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Qui tue qui en Iraq ?

Publie le mercredi 12 avril 2006 par Open-Publishing
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par Khouloud El Amri, Al Hayat, Londres, 9 avril 2006

Original :

[http://www.alhayat.com/special/features/04-2006/Item-20060408-7a2ee778-c0a8-10ed-0105-00346473ba9f/story.html/]

Traduit de l’arabe par Ahmed Manaï, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique www.tlaxcala.es. cette rtaduction est en Copyleft.

À Bagdad, les kamikazes sont enterrés à côté de leurs
victimes

Les interpellations, les assassinats et les cadavres
anonymes, transportés dans de camionnettes officielles
à ciel ouvert, font désormais partie de la vie
quotidienne des Iraquiens qui semblent s’y être
habitués. Pas un jour, depuis trois ans, où l’on
n’annonce la découverte de nouveaux cadavres,
jetés en bordure des pistes dans les zones agricoles,
à proximité des décharges publiques et des
canalisations des eaux usées à la lisière des villes
et notamment à Bagdad. La plupart du temps, les
cadavres ont les mains enchaînées, les yeux bandés et
portent des marques de la torture, selon les
communiqués du ministère de l’intérieur.

Les forces de police iraquienne commencent normalement leur journée
en allant à la recherche des « cadavres anonymes »
qui leur ont été signalés souvent par des passants.
Les statistiques officielles dénombrent en moyenne dix
à trente cadavres abandonnés par jour lesquels sont
transportés dans les hôpitaux officiels dans un
premier temps, puis à l’institut de médecine légale à
Bagdad dans l’attente que des proches reconnaissent
les victimes. Au bout d’un certain temps, nombre
d’entre elles sont enterrées par les médecins
eux-mêmes.

L’assassin et la victime côte à côte

Selon le docteur Kaïs Hassen, directeur de l’Institut
de médecine légale de Bagdad, la morgue a une capacité
de moins de 200 cadavres par mois, mais actuellement
elle en reçoit plus de 1 000 en moyenne par mois. Selon
lui, le nombre de cadavres d’inconnus, reçus par la
morgue de l’Institut lmédico-légal de Bagdad, est passé de
2008 en 2002 à 10 105 à la fin de 2005. Ces chiffres
ne couvrent pas les victimes des explosions et des
affrontements armés dans les villes chaudes, mais
couvrent seulement les corps en lambeaux des kamikazes
et de leurs victimes, ainsi que les cadavres anonymes
découverts par la police.

Il ajoute que « les règlements du ministère de la
Santé autorisent à conserver à la morgue, pendant deux
mois, les cadavres d’anonymes qu’on ne parvient pas à
identifier. Mais ces règlements se trouvent faussés
par le nombre de plus en plus important de cadavres,
si bien que les médecins procèdent, toutes les
semaines, à leur enterrement dans les cimetières
publics, après avoir obtenu l’autorisation du juge
responsable et sous le contrôle de la municipalité de
Bagdad ». Les cadavres ne sont enterrés qu’une fois
photographiés et leurs signes distinctifs relevés. Les
lambeaux de vêtements, les bijoux ainsi que
d’éventuels achats des victimes, sont conservés dans
l’attente que des proches des victimes viendraient à
les reconnaître. Des numéros spéciaux sont donnés aux
tombes pour faciliter aux proches la reconnaissance
des leurs en cas de besoin.

L’enterrement se fait par groupe de 60 à 70 cadavres,
y compris les restes des kamikazes, qui côtoient leurs
victimes dans le même cimetière. Le docteur Hassen
fait remarquer que la majorité des cadavres porte des
impacts de balles, alors que d’autres, apparus
récemment, portent des traces de strangulation.
D’autres cadavres portent les traces de la torture par
le feu ou la perceuses. Il ajoute que le nombre de
corps réceptionnés à la morgue, au cours du mois de
janvier de cette année, était de 1 086, puis de 1 110 au
mois de février dernier, remarquant que les mesures de
sécurité drastiques prises ces derniers temps, tels
que le couvre-feu, ont permis de conserver cette
moyenne.

