Accueil > Procès Milosevic : une cassette qui peut tout changer

Procès Milosevic : une cassette qui peut tout changer

Publie le lundi 6 juin 2005 par Open-Publishing
1 commentaire

Par Ana Uzelac (IWPR)

Le 2 juin, Belgrade a procédé à l’arrestation de plusieurs personnes suspectées d’avoir participé à l’exécution de jeunes Musulmans, après la projection inattendue au tribunal de La Haye d’une cassette vidéo et de son expédition en Serbie. Cette cassette, si elle est authentifiée, pourrait avoir des conséquences majeures sur le procès de Slobodan Milosevic, car elle prouve l’implication directe de la Serbie dans les crimes commis en Bosnie.

Le 1er juin, des procureurs du Tribunal de La Haye ont projeté une cassette vidéo montrant des membres d’une célèbre unité paramilitaire, suspectée d’avoir opérer sous les ordres des services secrets serbes en juillet 1995.

La cassette est considérée comme l’une des pièces à conviction la plus forte disponible publiquement de la complicité du gouvernement de Milosevic dans la pire des atrocités de la guerre en Bosnie et si elle est authentifiée, elle pourrait renforcer l’accusation de génocide contre Milosevic.

La cassette a été montrée pendant le contre-interrogatoire de l’ancien assistant du ministre de l’Intérieur Obrad Stevanovic, qui témoignait pour la défense ces trois dernières semaines. De nombreuses chaînes de télévision ont rediffusé la cassette plus tard ce soir-là, ce qui a provoqué une onde de choc dans l’opinion publique.

La porte-parole du bureau du procureur pour les crimes de guerre à Belgrade a confirmé à B92 que les 10 personnes arrêtées étaient des membres des Scorpions et que les exécutions avaient eu lieu près du village de Trnovo sur les pentes de la montagne de Jahorina, près de Sarajevo.

La vidéo montre des hommes en tenue de camouflage qui exécutent de jeunes hommes. Deux d’entre eux, portés disparus après la chute de Srebrenica, ont été identifiés par leurs familles. Quatre de ces hommes semblent avoir moins de vingt ans, deux la trentaine.

La cassette qui ne porte ni date, ni marque de temps, commence par montrer les paramilitaires serbes qui font descendre les six prisonniers d’un camion, puis les mènent à travers bois vers un lieu d’exécution, en les faisant avancer comme du bétail.

Les Musulmans marchent calmement, les mains liées, les yeux vers le sol. Les paramiltaires leur disent de s’arrêter, les mettent en ligne pour l’exécution et puis tirent à bout portant, en tuant quatre.

Le Premier ministre de Serbie Vojislav Kostunica, longtemps un farouche adversaire du TPI, est apparu à une conférence de presse à Belgrade le 2 juin en compagnie de la Procureure générale Carla Del Ponte pour annoncer les arrestations qui ont eu lieu après l’envoi en Serbie de la cassette.

« Je crois qu’il est important pour notre opinion publique que nous réagissions rapidement et qu’à partir de ces monstrueuses séquences, plusieurs de ceux qui sont impliqués dans ce crime soient arrêtés et traduits devant la justice », a déclaré Vojislav Kostunica.

La cassette vidéo peut-elle être une pièce à conviction ?

Les procureurs de La Haye ont découvert cette pièce à conviction vitale presque un an après avoir refermé leur dossier d’accusation contre Milosevic. À cause des procédures très complexes du tribunal, ils pourraient rencontrer des difficultés à inclure cette pièce dans le procès. Selon les sources d’IWPR, ils ont reçu la cassette seulement à la fin de l’hiver, en gros un an après la fermeture de leur dossier d’accusation contre Milosevic.

On ne sait pas si les procureurs vont chercher à faire admettre la cassette comme preuve à ce stade, mais d’après la première réaction de l’avocat de Milosevic désigné par la cour, Steven Kay QC, il est évident que s’ils essaient de le faire, une bataille procédurière va s’en suivre.

