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Retraites : non au catastrophisme

Publie le mardi 27 février 2007 par Open-Publishing

C’est tiré de Rouge (22 février 2007) et ça mérite le détour : Isaac Johsua revient sur la question des retraites à l’occasion du dernier rapport du COR. Il faut lire et relire ce qu’il dit et le diffuser pour contrer efficacement le catastrophisme ambiant en la matière. Les "résistants" de 2003 à la réforme Fillon ne doivent pas se laisser impressionner par le matraquage médiatique et politique sur la nécessité de "réformer" (ah ! le doux euphémisme) encore plus le système des retraites. Bonne lecture.

Antoine (Montpellier)

Retraites

Harmoniser par le haut

La publication du dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), « Retraites : questions et orientations pour 2008 », a donné lieu aux interventions alarmistes habituelles sur le thème des déficits croissants qui seraient bientôt insurmontables.

De nouveau, dans le cadre de la campagne électorale et à la veille du rendez-vous de 2008 prévu par la réforme Fillon, une vaste entreprise d’affolement des populations est lancée, préparant le terrain à de nouvelles attaques contre les acquis sociaux. Le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) illustre, en réalité, à quel point les opposants de gauche avaient eu raison, lors du débat de 2003, de dénoncer l’atmosphère catastrophiste volontairement entretenue par le gouvernement et les médias. Il montre qu’en 2020, le besoin de financement du système de retraite ne s’élèverait qu’à 0,7 point de PIB, soit un montant très faible, en tout cas très en retrait des niveaux qui avaient alors été évoqués. Le COR va même jusqu’à ajouter que « l’équilibre des comptes serait assuré à l’horizon 2020 », moyennant un certain nombre de mesures de portée limitée, mais surtout - évidemment ! - grâce à un taux de chômage ramené à 4,5 % en 2015.

Pourtant, il y a bien une aggravation du déficit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) : après 1,9 milliard d’euros en 2005, celui-ci passerait à 2,4 milliards d’euros en 2006, puis à 3,5 milliards d’euros en 2007. Mais le COR montre que les facteurs qui sont ici à l’œuvre sont d’ordre conjoncturel, donc passagers. Ces facteurs se situent du côté des recettes et du côté des dépenses. Dans le premier cas, il s’agit d’une évolution de la masse salariale moins favorable que prévu. Dans le second, au contraire, c’est le nombre de passages à la retraite qui a été plus élevé que prévu. Il s’agit des retraites anticipées pour carrière longue - ce qui n’a rien d’étonnant -, mais aussi de la masse de ceux qui se sont dirigés, dès qu’ils le pouvaient, vers la retraite, inquiets à juste titre des mauvais coups en préparation.

Projections erronées

Comment en sommes-nous arrivés à ce que les prévisions pour 2020 soient à ce point différentes de celles qui avaient été évoquées en 2003 ? Le COR s’appuie sur les projections démographiques de l’Insee, et celles-ci, mises à jour à l’été 2006, ont été profondément modifiées pour tenir compte des évolutions récentes, en particulier sur les points suivants : un taux de fécondité de 1,9 enfant par femme au lieu de 1,8 ; un solde migratoire annuel de 100 000 au lieu de 50 000 ; un allongement de l’espérance de vie moins rapide que ce qui avait été escompté. Malgré ces incertitudes, le COR s’est aventuré jusqu’en 2050. Pour cette dernière année, il prévoit un besoin de financement du système de retraite de 1,7 point de PIB, plus élevé sans doute qu’en 2020, mais toujours d’envergure limitée. Des variantes sont présentées pour l’échéance de 2050.

Elles montrent que le besoin de financement serait alors compris « entre un peu moins de deux points de PIB et près de cinq points de PIB ». L’éventail est largement ouvert, ce qui confirme l’absurdité qu’il y aurait à débattre, dès aujourd’hui, des mesures à prendre pour un tel horizon.

Ce qu’il faudrait faire, en fait, c’est revenir sur la réforme de 2003 qui, rappelons-le, a fixé un mécanisme « semi-automatique » d’augmentation de la durée d’assurance donnant droit à une retraite complète : de 2009 à 2012, la durée d’assurance devrait augmenter d’un trimestre par an ; à partir de 2013 et jusqu’en 2020, la durée d’assurance devrait s’ajuster de manière à maintenir constant un certain rapport entre durée d’assurance et espérance de vie à la retraite. Mécanisme redoutable ! Lors du débat de 2003, le COR avait montré que revenir aux 37,5 annuités de cotisation pour tous coûterait 0,3 point de PIB en 2040, ce qui est négligeable. Le rapport actuel du COR ne se donne même pas la peine de reprendre le calcul. Or, avec les nouvelles prévisions de l’Insee (plus favorables), les projections devraient logiquement (si elles étaient refaites) mettre en évidence un allégement de la charge.

