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Services publics et étrangers : un état des lieux par La CGT

Publie le lundi 11 avril 2005 par Open-Publishing

Services publics et étrangers : un état des lieux

Onze syndicats Cgt des services administratifs chargés de mettre en œuvre la politique d’immigration du gouvernement témoignent de la gestion de plus en plus sécuritaire et utilitariste de l’immigration.


Déclaration commune

Immigration, asile, intégration, discriminations
Le point de vue des syndicats Cgt des services administratifs concernés

Les migrants et leurs descendants offrent depuis des siècles leur force de travail à la France. Ils lui apportent leurs diversités culturelles et enrichissent ses dynamiques économiques et sociales.

L’histoire de France témoigne de leurs sacrifices pour son émancipation : de la Commune de Paris au groupe Manouchian, en passant par les tirailleurs africains, ils n’ont pas hésité à verser leur sang pour la liberté et le progrès social.

Pourtant, ils ont toujours été regardés avec suspicion, victimes de mauvais traitement. Leurs descendants et les migrants d’aujourd’hui souffrent encore de discriminations multiples.

Fidèle à ses valeurs, la Confédération Générale du Travail a toujours pris position pour dénoncer la dérive de la politique des gouvernements successifs en matière d’immigration. Elle a notamment demandé l’abrogation des lois Pasqua, Debré, Chevènement.

Elle s’est donc élevée contre le caractère répressif et liberticide de la politique conduite par le gouvernement Raffarin-Sarkozy-Villepin.

Après les élections présidentielles de 2002, en annonçant la mise en place d’une « nouvelle politique d’accueil et d’intégration des immigrés et de lutte contre les discriminations », le Président de la République a semblé vouloir arbitrer entre les débordements xénophobes et racistes de l’extrême droite et le prétendu laxisme des gouvernements précédents. Cependant, la première loi qui a suivi ces déclarations d’intention était davantage marquée par la répression et la gestion sécuritaire des problèmes sociaux.
Dès l’entrée en vigueur du nouveau dispositif législatif et réglementaire consécutif aux lois Sarkozy-Villepin, les syndicats Cgt des différents services administratifs, chargés de leur mise en œuvre, ont constitué un collectif Immigration pour analyser les conséquences de cette politique sur les personnes et les agents des services publics concernés.

L’analyse des différentes pratiques administratives fait apparaître, dans l’action gouvernementale, tout à la fois, l’affichage d’une politique dite d’intégration et une gestion de plus en plus sécuritaire et utilitariste de l’immigration, dans le cadre de la construction d’une Europe "forteresse" et des besoins du Medef en matière de force de travail à moindre coût.
Chacun des syndicats Cgt signataire est en mesure de témoigner, à partir de son expérience propre, de la réalité de "ce qui se passe".

A partir des constats faits de l’intérieur de nos services, nous dénonçons :

1 / Des atteintes aux droits et libertés :

Les nouvelles méthodes de travail imposées à l’OFPRA et à la Commission des Recours des Réfugiés (CRR) finissent d’achever le droit d’asile. Le refus d’accès au territoire national, la rétention dans les aéroports, la démultiplication des techniques de débarquement de la procédure, avant instruction ou jugement sur le fond, l’opacité entretenue sur les extensions du champ de la loi, comme sur la nouvelle protection subsidiaire, le productivisme imposé aux agents, la prochaine élaboration d’une liste de « pays d’origine dits surs », se traduisent déjà par l’impossibilité faite à un nombre croissant de demandeurs d’asile de pouvoir effectivement demander la protection de la France, alors que leurs cas relèvent du champ de la Convention de Genève.
La suppression du certificat de réfugié fragilise ensuite le statut de réfugié et c’est la paupérisation, la marginalisation des demandeurs d’asile et des réfugiés, la violation de leurs droits fondamentaux, qui sont alors renforcés.

Dans les préfectures, on relève que le durcissement des conditions de délivrance des titres de séjour et de travail est aggravé par l’existence de pratiques différentes selon les départements ou les situations individuelles. Il s’agit là d’une grave entorse au principe d’égalité de traitement qui touche également le droit au regroupement familial puisque les conditions relatives aux logements sont désormais appréciées par les maires. Il existe, par ailleurs, des entraves particulières à la délivrance de la carte de séjour temporaire en raison de l’état de santé, générant des problèmes majeurs pour la santé des personnes et pour la santé publique.

Le refus d’envisager une mesure générale de régularisation des "sans-papiers" a pour but d’assurer un volant de main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Cette situation engendre, dans les préfectures, une politique de régularisation « au cas par cas », en fonction de quotas officieux définis par le patronat et le gouvernement ou de critères totalement discriminatoires.

