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Quelle éducation pour quelle démocratie ?

Publie le mardi 21 avril 2009 par Open-Publishing
3 commentaires

Une citation du fameux penseur libéral Walter Lippmann en préambule à cet article, je vous la laisse déguster…
« Le peuple est un troupeau égaré, bien trop émotif, incapable de s’occuper de ses propres affaires, et qui doit être encadré, contrôlé et conduit par une avant-garde, une élite de décideurs éclairés. Les gens doivent être détournés vers des buts inoffensifs. Il faut les noyer, les assommer sous une masse d’informations qui ne leur laisse pas le temps de réfléchir. Il faut les persuader qu’ils sont incapables de provoquer des changements, il faut les convaincre que la révolte entraine toujours le pire, il faut les faire voter de temps à autre, leur donner l’illusion de décider, l’illusion nécessaire ».

Si j’ajoute que Lippmann est né en 1889 (décédé en 1974) et que c’est un colloque portant son nom organisé en 1932 qui a fondé le néolibéralisme, cela éclaire encore un peu plus ses propos…Toute ressemblance avec un mode d’organisation de nos sociétés ne serait pas complètement fortuite…

Cela interroge sous un jour nouveau le mode d’organisation « démocratique » des sociétés dites « développées ». Nous vivons en effet dans une « démocratie » de type parlementaire, c’est-à-dire dans laquelle une minorité, certes désignée mais j’y reviendrai, reçoit mandat pour diriger aux destinées de l’ensemble des habitants du territoire (commune, département, région, état, cadre supranational-Europe-).

A partir de l’élection, l’élu va disposer de formidables pouvoirs d’intervention sans que quasiment aucun contrôle ne puisse être exercé par le peuple : un élu n’est pas révocable parce qu’il ne fait pas ce pourquoi il a été choisi ! Le scandale du NON au référendum européen en était la preuve criante : les députés, élus du peuple, se sont assis sur le choix opéré en 2005 pour ratifier honteusement le traité de Lisbonne !!

A cela, Churchill répondait par une formule restée célèbre : « la meilleure critique de la démocratie est un entretien de cinq minutes avec un électeur moyen ». Nul besoin donc, selon lui, de rendre des comptes aux électeurs puisque ceux-ci ne sont que des ânes servant à légitimer ou asseoir le pouvoir d’une « élite de décideurs éclairés ». Nous sommes bien loin de la formule de Lincoln (copiée à Périclès) : « La démocratie c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. »

Notre système politique est d’une farouche hypocrisie : sous prétexte que nous avons le droit de vote, nous sommes en démocratie ! Mais voter n’est qu’un choix fait parmi une série de candidats, en subissant fortement l’influence de notre environnement, des médias…et sans pouvoir influer, dans l’immense majorité des cas, en amont sur le projet porté par le candidat.
Le système tel qu’il existe ressemble furieusement à la vision de la démocratie de Lippmann : une poignée d’hommes et de femmes aux intérêts convergents, président à la destinée du troupeau de moutons que l’on maintient délibérément dans une ignorance et un désintérêt de la chose publique.

Ajoutons à cela la volonté du gouvernement, appuyé par la commission Balladur, de supprimer au maximum les échelons les plus locaux de la vie politique (communes et départements), donc les possibilités les plus fortes de l’existence d’une vie démocratique. En tant que citoyen électeur, j’ai en effet plus de probabilité de rencontrer le maire de ma commune (en mairie, au marché…) et de lui transmettre mes doléances que de rencontrer mon président de région ou un ministre pour lui faire entendre ma voix. Sur ce point précis, on peut d’ailleurs s’étonner du calendrier retenu pour cette réforme Balladur, vouloir fusionner les communes ou les régions aurait paru moins intéressé lorsqu’elles étaient majoritairement à droite…