Appauvrissement des retraités

En ce qui concerne les propositions, le COR évoque bien la nécessité d’une augmentation des cotisations mais, sur le reste, il poursuit dans la voie néfaste ouverte par la réforme Fillon. À plusieurs reprises, son rapport insiste sur la nécessité d’une prolongation de la durée d’activité. En 2003, tel était bien l’objectif poursuivi, qu’on se proposait d’obtenir par le biais d’un allongement de la période de cotisation pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein. Résultat quasiment nul, comme le reconnaît le COR : « Alors que la durée d’assurance donnant droit à une retraite complète est supposée augmenter entre 2003 et 2020 de un an pour les assurés du régime général et de quatre ans pour les fonctionnaires, le recul de l’âge moyen de départ en retraite dû à la réforme ne serait que d’environ 0,2 an dans le secteur privé et d’environ un an pour les fonctionnaires ». Quoi d’étonnant ? La dégradation des conditions de travail est telle que nombreux sont les salariés qui préfèrent une retraite réduite à une activité maintenue.

D’ailleurs, le COR indique lui-même que seulement 40 % des salariés qui liquident leur retraite avaient un emploi l’année précédente (contre 60 % en 1983) : le reste, donc l’essentiel, était au chômage, ou dispensé de recherche d’emploi, etc. Pour tous ceux-là, que peut bien signifier la prolongation d’activité ? Dans ces conditions, maintenir cette perspective n’est qu’une façon camouflée d’imposer, sans oser le dire, non une prolongation d’activité, mais bien une réduction du montant des retraites.

Ajoutons que les pensions sont indexées, non sur l’évolution des salaires, mais sur celle des prix. Le pouvoir d’achat des pensions est ainsi maintenu constant, mais il suffit que le salaire moyen augmente plus vite que les prix - ce qu’il faut espérer - pour que la pension perde du pouvoir d’achat relativement aux salaires. Le COR a ainsi pu calculer que, si rien n’est changé, le ratio de la pension moyenne nette sur le salaire moyen net passerait d’un indice 100 en 2003 à 90 en 2020 et à 82 en 2050. On peut dire que, dans son rapport, le COR n’a pas paru particulièrement ému par une telle dégradation. Il a semblé bien plus préoccupé par le maintien des régimes spéciaux (SNCF, RATP, etc.), car, dit-il , « dans une perspective d’équité entre cotisants, il est difficile de ne pas imaginer que la nouvelle étape de hausse de la durée d’assurance prévue en 2008 ne s’accompagne pas de questions sur l’évolution des régimes spéciaux des entreprises publiques, dont la réglementation n’a jusqu’ici pas évolué ». Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites !

S’attaquer aux profits

Sommes-nous en présence d’un problème financier majeur ? Nullement : les régimes spéciaux (hors fonction publique) représentent, au total, 6 % de la masse des pensions versées en 2003 ! Et, s’il y a un problème d’équité, pourquoi ne jouerait-il pas en sens inverse, en se décidant enfin à aligner toutes les durées de cotisation sur 37,5 annuités ? Un tel acharnement doit avoir de « bonnes » raisons ! Mais celles-ci relèvent certainement moins du souci de l’équité que de la volonté d’infliger une défaite aux bastions ouvriers qui ont osé, par le passé, tenir tête au gouvernement de droite.

Lors du débat de 2003, le COR avait calculé qu’en cas d’indexation de la pension sur le salaire net, la part des dépenses de retraite dans le PIB augmenterait de 6,5 points entre 2000 et 2040. Pour y faire face, il faudrait une augmentation de 15 points du taux de cotisation lissée sur 40 ans, soit 0,37 point par an. Or, en 40 ans, de 1960 à 2000, le poids des pensions dans le PIB s’était déjà accru de 7 points, sans qu’ait été enregistrée une quelconque « révolte des actifs ». Le catastrophisme n’est donc pas de mise, encore moins si nous tenons compte de l’évolution démographique récente. Il faut abroger les réformes Balladur et Fillon, puis rouvrir le débat sur de nouvelles bases, qui fassent entrer en ligne de compte, d’une part, une politique axée sur la réduction drastique du chômage - qui transforme un individu privé d’emploi en cotisant - et, d’autre part, une nouvelle répartition des fruits du travail, qui augmente les salaires - base des cotisations - et ose enfin s’attaquer aux profits.

Isaac Johsua