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Nous avons besoin des outrances de Siné

Publie le jeudi 31 juillet 2008 par Open-Publishing
4 commentaires

de Jean-Marie Laclavetine

Bernard-Henri Lévy a raison : ce qui compte, ce sont les mots. La moindre des choses, quand on se livre à un réquisitoire aussi violent que le sien, serait donc de citer les phrases de Siné, afin de montrer l’évidence "odieuse, inexcusable, mortelle" de son fanatisme antisémite. Il s’en garde bien, et pour cause. S’il citait les phrases, le lecteur pourrait se rendre compte d’une autre évidence, pointée avec colère par Gisèle Halimi : dans un procès en justice, il n’y aurait strictement aucune chance pour que Siné, sur la base de ces lignes, soit condamné pour antisémitisme. La philosophie médiatique n’en est pas à une simplification ou un amalgame près pour frapper l’opinion. Inutile de discuter : on sait "ce que pensent les amis de Siné", ces "âmes glauques qui tripatouillent dans les histoires de sang, d’ADN, de génie des peuples, de race". De telles phrases n’appellent pas de réponse. Mais quelques commentaires, tout de même.

Il était prévisible que cette affaire suscite les récurrents effets de manche et sonneries de tocsin. Il n’y a là qu’un symptôme supplémentaire d’un triste état de fait : on ne respire plus, dans ce pays. La France pète de trouille, et ça ne sent pas bon. La poltronnerie de la plupart favorise l’autoritarisme de quelques-uns. Toute pensée, toute parole libres sont immédiatement soumises à un feu roulant d’intimidations, de condamnations ronflantes et sans appel. Comme le dit un proverbe japonais : "Le clou qui dépasse appelle le marteau." Malheur à celui qui critique les replis communautaristes, l’invasion massive du religieux dans l’espace public, la défaite annoncée de la laïcité dont le discours de Latran était un avant-goût, les clés des banlieues remises aux barbus par une république capitularde, l’arrogance grandissante des imams et des rabbins, la montée des intégrismes sous couvert de quête légitime d’identité, la politique israélienne ou palestinienne. Antisémite ! Islamophobe !

La rhétorique victimaire, chère à nos dirigeants, est omniprésente. Philippe Val n’est plus un patron de journal qui a licencié arbitrairement un collaborateur : il devient la victime d’une horde déchaînée dont l’oeil perçant du philosophe a saisi les motivations racistes. Ainsi Jean Sarkozy, bien fils de son père en matière d’arrogance, d’opportunisme et de grossièreté, est transformé en victime d’attaques honteuses dignes du Pilori (un journal antisémite sous l’Occupation) ou de la Milice.

Pourquoi le texte de soutien à Siné a-t-il recueilli plus de 2 000 signatures ? Bernard-Henri Lévy feint d’y voir un signe supplémentaire de la montée de l’antisémitisme en France. Les signataires se sentiront légitimement insultés par une telle accusation, qui n’est pas seulement injuste mais aveugle. Il semble que nos penseurs n’aient pas pris la mesure du sentiment d’asphyxie qui gagne de nombreux concitoyens, dans une société de surveillance mutuelle et de soumission générale. A l’heure où les humoristes graveleux et serviles imposent partout leur présence - et jusque dans l’entourage présidentiel -, nous avons besoin, un besoin vital, des outrances et des gueulantes d’un Siné. Souvenez-vous des couvertures qu’osaient publier il y a vingt ans Charlie Hebdo ou Hara-Kiri, et comparez avec ce qui se publie aujourd’hui : le chemin parcouru est atterrant.

OÙ EST L’OPPOSITION ?

Comme le monde est devenu simple ! La vérité nous est assenée jour après jour par une armée de journalistes conformes et de penseurs autorisés, qui nous débitent à toute heure leurs discours identiques. Où est la presse libre ? Où est l’opposition ? Le seul quotidien estampillé de gauche consacre cinq pages à Carla Sarkozy pour la sortie de son disque, dont les chaînes publiques assurent la promotion. La presse satirique a trempé son esprit d’insolence dans les bénitiers communautaires. Pas un organe de presse, pas une chaîne de télévision qui soit désormais en état de faire entendre une voix discordante. Le Parti communiste a disparu entre deux lames du parquet, l’extrême gauche tapine chez Drucker, le Parti socialiste mijote au tout petit feu des ambitions triviales, les syndicats se laissent tondre la laine sur le dos.

