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Paul Boccara : « le grand tabou du débat sur la croissance »

Publie le mercredi 30 août 2006 par Open-Publishing
6 commentaires

Économie . Face à la fragilité du rebond du PIB, l’économiste communiste souligne la nécessité d’une autre utilisation de l’argent, au service de l’emploi.

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 Quelle est votre appréciation du « bulletin de santé » très positif de l’économie française établi par Thierry Breton sur la base du rebond de croissance de 1,1 % au deuxième trimestre ?

Paul Boccara. Les cocoricos ne sont pas justifiés. Cette croissance est en réalité en phase avec ce qui se passe dans les autres pays européens. C’est dû non à la politique gouvernementale mais à un certain contrecoup de la croissance mondiale, qui reste en moyenne plus de deux fois plus forte. C’est aussi lié à une reconstitution des stocks des entreprises, après une baisse importante. Et c’est fragile. Même la Commission européenne prévoit un ralentissement fin 2006 et en 2007. Déjà, en juin, en France, il y a eu un recul en valeur des commandes reçues par l’industrie (- 2,3 % par rapport à mai), ainsi qu’une décélération de la consommation et des exportations. Le regain de l’investissement reste limité, avec une faiblesse dans l’industrie, hors bâtiment. Enfin, le déficit du commerce extérieur s’est creusé dans tous les domaines, excepté l’agroalimentaire, en raison de la faiblesse du tissu industriel, et pas seulement de la hausse du prix du pétrole.

 Le gouvernement fait grand cas de l’accélération des créations d’emplois, qu’il impute à cette croissance.

Paul Boccara. L’INSEE prévoit seulement 76 000 créations en 2006, contre 63 000 l’an dernier, dans le secteur marchand. Et en 2006 il y aurait 72 000 emplois en moins dans l’industrie hors construction (marquée par la spéculation immobilière) et intérim. Ensuite, beaucoup de créations relèvent de l’emploi aidé publiquement, c’est-à-dire sous-payé, très précaire, faisant pression à la baisse sur tous les salaires. Enfin, les perspectives mondiales sont caractérisées par un ralentissement aux États-Unis, avec les risques de contrecoup. En fait, la croissance européenne est depuis plusieurs années bien plus faible qu’aux États-Unis. En grande partie à cause des exportations de capitaux, favorisées par la politique d’euro fort de la BCE. Au lieu de développer l’emploi et l’investissement, on exporte des capitaux dans les pays émergents ou aux États-Unis. De juin 2005 à juin 2006, selon l’INSEE, les exportations de capitaux s’élèvent à 269,8 milliards d’euros, et, net des importations, à 61,7 milliards. Cela va avec les délocalisations, comme l’illustre SEB qui, après avoir fait des « plans sociaux » en France, annonce un grand rachat en Chine.

 Comment selon vous enclencher en France un autre type de croissance, qui soit durable et riche en emplois ?

Paul Boccara. La condition cruciale, sur laquelle on fait généralement silence dans le débat de politique économique, c’est une autre utilisation de l’argent. Premièrement, les fonds publics, au lieu de développer les services publics, sont surtout utilisés pour soutenir la rentabilité financière et l’irresponsabilité sociale des entreprises. Plus de 21 milliards d’euros, au nom de l’emploi, pour baisser les cotisations sociales, en dépit d’un effet pervers : cette baisse du « coût salarial » fait pression à la baisse sur tous les salaires, et cela déprime la demande, la croissance et l’emploi. Pourtant, la droite et le Parti socialiste soutiennent encore ce type de mesure. Il faudrait au contraire utiliser cet argent public pour baisser le coût des crédits, notamment pour les PME, écrasées par les taux d’intérêt.

