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Mini-bombes nucléaires, mega-dégâts à la couche d’ozone

Publie le mardi 8 avril 2008 par Open-Publishing

Sciences : Mini-bombes nucléaires, mega-dégâts à la couche d’ozone

Libération, 8 avril 2008

, par Sylvestre HUET

Tout conflit nucléaire, même régional, aurait des conséquences graves pour l’ensemble de la population mondiale. La démonstration est publiée par la revue de l’Académie des sciences américaine (PNAS). Avec comme exemple les effets d’un échange de missiles nucléaires entre Inde et Pakistan sur la couche d’ozone stratosphérique.

L’équipe de scientifiques américains qui signe l’article est composée de spécialistes de l’atmosphère, de sa chimie plus particulièrement. Elle a étudié ce qui se passerait si l’Inde et le Pakistan échangeaient des missiles chargés d’ogives nucléaires pour un total équivalent à cent fois la bombe qui rasa Hiroshima. Si cela vous semble beaucoup, sachez que les deux pays disposent d’une telle puissance. Elle ne représente que 0,1 % du stock mondial de bombes nucléaires. L’hypothèse d’un tel conflit fait partie des scénarios de wargame des généraux américains, tant les deux pays ont du mal à gérer les suites de leur affrontement à propos du Cachemire, lors de leur accession à l’indépendance.

Résultat de l’étude : le panache d’aérosols et de particules injecté jusque dans la stratosphère par les explosions provoquerait une série de réactions chimiques conduisant à détruire l’ozone stratosphérique, celui qui protège tous les êtres vivants contre les rayons UV du Soleil, casseurs de molécules biologiques, dont l’ADN. Une destruction qui serait plus efficace et de plus longue durée au-dessus des pays tempérés et des hautes latitudes. Bref, n’espérez pas échapper aux conséquences d’un conflit nucléaire, quelle que soit sa localisation. De manière plus détaillée, l’étude affirme qu’environ 20 % de l’ozone atmosphérique serait détruit à l’échelle de la planète. Cette destruction atteindrait enre 25 % et 45 % aux moyennes latitudes. Et entre 50 % et 70 % aux hautes latitudes de l’hémisphère nord. Ces niveaux de destruction persisteraient durant cinq années environ. Et il faudrait attendre au moins dix ans pour que la couche d’ozone stratosphérique se reconstitue entièrement.

Ces résultats peuvent surprendre par leur ampleur pour un conflit mettant en jeu une aussi petite partie du stock mondial de bombes nucléaires. C’"est une meilleure compréhension de la chimie atmosphérique qui a conduit les spécialistes à réévaluer à la hausse, et très haut, les conséquences environnementales et sur la santé humaine d’un conflit nucléaire, même réduit. En effet, au début des années 1980, les scientifiques américains et soviétiques qui avaient travaillé sur "l’hiver nucléaire" que provoquerait une guerre USA/URSS n’avaient pas trouvé un tel niveau de destruction. Mais les progrès réalisés depuis en chimie de l’atmosphère, en raison des craintes nées du "trou d’ozone" au dessus de l’Antarctique -provoqué par nos émissions de gaz type CFC-, ainsi que pour simuler l’évolution du climat, ont fait douter de ce résultat. Y compris les auteurs de ces travaux qui ont joué un grand rôle pour alerter l’opinion publique et alimenter le combat pour le désarmement nucléaire, puisque l’on relève parmi les signataires de l’étude, Richard Turco. Ce dernier, aujourd’hui à l’Université de Californie, à Los Angeles, avait participé à ces travaux et écrit un livre grand public sur "l’hiver nucléaire", avec le célèbre astrophysicien Carl Sagan.

Cet article fait suite à une autre étude, parue, en mars 2007, dans la revue Science, dont j’avais rendu compte dans Libération. Elle avait tenté d’estimer les dégâts -morts immédiats, destructions agricoles etc..., de divers scénarios de "mini-guerres nucléaires" entre Inde/Pakistan, Inde/Chine, Israël/Egypte, France/Iran, Chine/Japon, etc. Sur la base d’arsenaux nucléaires existants ou imaginables.

Le résultat : quelques mini-guerres, mettant en jeu 0,3 % de l’arsenal mondial, provoquerait la mort de davantage de millions de personnes que tous les champs de batailles et bombardement de civils de la seconde guerre mondiale. L’alerte lancée par ces scientifiques souligne à quel point il est nécessaire de conduire une politique permettant le désarmement nucléaire et la non-prolifération. A cet égard, les précautions à prendre portent sur le nucléaire militaire, mais aussi le nucléaire civil pour la génération d’électricité. Elle souligne aussi à quel point les discours de certains responsables politiques, voire de chefs d’Etat sont irresponsables. Jacques Chirac laissant échapper dans une interview (puis intervenant pour faire enlever la phrase) "ce ne serait pas si grave, si l’Iran se dotait de quelques bombes nucléaires". Ou Nicolas Sarkozy évoquant l’idée d’une frappe nucléaire "préventive" dans l’atmosphère, au-dessus d’un pays menaçant la France. Sans parler de la mise au point de "mini-bombes" nucléaires par les militaires et le gouvernement américains afin d’abaisser le "seuil nucléaire" dans un guerre conventionnelle. Si la diminution des tensions entre les deux pays capitalistes que sont la Russie et les Etats-Unis a fait croire que le combat pour le désarmement nucléaire était moins urgent, les scientifiques viennent souligner à quel point il est nécessaire.

Sylvestre HUET

http://www.interet-general.info/article.php3?id_article=10670