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Pour la mort du berlusconisme

Publie le jeudi 1er juillet 2004 par Open-Publishing
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de Ritanna Armeni

Le verdict est presque unanime. Le « berlusconisme » est fini. Mort à l’endroit
où il était né, dans le « Milan à boire » des temps de Craxi, dans son fief le
plus fort, dans sa capitale. La capitulation était attendue après le résultat
des élections européennes et des administratives, mais elle n’en diminue pas
l’importance ni les conséquences dans la société et dans la politique italienne.
Parce que ce qui s’est achevé à Milan, exactement là où, en 1994, la grande aventure
de Silvio Berlusconi était commencée, est un cycle politique, un système qui
il y a quelques mois à peine semblait très fort et destiné à durer.

Le berlusconisme a été avant tout une rupture, une solution de continuité. La
rupture avec cette Italie dominée par la Démocratie Chrétienne et le Parti Communiste
que Bettino Craxi avait déjà déstabilisée. Durant les années 90, Berlusconi,
entrepreneur, propriétaire de trois chaînes de télé, se présente comme l’homme
nouveau, capable de réaliser dans le pays le tournant rendu impossible par des
années de médiation et de concertation entre deux grands partis, de rompre avec
le système démocrate-chrétien de l’assistance et de défaire le grand pilier de
l’idéologie de gauche (le diable communiste). En quelques mots, de rompre avec
cet équilibre de pouvoir qu’avait été la Première république.

Il propose un modèle nouveau. Un libéralisme sans états d’âme, agressif et autoritaire, fondé sur la liberté des entreprises, grandes et petites, sur la libération de toutes les contraintes que les protagonistes de la Première république avaient imposées au marché. Sa vision de l’état et du pays – il ne se lasse pas de le répéter – est celle d’une entreprise, la sienne. Efficace, rapide, compétitive. Une entreprise qui rend riches tous ceux qui en font partie à condition qu’ils suivent les ordres du chef. Le parlement, les syndicats, les forces sociales, les corporations, les journaux et même les groupes de pouvoir sont, dans cette logique, un obstacle, un ralentissement du projet libéral et modernisateur qui va créer beaucoup de richesse. Aux autres, à ceux qui sont loin de ces richesses ou trop faibles pour y accéder, le chef de Forza Italia offre une compassion populiste. Il promet un million d’emplois aux chômeurs et un million de lires (516,48 euros : NdT) par mois aux retraités pauvres. Et en plus, un bien-être répandu qui naîtrait de la nouvelle efficacité de l’entreprise Italie.

Avec cette recette, Berlusconi a bâti et assemblé un bloc social fort et compact qui comprenait la grande industrie du nord et la petite entreprise, qui souhaitaient effacer les droits et les syndicats, une classe moyenne qui voulait la réduction des taxes, symbole d’un état centralisateur et oppresseur, et les classes défavorisées frappées par une modernisation féroce et désireuses de s’adapter à un cours qui ne les écarte pas d’un nouveau développement. Avec cette recette, il a assemblé les forces politiques, Ligue, Alliance Nationale, UDC, qui forment aujourd’hui le centre-droit. Et qui représentaient, de façon différente et hybride, ces forces sociales.

Le fédéralisme, la mise à l’écart du syndicat, spécialement dans sa composante de classe, par la fin de toute pratique de concertation ou même par les coups de force (voire art.18), les lois sur le marché du travail pour le rendre flexible et précaire, la promesse de grands ouvrages pour assurer le développement du Sud, la réduction des taxes ont été à tour de rôle les tasseaux de sa stratégie. Une violente idéologie anticommuniste était le ciment qui entrait en fonction dans les moments de crise et l’unissait à l’homme de la rue. Le pouvoir sur les médias était le moyen pour entrer directement en contact avec le peuple, pour s’adresser à lui en dehors des organisations de la société civile et des institutions.

Berlusconi, disent aujourd’hui les urnes, a échoué. Et il a échoué sur deux plans de sa stratégie : le populisme et le libéralisme.

Le populisme n’a pas tenu face à l’empirement des conditions de vie et de travail. Il n’a pas tenu face à la précarité et à l’insécurité, à la réduction de facto de la valeur des salaires et des retraites. Face à la persistance de taux élevés de chômage. Il n’a pas tenu face à un malaise social qui, au bout de trois ans de gouvernement, loin d’avoir baissé, s’est accru.

Mais la recette libérale s’est usée, elle aussi, jusqu’à la corde. Et sur deux fronts. Sur le front de ceux qui n’en ont tiré aucun avantage, mais qui en ont expérimenté, au contraire, la force destructrice et sur le front de ceux qui – les grands patrons, les organes d’informations – considèrent que Berlusconi n’est pas en mesure de l’appliquer. La prise de position du nouveau président de Confindustria (le MEDEF italien : NdT) en faveur de la concertation et du dialogue avec les syndicats est une rupture explicite avec la stratégie berlusconienne. La position du Corriere della Sera – le quotidien de la bourgeoisie italienne – qui a été le premier à se faire porte parole du malaise des classes moyennes et a mis en évidence la possibilité d’une ligne libérale qui ne soit pas gérée par le centre-droit et son leader, est un signal non équivoque de la méfiance de la grande bourgeoisie vis-à-vis du chef du gouvernement.

La crise est donc ouverte. Toutes les questions que la société a posées à Berlusconi et au berlusconisme sont restées sans réponse. Une nouvelle saison s’ouvre. Pour le centre-droit naturellement, mais surtout pour les oppositions. Deux chemins sont devant elles. Le premier prévoit l’attente, le long du fleuve, du cadavre de l’ennemi. Face à la désagrégation de la majorité ce qu’il y a de mieux – pensent les partisans de cette hypothèse – est de s’arrêter et d’attendre que la crise s’accomplisse. Quand cela sera arrivé le changement de classe dirigeante sera inévitable et évident. C’est la logique de l’alternance qui l’exige et le prévoit. La même logique ne prévoit pas de grands changements une fois la relève de la garde effectuée. La recette reste plus ou moins la recette libérale, tempérée par le dialogue avec les syndicats, par quelques formes d’assistance et peut-être (peut-être) par moins d’arrogance dans la gestion de l’information.

Le second chemin prévoit une accélération. Si la crise est – et elle l’est – la crise d’un modèle social et d’une proposition politique qui s’en suit, les oppositions doivent formuler tout de suite une nouvelle proposition sociale et politique. Une alternative. Ils ne doivent pas attendre que la crise devienne plus profonde, mais il doivent intervenir immédiatement en demandant la fin de la législature, de nouvelles élections en s’y présentant avec un programme qui donne au pays ce que le berlusconisme n’a pas su lui donner.

A partir d’aujourd’hui le débat politique est aussi sur ces deux hypothèses.

Liberazione

Traduit de l’italien par Karl et Rosa

01.07.2004
Collectif Bellaciao

Messages

  • C’est rigolo, comme analyse. Parce que lors des élections européennes du 13 juin, la coalition de Berlusconi a obtenu 49 % des voix, contre 43 pour une gauche ultra-divisée dont les composantes ne sont d’accord sur à peu près rien du tout. Mais enfin, si Mlle Armeni prend ses désirs pour des réalités, elle retombera de son haut et sa chute n’en sera que plus rude :o))