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Rêves de "non-partants" : "Il y aurait la mer, le soleil, un hôtel tranquille..."

Publie le mardi 20 juillet 2004 par Open-Publishing

Joyeux dossier en "une" du Monde qui re(?)découvre la
pauvreté...

de Catherine Rollot

Pour Michelle, Elodie et Amadi, les vacances sont un
luxe inaccessible. Ils imaginent leurs vacances ou
s’en souviennent.
Cette année encore, ils ne partiront pas. Michelle,
mère de trois enfants demeurant dans le Calvados,
Elodie, mère de famille parisienne vivant avec 650
euros par mois, ou Amadi, vivant dans un foyer à
Marseille, témoignent des rêves des "non-partants".

Michelle, 42 ans, Fleury-sur-Orne (Calvados).
Les vacances, Michelle en a encore le souvenir.
"C’était avant." Avant le divorce, avant le chômage."
Nous avions l’habitude de partir une fois par an ; le
camping, j’aimais bien, se rappelle cette ancienne
coiffeuse, mère de trois enfants, âgés de 22, 16 et 9
ans. Avec deux salaires au smic, nous y arrivions.
Nous profitions des aides du comité d’entreprise et,
chaque mois, nous mettions de côté de l’argent. Il
fallait prévoir mais on partait." Villages de
vacances, gîtes, camping, Michelle a tout essayé.

Aujourd’hui, dans son 40 m2 à Fleury-sur-Orne
(Calvados), Michelle n’ose même plus penser aux
vacances. Au chômage depuis presque deux ans, elle
culpabilise à cette idée. " Je me dis que je n’ai pas
le droit de partir, que je risque de rater une
occasion de trouver un emploi."Les associations qui la
soutiennent la poussent pour qu’elle accepte de
prendre une semaine à la montagne cette année. L’aide
du Secours populaire pourrait peut-être la décider. Le
transport et l’hébergement seraient pris en charge.
Avec 740 euros mensuels de revenus, dont plus de la
moitié est engloutie chaque mois dans son logement,
elle n’avait de toute façon pas d’autres moyens de
changer d’air. " Si je pars, ce sera surtout pour la
petite ; moi, franchement, je resterais là, je n’ai
pas trop la tête à ça."

Elodie, 38 ans, Paris.
Sous les pavés de Paris, il n’y a jamais eu de sable
pour Elodie. A 38 ans, cette mère de famille vit de
l’allocation parent isolé et de quelques heures de
ménage. Depuis seize ans en France, d’origine turque,
Elodie n’a jamais connu les joies du départ. Ni dans
son enfance et encore moins aujourd’hui. Avec trois
enfants à charge, dont un bébé, et 650 euros pour
vivre, partir en vacances reste plus que jamais un
luxe inaccessible. Alors, comme chaque année,
l’immeuble se videra et Elodie restera entre ses
quatre murs

"L’été, c’est la pire période pour moi, je me sens
seule, abandonnée. Je me demande pourquoi je suis
différente des autres et ça me fait de la peine pour
mes enfants", confie-t-elle. Avec la porte de La
Villette comme seul horizon, difficile pour Elodie de
rêver. Mais, en fermant les yeux, les vacances idéales
se dessinent quand même à petits traits : "J’aimerais
bien aller à Bordeaux ou à Marseille. Il y aurait la
mer, le soleil, le sable, dans un hôtel tranquille..."

Amadi, 44 ans, Marseille.
Les petits boulots, les galères, Amadi en connaît un
rayon. Mais en matière de vacances, " même quand
j’étais jeune, j’en avais pas". A 44 ans, cet agent
d’entretien à temps partiel, divorcé, vit dans un
foyer de l’Armée du salut avec 293 euros mensuels.
Alors les vacances, un moment de "repos, de détente,
où l’on peut s’amuser un peu", comme il se plaît à les
imaginer parfois, ne sont pas vraiment possibles dans
l’immédiat.

De fait, quand on lui demande où il voudrait partir,
il parle d’abord de la Tunisie : " Pour aller sur la
tombe de mon père et de mes sœurs", explique-t-il.
Pour de véritables vacances, s’il arrive à en prendre
un jour, "l’Espagne, ou le Marco, ce serait bien".

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-373131,0.html