Deuxièmement, les fonds les plus importants et dont on parle le moins : ceux des banques, du crédit, de la création monétaire. Pour un crédit qui incite à une croissance riche en emplois et en formations, il faudrait baisser les taux d’intérêt pour les investissements matériels et de recherche, mais de façon sélective : les taux seraient d’autant plus bas que seraient programmées des créations d’emplois et de formations. Il ne s’agit pas seulement de baisser les taux de « refinancement » des banques par la BCE, ce qui peut être utilisé pour les exportations de capitaux et la spéculation. La question décisive, que les communistes portent pour une gauche transformatrice, c’est une sélectivité du crédit à taux d’intérêt abaissés pour l’emploi. À propos des programmes pour 2007, à gauche comme à droite, le Cercle des économistes vient de décréter impossible de modifier le "mandat" de la BCE, la lutte contre l’inflation, en réalité obsessionnelle, au détriment de l’emploi : il faudrait « intégrer ce fait comme une contrainte » ! Au contraire, dans la droite ligne du « non » de gauche au traité constitutionnel européen, il faut une mission emploi pour la BCE, son contrôle démocratique, du Parlement européen jusqu’à de nouveaux pouvoirs dans les bassins d’emploi et les entreprises. Le PCF propose d’intervenir dès maintenant sur le crédit avec des Fonds régionaux pour l’emploi et la formation, qui prendraient en charge tout ou partie des intérêts. Agirait de la même façon un fonds national utilisant la vingtaine de milliards servant aux exonérations de cotisations sociales. Ainsi qu’un pôle public de financement, avec notamment la Caisse des dépôts. Troisième ensemble de fonds : ceux des entreprises. Il faut donner aux salariés le pouvoir d’intervenir pour des propositions alternatives et une autre gestion que celle dominée par la rentabilité financière exacerbée pour les actionnaires, avec d’autres critères, d’efficacité sociale : pour économiser les capitaux matériels et financiers, grâce aux nouvelles technologies, en développant, avec la recherche, la formation et les emplois qualifiés. Évidemment, cela s’oppose aux privatisations.

La progression des trois piliers du modèle social - emploi-formation, services publics, sécurité sociale - est également indispensable. Il s’agit aussi du pouvoir d’achat des salariés, qu’il faut augmenter très sensiblement. Cela va bien au-delà du saupoudrage envisagé par le gouvernement. Et il ne s’agit pas de la prime pour l’emploi, qui pousse à la baisse du coût salarial pour les entreprises et fait pression sur les autres salaires. Mais il ne convient pas seulement de changer le partage de la richesse. Pour consolider cette augmentation des salaires, il faut aussi changer les conditions de la production, en s’attaquant au financement, par le développement, avec la recherche, d’une sécurisation de l’emploi, de sa qualification, de la formation.

Entretien réalisé par Yves Housson

Messages

  • Il manque toutefois deux dimension à cette analyse que je partage pour l’essentiel :

    1/ des réponse collectives aux besoins sociaux : logements sociaux de qualité, transports collectifs, hopitaux publics...qui nécessitent un financement social. La hausse du pouvoir d’achat individuel n’est pas la seule solution.

    2/ la prise en compte de la crise énergétique et environnementale qui nécessite une profonde remise en cause de la notion de croissance ou tout au moins de son contenu

    le déficit de réflexion sur ces questions est sans doute une des principales raisons des difficultés de comprehension entre les communistes et les sensibilités altermondialistes et écologiques au sein du rassemblement antilibéral

    Engager ce dialogue, dans l’écoute réciproque et sans apriori idéologiques, est absolument nécessaire pour qu’une dynamique unitaire réussisse

    Encore un effort, camarades

    yalfeuaulac

  • Le fait que les IDE ont été de 116 milliards de dollars cette année ,qu’aucun systeme démocratique n’est en mesure d’empécher font que les propos de mr Bocccara sont des paroles vide de sens

    Claude

    IDE(invesstissement direct étrangers),rien à voir avec l’exportation de capitaux.

  • Si Paul Boccara ne finit pas en Keynes du 20ème siècle, il échappera sûrement au sort auquel la carrière a contraint son camarade Philippe Herzog : devenir une figure de la Bourse

    Qui aura le plus des deux régulé ? Les paris sont ouverts. En attendant notre éminent théoricien du capitalisme monopoliste d’Etat (une foutaise, comme on le sait) aura quand même refilé à Sarko un must sur la flexisécurité. Là, ce pourrait être sur le tard une vraie célébrité, voir le Nobel de la collaboration de classes, sur laquelle on en apprend autant en lisant Pif le chien... de garde !