L’allongement du délai de rétention de 12 à 32 jours et la volonté de faire du chiffre en matière de reconduite à la frontière, (+ 60% sur un an), se sont traduits par :

Une dégradation des conditions de rétention (surpopulation, promiscuité entre hommes et femmes ... voire les enfants, ...) qui peut avoir des conséquences dramatiques (suicides, viols, mutineries...).

La réapparition de méthodes policières humainement intolérables (interpellation aux guichets des préfectures, intervention dans les écoles pour faciliter l’arrestation des parents).

On assiste à une augmentation des entraves aux mariages à cause de la suspicion systématique de "mariages blancs".

Des restrictions considérables ont été apportées, depuis 2002, à l’obtention de l’Aide Médicale d’Etat qui ont pour conséquence d’amener les étrangers à renoncer à se soigner.

La politique de réduction des subventions aux associations, initiée par le ministre François Fillon, lors du gel des crédits du FASILD en 2003, a provoqué la destruction partielle des actions sociales menées dans des zones géographiques déjà durement frappées par la casse des emplois et le chômage des jeunes.

La réorientation des crédits de subvention du FASILD au profit du marché des prestations liées au Contrat d’Accueil et d’Intégration (formation linguistique et civique), bénéficiant principalement aux grands organismes de formation, a affaibli considérablement les petites associations de proximité, issues de l’immigration ou de solidarité, Centres Socio-Culturels, Maison de Jeunes et de la Culture, etc.

Cette politique néfaste délite davantage le lien social dans les quartiers dits sensibles, y détruit des emplois associatifs, aggrave la paupérisation des couches populaires, au risque de renforcer l’esprit de ghetto et de porter atteinte à l’expression citoyenne.

2 / Des mesures présentées comme des avancées :

En matière d’acquisition de la nationalité française, la « vitrine » du rattrapage - en 2 ans - du stock important de demandes que les gouvernements successifs avaient laissé s’accumuler depuis une dizaine d’années, ne doit pas masquer les conditions dans lesquelles s’est opéré ce véritable « tour de force »...

En effet cette opération, baptisée « Plan d’Action », s’est effectuée à « moyens constants », via l’exercice sur le personnel d’un chantage à la déconcentration de certaines attributions de la Sous-Direction des Naturalisations sur les préfectures et au prix d’une modification des méthodes d’instruction qui a entraîné une dégradation de la qualité et de l’homogénéité des décisions prises.

Par ailleurs, si on considère l’ensemble de la chaîne administrative chargée du traitement des demandes de naturalisation- depuis les préfectures où sont constituées les dossiers jusqu’au Service Central de l’Etat-Civil (SCEC) du ministère des Affaires Etrangères qui établit et expédie les actes d’état-civil des nouveaux français- on est bien loin de l’objectif affiché par François Fillon en février 2003, de ramener à 1 an le délai total de la procédure de naturalisation.

La réforme de la loi devait faire de l’OFPRA le « guichet unique de traitement de l’asile », c’est à dire permettre la centralisation du traitement de toutes les demandes d’asile afin de rationaliser les procédures et éviter l’éparpillement des compétences entre l’OFPRA et les Préfectures qui, jusqu’alors, traitaient l’asile territorial de façon discrétionnaire.

Ce nouveau dispositif est un trompe-l’œil. En effet, la limitation à 21 jours du délai de dépôt de la demande d’asile, la multiplication des procédures d’exception, à l’intérieur de l’OFPRA, ( développement des procédures dites prioritaires, c’est à dire accélérées, délais de détention allongés, recours à la notion de « manifestement non fondé »), permet, en fait aujourd’hui, de débarquer de la procédure de nombreux demandeurs ; C’est ainsi que la demande de ceux qui sont écartés n’est pas enregistrée et ils sont privés de toute voie de recours. L’augmentation du taux d’annulation par la CRR, des décisions de l’OFPRA, témoigne également de cette évolution, inexorable, qui conduit à un déplacement de fait du lieu de la protection de l’OFPRA vers la CRR.

 La création de l’Agence Nationale pour l’Accueil des Etrangers et les Migrations (ANAEM), structure présentée comme nouvelle, se traduit par le transfert des activités de l’OMI et une fusion avec le Service Social d’Aide aux Emigrants (SSAE) ; en fait, c’est le démantèlement pur et simple de cette association, historiquement et déontologiquement axée sur l’aide aux étrangers et dont son champ d’activité se trouve considérablement réduit.
Seuls les étrangers en situation régulière seront accueillis, dans le cadre strict des procédures administratives relatives à l’obtention d’un titre de séjour.

