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Nestlé et la CGT s’affrontent sur l’avenir de Perrier

Publie le mardi 17 août 2004 par Open-Publishing

de Michel Delberghe

Le syndicat majoritaire a bloqué le plan de restructuration de la direction pour les sources de Vergèze (Gard), Vittel et Contrexéville (Vosges). Le groupe menace désormais de céder la célèbre marque d’eau pétillante ou même d’en délocaliser la production.

Vergèze (Gard) de notre envoyé spécial

"Produire du Perrier ailleurs qu’à Vergèze ? Je n’y crois pas et n’ose l’imaginer." Aux portes de la Camargue, à mi-chemin entre Nîmes et la mer, Gérard Gayaud, maire (UMP) de Vauvert, cité de 10 000 habitants qui accueille plusieurs centaines de salariés de l’entreprise, en est réduit aux supputations.

Depuis le retrait de son plan de restructuration, fin juillet, Nestlé Waters France, la maison mère, laisse planer tous les doutes sur l’avenir de Perrier à Vergèze. Le maire (s.e.) de cette commune de 3 000 habitants, René Balana, est lui aussi incrédule. "Ce serait aberrant de délocaliser une eau minérale de son site de captage."

L’élu sait ce que Vergèze aurait à perdre avec la disparition, partielle ou totale, des trois quarts des recettes du budget municipal, soit 3,6 millions d’euros de contributions. Avec 2 000 salariés - dont un peu plus de 500 pour la verrerie -, Perrier est le plus important employeur du Gard.

Parce que la marque commerciale de cette eau gazeuse doit son nom au médecin à l’origine de la relance de l’exploitation de la source des Bouillens au début du XXe siècle sans être attachée à un site géographique, l’hypothèse de la délocalisation serait juridiquement plausible. Au même titre qu’une cession de l’entreprise à des fonds d’investissement, cette solution a été relancée, le 30 juillet, par Richard Girardot, président de Nestlé Waters France, filiale française dans l’eau minérale du groupe suisse, propriétaire de Perrier depuis 1992.

Ces différents scénarios pourraient devenir réalité depuis que l’incessante lutte engagée entre la direction et le puissant syndicat CGT a tourné à l’épreuve de force. A l’issue de neuf mois de discussions, les dirigeants de l’organisation majoritaire ont mis en échec le plan de "réorganisation industrielle" du groupe incluant, outre le site de Vergèze, les unités de Vittel (1 286 salariés) et de Contrexéville (826), dans les Vosges. Un plan, évalué à 100 millions d’euros, conçu, selon la direction, pour "améliorer durablement l’efficacité de l’organisation du groupe-à moyen terme", sans plan social ni licenciement sec.

Soumise au comité central d’entreprise du 22 juillet, la version finale du "programme de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC)" était complétée par des dispositions favorisant le départ en cessation d’activité anticipée (CATS) des salariés âgés de 55 ans jusqu’en 2007. Soit, au total, 1 047 personnes - 940 postes à temps plein - sur les 4 100 salariés du groupe.

En contrepartie, la direction proposait 256 embauches - un emploi pour quatre départs. La CGT réclamait, elle, un taux de remplacement de 60 %. Jusqu’au dernier moment, les positions ne se sont pas rapprochées, ce qui a abouti à un accord signé, dès le 23, par les seules CFDT et CGC.

Représentant 55 % des suffrages exprimés sur les trois sites, les dirigeants de la CGT ont fait jouer le droit d’opposition prévu par la nouvelle loi du 4 mai 2004 sur les accords majoritaires. Et, par là même, ont contraint la direction à retirer définitivement un projet que FO et la CFTC n’avaient non plus, ratifié. "Cet accord était pourtant un moindre mal. Il permettait de préserver l’entreprise en l’état", souligne Michel Dormoy, délégué central CFDT, qui relève les dispositions avantageuses pour les salariés âgés, ainsi que la promesse - verbale - de nouveaux investissements dans les Vosges.

"La direction n’avait pas vraiment l’intention de négocier. Et elle cherche maintenant à nous faire porter la responsabilité de cet échec en nous diabolisant. Cet accord était un chèque en blanc pour une restructuration que nous ne pouvions pas accepter dans ces conditions", explique Jean-Paul Franc, délégué central CGT et responsable chez Perrier. A l’issue de discussions serrées, les dirigeants du syndicat majoritaire restent conscients des risques encourus par l’intransigeance de leur position. Et leur décision n’a pas forcément été bien accueillie, notamment dans les Vosges, où de vives altercations se sont produites entre leurs représentants et les salariés aux portes de Vittel.

A Vergèze, les salariés se réfugient dans le mutisme. Ils savent que leur sort se joue à Vevey, en Suisse, au siège de Nestlé, dont le PDG, Peter Brabeck, ne cache plus son impatience. Depuis la crise du benzène aux USA au début des années 1990 et la chute des ventes de 1,2 milliard de bouteilles à 600 000, l’entreprise, revenue à 800 000, a certes engagé son redressement et supprimé 800 emplois. Mais le taux de rentabilité est encore jugé insuffisant.

Dans le Gard, la réorganisation devait s’accompagner de l’externalisation des services communs (gardiennage, restauration, soit un peu plus de 200 emplois), pour rattraper les normes de productivité du groupe. En l’absence de publication des comptes et malgré les dénégations de la CGT, Perrier afficherait, en 2003, 9 millions d’euros de pertes, face aux 60 millions d’euros de bénéfices engrangés par Vittel et aux 40 millions de Contrex.

Enfin, le lancement, à titre expérimental aux Etats-Unis, depuis le mois de mai, d’un nouveau conditionnement d’un litre en plastique PET renforce les inquiétudes locales. Alors que la direction du groupe ne cache pas son intention de substituer progressivement le verre au plastique en Europe, aucune décision n’a été arrêtée pour le remplacement d’un des fours de la verrerie en 2005, soit un investissement de 15 millions d’euros. "La bouteille magnum, c’est notre gagne-pain. Sans alternative industrielle, nous sommes morts", résume Frédéric Destarak, délégué (CGT) des Verreries du Languedoc.

La situation est dans l’impasse. Concernant la menace de cession de Perrier, M. Franc considère que "Nestlé l’a prévu de longue date. Celui qui viendra ensuite fera la restructuration. Et ça ne peut pas être pire." Le président de Nestlé Waters France, pour sa part, assure : "On ne peut pas continuer d’avoir un mur devant nous". L’épreuve de force est loin d’être terminée.

Michel Delberghe

Suspension de la fermeture à Marseille

Perrier n’est pas le seul terrain d’affrontement entre la CGT et le groupe agroalimentaire suisse. Le 27 juillet, le syndicat a obtenu un jugement en référé du tribunal de grande instance de Marseille ordonnant la suspension de la fermeture de l’usine de Marseille - Saint-Menet, spécialisée dans le café soluble, avec 427 salariés, telle qu’elle avait été annoncée en mai (Le Monde du 26 mai). La direction de Nestlé France a été contrainte de réunir, "dans un délai d’un mois", le comité central d’entreprise pour justifier sa décision de ne pas donner suite à l’offre de reprise des cafés Legal. Si la CGT considère que "Nestlé France doit ouvrir de nouvelles négociations pour la poursuite de l’activité industrielle et la sauvegarde de l’emploi", la direction maintient sa position : "Créer à Marseille une activité concurrente de notre usine de Dieppe reviendrait à se tirer une balle dans le pied", a-t-elle indiqué.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3234,36-375638,0.html