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Mostra de Venise : Spike Lee "Bush ne se soucie pas des pauvres, même s’ils sont blancs"

Publie le lundi 4 septembre 2006 par Open-Publishing
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Mostra : Spike Lee libère des flots de colère

de Claudine Mulard

Un an après l’ouragan Katrina et l’inondation de La Nouvelle-Orléans, Spike Lee est le premier artiste américain à revisiter les lieux de la catastrophe. Son documentaire de quatre heures, When the Levees Broke : A Requiem in Four Acts (Quand les digues ont cédé : un requiem en quatre actes) a eu un fort impact lors de sa diffusion télévisée aux Etats-Unis au mois d’août.

Il a été projeté pour la première fois en Europe à la Mostra, le festival de cinéma de Venise, où Spike Lee a tenu des propos très durs, vendredi 1er septembre, à l’encontre des Etats-Unis et de George Bush : "C’est un pays pour les riches. Bush ne se soucie pas des pauvres, même s’ils sont blancs. Si vous êtes pauvre (...), il se fiche de vous, point. Si vous avez une certaine quantité d’argent dans votre compte en banque, alors vous comptez."

Pour le réalisateur de She’s Gotta Have it, Do the Right Thing et Malcolm X, Katrina marque "un moment crucial de l’histoire américaine. Je voulais faire le film pour la chaîne HBO, car, quand les gens sont en colère, ils jurent, et je ne voulais rien censurer de ce qu’ils avaient à me dire, pouvoir témoigner de leurs nerfs à vif...". Câblée et sur abonnement, la chaîne HBO (groupe Time Warner) n’est pas soumise à la censure du langage ou du contenu imposée aux chaînes hertziennes et au cinéma.

Spike Lee livre un document épique d’une beauté crue, un procès-verbal rigoureux du déluge et de ses conséquences. Bien sûr, le réalisateur noir, connu pour ses dénonciations corrosives du racisme américain, aborde de front toutes les controverses suscitées par l’absence de préparation à l’arrivée de Katrina, puis par l’inefficacité des secours, des autorités locales et fédérales. Il laisse parler la centaine de témoins qu’il a rencontrés et interviewés lui-même lors de huit voyages à La Nouvelle-Orléans, entre les mois de novembre 2005 et juin 2006. On ne l’entend ni ne le voit dans ce film sans commentaire en voix off.

Mais sa vision est omniprésente, ne serait-ce que dans le casting remarquable des personnages qui racontent leur épopée tragique, et qu’on retrouve d’un acte à l’autre, comme Phyllis Montana LeBlanc, inondée, évacuée, puis revenue et hébergée dans une caravane fournie par le gouvernement, toujours loquace et pleine d’humour. La note la plus politique vient d’Harry Belafonte, l’acteur et chanteur activiste, qui attribue l’absence de secours "à l’arrogance du pouvoir, et au fait que les gens pris dans cette tragédie étaient sans importance d’un point de vue social et racial pour le gouvernement".

PAR LES MAINS DE L’HOMME

Spike Lee énumère les images de son film qui le mettent le plus en colère : "Quand Condoleezza Rice achetait des chaussures Ferragamo sur Madison Avenue, puis est allée voir une comédie musicale ! Le survol de Bush ! La réponse lente, si lente, à atteindre La Nouvelle-Orléans ! Personne n’a encore expliqué pourquoi il n’y a pas eu de largage aérien de nourriture et d’eau. Il est important de comprendre que ce n’est pas une catastrophe causée par la nature, mais par les mains de l’homme."

Et d’ajouter, à propos des digues qui étaient censées protéger la ville : "Les Etats-Unis d’Amérique sont le pays le plus puissant et le plus riche de la civilisation moderne, alors que les Pays-Bas sont si petits ! C’est criminel. Quelqu’un doit aller en prison pour ce qui s’est passé à La Nouvelle-Orléans." Devant la caméra, c’est le trompettiste et compositeur Terence Blanchard qui parle d’envoyer les responsables "en prison". Cet enfant du pays a composé une musique bouleversante pour le documentaire, où il intervient aussi comme témoin. On le voit accompagner sa mère âgée quand elle revient dans sa maison inondée et inhabitable.

Si Spike Lee n’épargne pas George Bush - qui n’a pas répondu à sa demande d’entretien ! -, il n’est pas tendre non plus avec le maire noir de la ville, Ray Nagin, ni avec le gouverneur de la Louisiane, Kathleen Blanco. Mais il fait honnêtement la part des choses. Notamment sur la question des digues, dont certains pensent qu’elles n’ont pas cédé accidentellement mais ont été dynamitées pour contrôler les flots, provoquant l’inondation des bas quartiers les plus pauvres. Le film présente le rapport du corps des ingénieurs, publié en mai, lequel reconnaît les graves défauts de construction des digues, qui ont cédé d’elles-même sous la pression des eaux.

Aux Etats-Unis, le film de Spike Lee a été favorablement reçu par la critique. Le site Internet de mobilisation Moveon.org l’a même recommandé à ses abonnés. Sur le webzine Slate, Troy Patterson parle de "jazz filmique" à propos du style cinématographique, "aussi américain que le gumbo (plat du sud de la Louisiane) et Gershwin". "Malgré les craintes, ce n’est pas un film racial, encore moins un film raciste", apprécie Randy Fertek, du quotidien californien San Jose Mercury News, un natif revenu assister à la première du film, le 16 août, à La Nouvelle-Orléans : "Spike Lee est à la hauteur de la situation... Beaucoup de ses témoins sont des Blancs, et il écoute leurs histoires avec le même intérêt."

Sur le site Web Bayoubuzz.com, Jeff Crouere reproche toutefois au cinéaste d’avoir ignoré certains quartiers dévastés. Dans le quotidien local de La Nouvelle-Orléans, le Times Picayune, Dave Walker se réjouit : "Des millions de gens vont regarder et souffrir et se mettre en colère à cause de ce qui s’est passé ici. C’est bien, car, un an après, La Nouvelle-Orléans a bien besoin d’alliés compatissants et bien informés."

"C’est dur pour un New-Yorkais comme moi de dire ça, conclut le cinéaste, mais j’ai été complètement émerveillé par la force spirituelle des gens de La Nouvelle-Orléans." Il promet de suivre, caméra au poing, la suite de leur histoire.

http://www.lemonde.fr/web/article/0...

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