Dans une Europe barricadée, la maison France a fermé portes et fenêtres. La police du langage surveille chacune de nos phrases. Nous vivons dans l’obscurité des vérités communes, des hypocrisies admises, des bienséances cathodiques, des peurs silencieuses, des grandiloquences convenables. Comme il est doux de pleurer ensemble à la libération d’Ingrid Betancourt, tandis qu’on laisse crever en silence Marina Petrella dans sa cellule en attendant de refiler son presque-cadavre à notre ami Berlusconi... Ouvrez ! On étouffe, ici !

Jean-Marie Laclavetine est écrivain.

 http://www.lemonde.fr/opinions/arti...

Messages

  • Merci pour ce très bon article.
    Je suis loin d’être antisémite, et pourtant j’ai signé la pétition.

  • Mais c’est bien sûr parce qu’il s’agit du fils de qui vous savez...

    La même chose du fils de la boulangère et la conversation ne dépasse pas la boucherie d’à côté.

    J’espère que ces outrances-là continueront d’exister, c’est la démocratie.

    Et en chanson, ça donne :

    "Ne pleure pas Jeannette, tralalalalalalalalalala, lala (bis)

    Nous te marierons, (bis)

    Avec le fils d’un Prince, tralalalalalalalalalala, lala

    Avec le fils d’un Prince,

    Ou celui d’un baron (bis).

    Je ne veux pas d’un Prince, tralalalalalalalalalala, lala (bis)

    Je ne veux pas d’un Prince,

    Encore moins d’un baron, (bis).

    Je veux mon ami Pierre, tralalalalalalalalalala, lala (bis)

    Celui qu’est en prison, (bis)..."

    La suite dans le répertoire des chansons traditionnelles françaises.

    • "pas un organe de presse ne fait etat d’une voix discordante" .... c’est faux archi faux ... desole pour vous monsieur l’ecrivain il y a "l’humanite" ...mais il est vrai que vous ne devez pas être un lecteur de ce journal ... par consequent vous preferez l’ignorer comme font d’ailleurs les gens que vous critiquez à juste titre...mais bien entendu il y a surement d’autres qui pensent que "l’humanite" n’est pas aussi percutante dans ses critiques ceci est un autre débat ...
      mohamed.

  • Chapeau, Jean-Marc Laclavetine !

    L’heure est en effet aux bonnes manières, au conformisme au tri sélectif féroce pratiqué par les bien-pensants. C’est le peinturlurage à tout va des murs iconoclastes (« Ici vit un antisémite » !), c’est la dénonciation de figures incontestées et au-dessus de tout soupçon (Edgar Morin, Daniel Mermet, etc.).

    La conséquence, porteuse d’autres dangers à terme, est l’autocensure chez des intellectuels moins notoires, donc plus fragiles, mais néanmoins sensibles à une injustice qu’ils n’oublieront pas.

    Omerta.

    A la radio, il n’existe pratiquement plus d’émission en direct (mais la France EXIGE que les Chinois transmettent les JO sans aucun différé). Celles qui le sont dressent des garde-fous efficaces : les auditeurs qui téléphonent sont sélectionnés après discussion hors antenne, ils doivent énoncer leur question et s’y tenir, accepter la réponse (ou la non-réponse) sans droit de suite.

    A la télé, le direct (parcimonieux) suppose que les invités soient réputés convenables En général, ils ont antérieurement donné la preuve (dans des émissions enregistrées) qu’ils savaient jouer le jeu.

    Les micro-trottoirs (enregistrés) nous rapportent des propos, le plus souvent affligeants, d’individus semble-t-il choisis pour leur bêtise et leur ignorance, pour leur concordance avec l’image d’une France d’en bas vue par l’élite journalistique.

    Dans l’édition, tout écrit qui se situe radicalement en rupture avec la pensée unique ou avec le consensus médiatique, peine à être imprimé. J’en sais quelque chose : pour mon dernier livre (enquête) dont le manuscrit a effrayé en France des éditeurs réputés courageux (« On va avoir un procès ! »), j’ai trouvé sans le moindre problème un éditeur en Belgique et un au Venezuela. Il devrait y en avoir d’autres prochainement dans d’autres pays.

    Le livre est sorti en novembre 2007. Toujours pas de procès et aucune contestation par qui que ce soit de la véracité de mon enquête qui brise un mythe.

    Oui, nous vivons sous le régime de la traque et de la trouille. La trique hésite. Ne la laissons pas s’enhardir.

    MV.