On le voit ici clairement, plusieurs mesures sont urgentes à prendre pour améliorer notre système démocratique (la liste étant loin d’être exhaustive et ne constituant qu’un préalable) :
 Renforcement des échelons locaux de la vie démocratique (pas touche aux communes !)
 Chaque élu du peuple doit pouvoir être révocable par référendum dès lors qu’il « trahit » le programme pour lequel il a été élu.
 Une véritable « éducation populaire » doit être mise en place, accessible à tous, quelque soit son capital financier, tout au long de sa vie. Cela afin de permettre à chacun d’être un « décideur éclairé », citoyen actif, lucide et responsable. Cela peut (et doit) être fait localement, en mettant en commun nos ressources culturelles (livres, peinture, musique, connaissances et réflexions personnelles) afin de les partager et de les enrichir. Un parti comme le parti communiste, qui a si bien su le faire, doit apporter la culture à ceux qui n’y ont pas accès, par manque de moyens ou par habitude : bibliothèques itinérantes, projections-débat, spectacles, café-débat… Car c’est la compréhension du monde et de ses mécanismes qui permettra à chacun de devenir « citoyen », de s’émanciper, de se placer en tant que sujet agissant pour bâtir des projets communs.
 Renforcer le rôle des partis politiques (et de gauche en premier lieu !). Cela passe aussi par la démonstration de leur force émancipatrice pour les citoyens, au travers notamment des actions d’éducation populaire et des luttes sociales. Cela doit ensuite permettre d’impliquer les citoyens dans la construction des projets et programmes politiques. Le vote ne serait alors plus un choix, mais une décision, il ne serait plus une sélection mais une construction !

Nous pouvons, localement, améliorer la vie démocratique en donnant vie à une véritable « éducation populaire partagée » …alors, chiche ?

Messages

  • Ce texte de Lippmann a au moins le mérite d’être clair et de nous laisser entrevoir cet état d’esprit que nous retrouvons dans la politique actuelle !Nous ne pouvons plus être dupes ;mais il faut quand même admettre aussi qu’il existe toute une partie de la population qui souffre d’une ignorance incroyable et d’une incapacité intellectuelle gravissime !Ce n’est pas en faisant circuler une bibliothèque ambulante qu’on changera cette situation !Le travail sera fastidieux et je pense qu’il y aura toujours des êtres "démunis" parmi nous ! L’essentiel est qu’un noyau de citoyen se réveillent et s’il sont assez nombreux,le reste suivra et le délire de la prétention et de l’hypertrophie égotique n’aura plus de prise sur nos vies !

    • Il est vrai que l’on peut se navrer de l’ignorance politique, culturelle...d’une (trop) large part de la population (à commencer par moi, probablement...).
      Ceci étant posé, et le lien entre cette inculture et l’acceptation quasi unanime de notre système comme étant une démocratie étant avéré, que faire ?
      Je ne partage pas votre pessimisme quant à l’incapacité "structurelle" de certains individus à s’élever et à accéder à un haut degré de culture...
      A ma connaissance, aucun gène de l’incapacité intellectuelle n’a pu être mis en évidence. Je ne crois donc pas à "l’incapacité intellectuelle" des gens, je crois plutôt à l’absence ou à la faillite de l’éducation qui leur a été donné.

      L’intérêt d’une éducation populaire, qui ne se résume bien évidemment pas à la simple circulation d’une bibliothèque ambulante, réside donc dans le double postulat suivant : le principe d’éducabilité des gens et la certitude qu’il n’existe pas de vie démocratique possible sans que la plus large majorité des citoyens puisse être des "décideurs éclairés"...

  • Tout à fait d’accord avec vous pour affirmer qu’il n’existe pas de gène décidant du niveau d’intelligence et que l’éducation est le terreau qui peut permettre un monde meilleur ! mais c’est un travail de très longue haleine que d’initier à l’esprit critique des gens soumis depuis des générations à toutes formes d’autorité.. ;c’est carrément devenu un atavisme (en tous cas dans ma région),et j’ai l’impression que le temps presse !D’autre part ,il manque au sein de la population un désir d’évoluer, une curiosité qui pourrait être un moteur vers plus de lucidité ; le fait de se laisser pousser par les vagues semble un état confortable et prendre ses responsabilités est relativement difficile...Mais ne rêvons pas,la tâche est rude et je maintiens ,sans jugement de valeur que tout le monde n’aura jamais le même QI et c’est tant mieux,car rien de pire que la standardisation !
    Il faudrait changer de mentalité et réviser tous nos comportements,notamment le rapport adulte -enfant ,la place et le rôle des enfants (ce sont nos enfants qui nous enseignent la vie...)etc...