  • Paul Bocara résume très bien, sans s’en rendre compte, l’esprit de la gauche « transformatrice » (réactionnaire). Tout d’abord, en acceptant la croissance de l’économie actuelle, il place le débat sur le point de vue du capitalisme (en régime capitaliste, la baisse tendancielle du taux de profit, oblige les capitalistes individuels à rechercher de nouveaux produit et de nouveaux marchés pour les écouler, c’est ce que les capitalistes appellent la « croissance productive » mesurée en PIB). Ensuite, en cadrant son discours sur l’économie nationale, il abstrait le caractère impérialiste du capitalisme actuel et de sa croissance (La concentration et l’exportation des capitaux évite la surproduction nationale et ouvre de nouveaux marchés à sa croissance). Enfin, après avoir évacué la principale contrainte du capitalisme ; maintient et, si possible, croissance du taux de profit (ce qui implique la baisse du prix de la force de travail, qui va de pair avec l’exportation de sa production et donc impose, la concentration et l’exportation des capitaux cumulés, pour échapper à une crise de surproduction) il peut à son aise, discourir, se contredire et inventer de nouveaux projets plus sociaux sans se faire trop remarquer.

    Que nous dit Paul Bocara : Tout d’abord, ’’Cette croissance est .. en phase avec … les autres pays européens. C’est dû non à la politique gouvernementale mais à … la croissance mondiale’’ La croissance est donc une question de conjoncture et le gouvernement (Français) n’y est pour rien ! D’ailleurs, (référence supérieure)’’ Même la Commission européenne prévoit...’’. Ensuite, ’’En fait, la croissance européenne est …. bien plus faible... à cause des exportations de capitaux…’’. Et ’’ Au lieu de développer l’emploi et l’investissement, on exporte des capitaux ....’’ P.B. ne sait même pas ce qu’est l’impérialisme et ne s’intéresse qu’aux emploies et investissements français sans tenir compte du marché extérieure. Enfin, ’’ La condition cruciale, sur laquelle on fait généralement silence … c’est une autre utilisation de l’argent…etc… etc…’’. C’est-à-dire, profiter de la conjoncture de croissance (Capitaliste et surtout impérialiste car le plus gros de la croissance provient de l’exportation de capitaux) pour faire du social. En effet, la gauche réactionnaire parle toujours pour ne rien dire et les capitalistes font silence pour empocher une croissance à deux chiffres.

    Il est à noter que les socialiste réactionnaires on toujours proposés « d’assainir » le capitalisme, de le rendre « acceptable » pour les malheureux « travailleurs » de la société.

    Stelios

    • A STELIOS ,

      j’admet tout a fait que tu ne sois pas d’accord avec Boccara , mais lorsque tu dis : "Paul Bocara résume très bien, sans s’en rendre compte" , tu ne veux pas débattre tu veux discrediter l’autre , dés le début tu indiques que P. Boccara est un vieux con qui radote , tu devrais pour apporter quelque chose au débat , relire les dernieres lignes de l’intervention de Yalefeuaulac , je crois que nous y gagnerions tous !
      Quant à l’intervenant qui parle du capitalisme monopoliste d’etat , je lui conseille avant d’excommunier de lire au moins les travaux que Boccara a consacré au sujet .
      claude de toulouse .

    • A Claude de Toulouse

      « Mea culpa » Claude, je dois contenir mon indignation pour, comme le dit yalfeuaulac, ’’Engager ce dialogue, dans l’écoute réciproque et sans apriori idéologique’’. Mais, explique-moi comment débattre d’un discours sans en critiquer le fond ? Ta référence à l’intervention de yalfeuaulac me condamne, mais seulement, sur la forme polémique de mon texte ; je l’assume, en prends note et t’en remercie. Mais sur le fond, suis-je responsable des propos d’un orateur ? Peut-on me reprocher de souligner les éléments d’un discours qui discréditent son auteur ? Personnellement j’assume l’entière responsabilité des textes et discours que je présente, ils m’appartiennent et matérialisent ce que je pense. Les critiques qui me sont rapportées m’interpellent mais si je me trompe, elles me discréditent. Sachant cela, je reste attentif à la représentation de mes idées et aux contradictions qui s’y attachent. Je me dois d’ajouter que toute diatribe ou épigramme détourne un débat de son fond, il est donc nécessaire de s’en écarter pour progresser dans une ’’dynamique unitaire réussisse’’ qui nous rapproche de ce monde réel que l’on a tendance à abstraire.

      Stelios