Les proches des victimes et les tombes d’inconnus

Dans les grands cimetières de Bagdad, Kerbala, Nadjaf,
il y a entre les rangées de tombes, de nombreux
espaces difformes, défrichés et ne portant aucune
marque distinctive. Il s’agit en fait de tombes
creusées à la hâte et renfermant des morts anonymes,
enterrés par les autorités après des semaines
d’attente pour une reconnaissance par des proches.
Le propriétaire du « Moghtasel Al Fourat », « endroit
où l’on purifie les morts », Abou Zineb déclare que
les enterrements se font sous le contrôle des
autorités administratives et des Habous chiites [« 
biens religieux »], ajoutant que de nombreux cadavres
étaient anonymes. Il dit que le dernier chiffre des
morts réceptionnés était de 125, tués de diverses
manières et dont certains avaient les bras et les
jambes coupés.

Abou Saad, le père d’une victime
classée inconnue, raconte son calvaire dans la
recherche de son fils, kidnappé par un groupe armé, à
sa sortie de la maison pour aller au travail. Ainsi,
il a dû faire et refaire une longue tournée des postes
de police et autres centres de sécurité dépendant des
ministères de l’Intérieur et de la Défense, pour finir
enfin entre les cadavres anonymes dans les hôpitaux et
à l’institut médico-légal. Il dit que c’est un de ses
voisins qui le lui avait conseillé. Ce dernier avait
retrouvé le corps de son fils, ancien agent des forces
de sécurité, disparu depuis trois mois, par
l’intermédiaire de l’institut médico-légal. Il a pu
ainsi obtenir le numéro de la tombe de son fils au
cimetière Al- Karakh à Bagdad et dit avoir caché cette
terrible vérité à sa femme, étant donné son état de
santé et pour la laisser encore vivre sur l’espoir.

Accusations et suspicions

Quoique toutes les composantes politiques, sunnites et
chiites, s’accordent à dire que les assassinats
confessionnels perpétrés récemment dans le pays, font
partie de tentatives de provoquer la guerre civile,
elles n’hésitent pas cependant à s’accuser
mutuellement d’en porter la responsabilité.

Certains dirigeants sunnites accusent des milices
chiites, notamment l’organisation Badr dépendant du
Conseil de la révolution islamique en Iraq, présidé
par Abdel Aziz Al Hakim, de commettre ces opérations.
Utilisant des cagoules noires et des véhicules
comparables à ceux des forces de police et de sécurité
du ministère de l’Intérieur, elles enlèvent leurs
victimes, les assassinent et jettent leurs corps dans
des lieux inconnus.

Ces escadrons de la mort constituent une grande énigme
en Iraq et leurs actions meurtrières sont l’objet
d’une polémique entre les Iraquiens car ils ont fait
des centaines de victimes innocentes et sans armes,
dont ils n’hésitent pas à martyriser les corps et à
les jeter dans les décharges publiques et les
canalisations des eaux usées. Leurs méfaits, plus
nombreux chaque fois qu’il y a un relâchement de la
sécurité, s’exercent surtout dans les grandes villes
où cohabitent de nombreuses composantes religieuses,
confessionnelles et ethniques.

Les habitants des grandes villes telles que Bagdad,
Mossoul, Babel et Diali peuvent voir ces
escadrons déambuler dans les rues de leurs villes
respectives, interpellant les fidèles dans les
mosquées, pénétrant dans les maisons pour enlever le
père, souvent accompagné du fils, dont on retrouve les
corps martyrisés et portant les traces de la torture,
le lendemain.

Les accusations à l’encontre de la milice Badr, reposent
sur le fait que ces assassinats se sont multipliés
après que le Conseil supérieur de la révolution
islamique a pris le portefeuille de l’Intérieur dans
le gouvernement provisoire, au mois d’avril de l’année
dernière. Le ministère de l’Intérieur, pour sa part,
nie toute implication dans ces assassinats et dément
disposer d’escadrons spécialisés dans les assassinats
ciblés de sunnites. Il reconnaît cependant que des
hommes armés, portant sa tenue, sont derrière une
série d’enlèvements et d’assassinats perpétrés dans
des quartiers à majorité sunnite.

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