France, ont très vite affiché une attitude plutôt bienveillante à l’égard du nouveau pouvoir. Les événements semblent "rester dans le cadre institutionnel légal" , indiquait-on au Quai d’Orsay au lendemain du coup de force.

La nomination comme premier ministre de l’ancien ambassadeur à Paris, Sidi Mohammed Ould Boubacar, devrait contribuer à l’apaisement des partenaires étrangers, en particulier la France. Le diplomate est un francophone, technocrate proche de M. Ould Taya, ancien premier ministre et secrétaire général de l’ex-parti au pouvoir, le Parti républicain démocratique et social (PRDS). Avec lui, les militaires s’inscrivent dans la continuité, quitte à décevoir ceux qui rêvent d’un changement radical.

A quelques mois de la production des premiers barils de pétrole mauritanien, les militaires sauront-ils garder le cap qu’ils se sont fixé sur le papier et seront-ils capables d’incarner le changement réclamé par la population ? "On veut y croire, confie un homme politique : il y a réellement une nouvelle donne, à nous de l’exploiter."
Une nouvelle géographie du pouvoir se dessine en catimini.

La société mauritanienne semble avoir accueilli le putsch du 3 août avec une immense sérénité. En quelques heures, chacun a trouvé les mots pour expliquer la fin du régime du président Maaouiya Ould Taya et justifier son soutien au nouveau pouvoir. En quelques jours, les intérêts ont changé, les tractations se multiplient et chacun s’adapte à la nouvelle donne. "La justice vient d’arriver ! Ça, c’est la justice, ô femmes, profitez-en !", entonne une Mauritanienne en esquissant quelques pas de danse, drapée dans son voile coloré, sous les arbres en face de la prison de Nouakchott. Elle est tout simplement joyeuse, comme tous ceux qui, dimanche 7 août, fêtent la libération de prisonniers politiques islamistes. Cette mesure très populaire renforce la bonne image dont jouissent les militaires putschistes.

"On ne peut qu’être émerveillé devant ce qu’ils ont fait. En ayant changé le pouvoir en quelques heures, sans confrontation, sans pagaille, les militaires sont apparus comme de vrais professionnels", déclare Mohammed Abdalahi Ould Bellil, cadre de l’ex-parti présidentiel. La vitesse avec laquelle les proches du système ont applaudi le nouveau dirigeant, alors qu’ils publiaient récemment des motions de soutien à leur ancien mentor, interroge sur la valeur de leur parole. "Que voulez-vous, nous sommes des nomades, même en politique...", ajoute M. Bellil, sourire aux lèvres. Pour se donner bonne conscience, beaucoup rappellent qu’eux aussi réclamaient depuis longtemps la chute de l’ancien chef de l’Etat.

Une douce frénésie anime les Mauritaniens qui pensent bénéficier du changement. Certains ne sont plus disponibles, et leurs amis se plaignent de ne plus pouvoir les joindre au téléphone. On comprend qu’ils sont de la tribu du colonel au pouvoir, et qu’ils boivent du thé dans d’autres salons pour tisser de nouvelles alliances ou jouer les intermédiaires. Les pressions entre cousins pour obtenir telle faveur ou information fonctionnent à plein. Une nouvelle géographie du pouvoir se dessine en catimini. Le coup d’Etat est encore frais : il est bon de ménager tous ses contacts.

Seuls ceux qui se sentent exclus du jeu critiquent sans vergogne leurs compatriotes. Car la chute du président Ould Taya a délié les langues. On parle de politique en public, on critique l’ancien président à voix haute. Mais un autre avenir reste difficile à imaginer pour beaucoup de Mauritaniens qui vivent au jour le jour. "Maaouiya n’a rien fait pour nous. Pourtant il avait du poisson et maintenant du pétrole. Que peut-on espérer avec des hommes qui étaient ses amis ?", s’interroge une femme rencontrée au marché, qui gagne 20 000 ouguiyas par mois (environ 50 euros). D’autres disent leur fatigue de voir le pouvoir monopolisé par des militaires depuis 1978.

"Ces hommes ont risqué leur vie en renversant le pouvoir, ils ne partiront pas comme ça. Les Mauritaniens sont hypocrites et il faut rester très prudent devant toutes leurs belles promesses", lâche un journaliste. "L’essentiel, résume un riche homme d’affaires, c’est qu’il -le président Ould Taya- soit parti. Cela nous permet au moins d’espérer".
"Quelqu’un sans problème qui ne parle pas beaucoup"

Homme de l’ombre du président renversé Maaouiya Ould Taya, connu pour être "quelqu’un sans problème qui ne parle pas beaucoup", le colonel Ely Ould Mohammed Vall est fidèle à sa réserve depuis son arrivée au pouvoir, mercredi 3 août. Grand et droit dans sa tenue militaire, il n’est brièvement apparu à la télévision qu’à travers des images muettes, sur lesquelles on le voit simplement au travail. Agé de 53 ans, formé en France où il fut enfant de troupe entre 1966 et 1973, puis à l’Académie militaire de Meknès, au Maroc, il est imprégné de culture française et affiche une nette préférence pour la langue de Molière lors de ses consultations et audiences, même si la langue officielle du pays est l’arabe.

Fidèle du "système Taya", il était à ses côtés lors du coup d’Etat contre le colonel Mohammed Khouna Ould Haidalla, le 12 décembre 1984, en tant que commandant de la 6e Région militaire, celle de Nouakchott. Numéro deux de l’Etat depuis, il occupait le poste de directeur général de la sûreté et pilotait les services de renseignement et de police. "C’est chez lui qu’émargeaient tous les Mauritaniens. Il les connaît tous : lui seul pouvait réussir à renverser le président aussi habilement", confie un journaliste. Lui-même reconnaît et assume le passé : "Je n’ai pas honte d’avoir fait partie de l’ancien système", a-t-il déclaré.

Ely Ould Mohammed Vall apparaît, aux yeux de beaucoup d’observateurs, comme le garant de la tranquillité qui règne depuis une semaine en Mauritanie. En menant sa révolution de palais sans effusion de sang, sans même provoquer de panique, le nouvel homme fort du pays a forcé l’estime d’un large éventail de la population.

"Je ne suis pas pour les coups d’Etat et je regrette d’avoir dû en arriver là, mais il fallait choisir entre cela ou sombrer dans le chaos", a-t-il affirmé à plusieurs reprises. "C’est lui l’esprit du putsch, c’est lui qui a pensé le changement, mais il n’aurait rien pu faire sans son cousin germain, le colonel Abdelaziz, responsable du Basep, le Bataillon de la sécurité présidentielle", rapporte un proche.

Les Mauritaniens, quant à eux, refusent aujourd’hui de l’impliquer dans un quelconque scandale. "Il n’a participé à aucune torture", assure un opposant à l’ex-président Ould Taya, pour démentir les accusations de certains mouvements radicaux qui le présentent comme la tête pensante de toutes les opérations sécuritaires menées dans le pays, qui ont conduit notamment au massacre de dizaines d’officiers noirs en 1991.

"Ely Ould Mohammed Vall n’a jamais été cité, à ma connaissance, dans les listes de tortionnaires mauritaniens, contrairement à son adjoint", assure l’avocat Brahim Ould Ebetty. Ce qui est sûr, c’est que l’homme jouit aujourd’hui d’un bon capital de sympathie : "On peut croire en sa parole, mais le risque, ce sont les civils qui l’entourent", confient certains de ses proches.

Marie-Pierre Olphand, Le Monde du 10 août 2005

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