Le tribunal et les observateurs semblent s’accorder pour dire que si le document est authentifié, cela sera l’une des pièces à conviction les plus importantes pour prouver l’implication directe de Belgrade dans les massacres de Srebrenica. Milosevic est accusé, entre autres, de génocide contre les Musulmans de Bosnie, et le massacre de Srebrenica est le seul cas légal établi de génocide en Bosnie.

Les gouvernements successifs de Serbie ont plusieurs fois nié tout lien avec le massacre de Srebrenica. Mais les procureurs du tribunal insistent sur le fait que Belgrade était impliqué dans ce massacre par l’intermédiaire d’unités qui étaient sous le commandement officiel du ministère de l’Intérieur de Serbie et donc indirectement subordonnées à Milosevic lui-même.

Un document que les procureurs avaient soumis comme preuve au procès était un ordre écrit du ministère de l’Intérieur bosno-serbe de « transférer les unités du ministère de l’Intérieur de Serbie (alors sous son commandement) de leurs positions près de Sarajevo à des positions près de Srebrenica », mais aucune preuve d’un tel mouvement de troupes n’a pu émerger jusqu’à aujourd’hui.

Dans son premier témoignage, Obrad Stevanovic avait confirmé que des unités du ministère de l’Intérieur de Serbie avaient été envoyées vers les parties de la Bosnie contrôlées par les Serbes et mises sous le commandement des Serbes de Bosnie. Il insistait, cependant, sur le fait que ces unités ne faisaient là que participer à « des activités normales de police », et qu’elles étaient stationnées dans la ville de Banja Luka et aux alentours, à une centaine de kilomètres de Srebrenica.

Les minutes d’une réunion du Conseil suprême de la défense, une autorité de coordination militaire de cette époque sont aussi une autre preuve potentiellement importante relative à l’implication de la Serbie dans la guerre en Bosnie et probablement dans le massacre de Srebrenica lui-même. Mais Belgrade a insisté pour que la plus grande partie de ces minutes soient gardées sous haute protection.

« Cette cassette est la première preuve publique de l’implication de la Serbie et cela fait une grande différence », a déclaré une source du tribunal s’exprimant sous couvert de l’anonymat.

Alors que les procureurs refusent de faire un commentaire officiel sur ce qu’ils comptent faire avec cette cassette une fois qu’elle sera authentifiée, des sources du tribunal et des observateurs suggèrent tout un éventail de manières dont on pourrait s’en servir comme preuve. Une des options serait que l’accusation demande que la cassette soit admise comme une nouvelle preuve importante dans le procès de Milosevic, mais elle aurait besoin de prouver qu’elle représente une nouvelle contribution importante dans leur dossier.

La cassette et le procès Milosevic

Elle pourrait aussi être utilisée dans la phase de réfutation du procès, ou bien les procureurs pourraient même demander la réouverture de leur procès sur la base de l’importance de la cassette, ainsi que le suggère Edgar Chen, l’observateur de la Coalition pour la Justice Internationale au procès de Milosevic.

La vidéo pourrait aussi jouer un rôle dans une autre affaire, le procès contre le chef des services secrets serbes Jovica Stanisic, qui a récemment été libéré de la prison de La Haye pour attendre son procès devant les tribunaux de Belgrade.

Edgar Chen met toutefois en garde sur le fait que la cassette a besoin d’être authentifiée avant de devenir une pièce à conviction valide à cause de son poids potentiel dans le procès Milosevic et les autres et pour cela son authenticité risque d’être mis en cause par n’importe quel accusé et elle sera considérée avec soin par les juges.

Un autre point important sera l’identification des victimes comme étant bien des victimes de Srebrenica et la preuve que l’unité des Scorpions était vraiment contrôlée par le ministère de l’Intérieur serbe ou ses services secrets.

Mais, « si la cassette est authentifiée et si elle est acceptée comme pièce à conviction, cela pourrait avoir un effet dévastateur pour la défense de Milosevic », a assuré Edgar Chen.

Traduit par Jacqueline Dérens
 http://www.balkans.eu.org/article55...

Messages