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Retraites : le scénario imprévu qui inquiète l’Elysée
Publie le samedi 9 octobre 2010 par Open-Publishingde Laurence Dequay
Un nouveau 95 ou un autre CPE ? Ni l’un ni l’autre, ou peut-être les deux. L’unité syndicale, en tout cas, est en train de créer les conditions d’un mouvement de longue durée qui déborde les prévisions de sarkoland. Vivement le 13 octobre ?
Appels à manifestations. A la tenue d’assemblées générales sur tous les lieux de travail. A des grèves reconductibles. Quel sera donc être le scénario d’après le 12 octobre du mouvement social contre la réforme des retraites ? Un nouveau décembre 95 qui verrait quelques secteurs d’activité en ébullition- les transports, l’énergie, l’industrie- entraîner par leur détermination des infirmières, des postiers, des employés de commerce ? Un mouvement de type CPE qui tente d’acculer le pouvoir en enrôlant la jeunesse dans des manifestations quotidiennes ? Les deux à la fois ? Une révolte qui s’effiloche face à un gouvernement arque-bouté sur ces dogmes financiers ?
En France plus que dans tout autre pays européen, la météorologie sociale reste, on le sait, un art risqué tant les salariés largement émancipés des syndicats, font preuve d’autonomie. Cette fois pourtant, aiguillonné depuis des mois par une intersyndicale soudée qui aura tout essayé, -de la grève carrée à la manif du samedi- avant d’élever de rapport de force en s’en remettant à la démocratie de la base, le feuilleton en cours est suffisamment original pour livrer quelques clés.
Première constatation. Depuis des semaines, le gouvernement a eu beau dire ou plutôt mentir sur certains aspects de son texte et sur le nombre de manifestants, les Français et les Françaises dans leur écrasante majorité continuent à penser que sa réforme reste très insuffisante, voire très injuste, le tout sans pérenniser leurs retraites. Et faute d’une véritable remise à plat surprise de ce projet, ce n’est pas les quelques amendements en faveur des mères de trois enfants ou des parents d’handicapés , « des os à ronger parce qu’il y a eu pression médiatique » fulminent les plus remontés-, qui vont les faire changer d’avis avant le 12 octobre.
Second élément plus gênant encore pour le chef de l’Etat. Sur fond d’affaire Woerth-Bettencourt et de bouclier fiscal devenu un boulet pour la droite parlementaire, jamais l’exécutif n’a été à ce point décrié. Dans les raffineries de Total comme dans les usines de Renault, les ouvriers, les employés qui avaient voté Sarkozy se sont en effet convaincus d’une chose : en s’attaquant à leur retraite à 60 ans, « le président des riches leur présente la facture de la crise ». Et de fait leur colère déborde largement le sujet des pensions. Ainsi chez Renault à Sandouville, on dénonce le démontage d’une chaîne de production quand Nicolas Sarkozy avait de concert avec le PDG du groupe au losange Carlos Goshn, promis sur place, une activité florissante. Dans les faubourgs de Dunkerque dédiés à la parachimie, on se sent acculé depuis l’annonce de l’arrêt de la raffinerie du richissime Total. Chez Arcelor-Mittal, on fustige la désinvolture avec laquelle le gouvernement a renvoyé la question de la pénibilité à des accords de branche. Dans le secteur bancaire largement féminisé, on s’exaspère de ces bonus des traders qui s’envolent à nouveau alors qu’il faudra travailler plus longtemps en supportant les incivilités de clients également excédés …
Ces éruptions sectorielles qui englobent aussi France Telecom la Poste et gagnent l’éducation nationale, se doublent de poussées de fièvre régionales. Ainsi à la CGT comme à la CFDT cheminots, on prédit sans grand risque de nombreux arrêts de travail dans le Sud-Ouest comme dans le bassin de Clermont Ferrand ou la région de Metz. « On a attendu des remontées de terrain avant de se prononcer, confie Dominique Aubry de la CFDT. Mais nos militants dont les épouses travaillent souvent au supermarché ou à l’école du coin éprouvent un tel ras le bol devant l’arrogance du pouvoir. Ils redoutent tellement de perdre leur éthique de service public à la faveur de la mise en concurrence prônée par Bruxelles que nous serons pleinement dans le mouvement. »
Or sur le front des retraites, à la base comme à la tête des centrales syndicales, on a perdu toute illusion. Depuis que Nicolas Sarkozy a promu cette réforme au rang de trophée de son quinquennat, impossible de faire l’économie d’une bataille frontale avec le pouvoir. A la CFDT qui proposait une porte de sortie-, renvoyer à 2012 le vote du recul de 65 à 67 de la retraite sans décote, l’exécutif à dit niet, ce qui rend le scénario de 2010 incontestablement différent de celui de 1995, où la CFDT s’était prononcé contre la grève reconductible. Des imprécations de la CGT et de son secrétaire général Bernard Thibault qui prévoyait dès septembre le blocage en cours, l’Elysée n’a tenu aucun compte. Dans le même temps, l’Elysée a sous-estimé l’effet rassurant que produit sur les salariés une unité syndicale solide. « C’est le paradoxe reconnaît avec fair-play Pierre Khalfa de Solidaires. Alors que nous prônions depuis le début des grèves reconductibles, nous devons admettre que l’absence d’ouverture gouvernementale après nos manifestations passées, nous aide aujourd’hui à emmener plus avant les salariés. »
Alors Anti CPE ou nouveau 95 l’après 12 octobre, ? Les deux à la fois espèrent les plus optimistes… sans se départir d’une prudence dictée par l’expérience.
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