De plus, la « pluralité » des missions de l’Agence, ancrées dans toutes les étapes charnières du « parcours du combattant » de l’étranger pour un séjour régulier en France, depuis le contrôle médical des étrangers, la procédure du regroupement familial, l’introduction de travailleurs et saisonniers agricoles, la perception des taxes ou encore les procédures de retour au pays, ne permettra pas de créer le climat de confiance préalable à tout réel diagnostic et aides sociales.

La création de l’Agence s’accompagne de l’avènement du « Contrat d’accueil et d’intégration » (CAI), présenté comme la seule réponse publique aux « manques » supposés des étrangers, qui seraient les seuls obstacles à leur intégration républicaine dans la société française.

Ce contrat serait la « clef » donnée à l’étranger amené à résider en France. Il s’agit en fait d’un dispositif contraignant dont le respect va conditionner le droit à la délivrance de la carte de résident ou faciliter l’acquisition future de la nationalité française. C’est une épée de Damoclès de plus sur la tête du candidat à une vie normale en France, sans pour autant que l’Etat facilite réellement les conditions de réussite de ce contrat formation civique brève et caricaturale ; absence de gardes d’enfants et de cours pour salariés ; pas de prise en charge du coût des déplacements pour le suivi des cours de français etc.)

De plus, non content d’ajouter des étapes supplémentaires à l’obtention de la carte de résident et à terme pour la naturalisation le dispositif C.A.I. vampirise à lui seul une grande partie des crédits du FASILD, auparavant consacrés à financer des associations qui intervenaient de façon autonome et responsable sur l’ensemble du territoire dans les quartiers en difficulté.

Aujourd’hui, l’affichage volontariste du gouvernement en matière de la cohésion sociale exprimée notamment par la loi Borloo, le Contrat d’Accueil et d’Intégration (CAI), le Comité Interministériel à l’Intégration (CII), les Programmes Régionaux d’Intégration des Populations Immigrées (PRIPI), la Haute autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (Halde) et les Commissions pour l’égalité des chances et la Citoyenneté (COPECC), etc., est contredit par la poursuite d’une politique de restriction budgétaire, déjà dénoncée par le Conseil Economique et Social (CES), qui a pour conséquence la marginalisation accélérée des populations en grande difficulté, mais aussi la fragilisation de secteurs entiers du travail social.

Les discours généreux de nos gouvernants, toujours accompagnés de l’affichage d’une volonté de recherche d’efficience (« il faut arrêter de saupoudrer », « il faut aller à l’important », etc.), servent aujourd’hui à masquer les réductions, imposées par le gouvernement et le Medef, des subventions apportées, notamment par le Fasild, aux structures d’éducation populaire jugées économiquement non rentables et subversives.

Au-delà de cette analyse critique, sur le fond, de la politique du gouvernement en matière d’immigration et d’intégration, les syndicats Cgt soulignent, avec force, que l’activité des différents services administratifs, dans lesquels ils interviennent, est également gravement pénalisée par la politique de réduction des dépenses publiques et de restructuration des services liée à la « Réforme de l’Etat » :

 transfert, voire abandon, de compétences de l’Etat via la décentralisation ou la déconcentration ?

 réduction et précarisation des emplois, notamment dans les préfectures.

 diminution drastique de tous les crédits de fonctionnement de nos services.

 généralisation du management par « contrats d’objectifs » avec carotte (rémunération liée à la « performance » et prime au « mérite ») ou bâton (menace de déconcentration des missions, réforme de la notation).

Nous revendiquons :

Le respect du « droit à vivre en famille » :
 ouvrir plus largement le droit aux visas ;
 réduire les exigences en matière de conditions d’hébergement pour les courts séjours comme pour le Regroupement Familial ;
 faciliter l’admission au séjour sur place, notamment pour les enfants mineurs.

Le rétablissement des conditions d’un véritable « droit d’asile » :
 garantir le libre accès à la procédure de demande d’asile ;
 garantir le caractère suspensif des recours ;
 rétablir des procédures d’instruction des demandes d’asile garantissant plus de qualité dans l’instruction des demandes et d’égalité de traitement ;
 garantir l’hébergement de tous les demandeurs d’asile dans des structures d’accueil où ils puissent bénéficier de l’accompagnement de travailleurs sociaux spécialisés ;
 permettre de nouveau le droit au travail pour les demandeurs d’asile ou bien leur verser une allocation équivalente au RMI jusqu’à la fin de la procédure.

Le droit à l’aide médicale de l’Etat (AME) sans condition de durée de séjour.

La régularisation de tous les "sans papiers" :
 pour qu’ils ne soient plus les victimes d’une exploitation éhontée en matière de conditions de travail et de salaires ;
 pour qu’ils aient les mêmes droits que tous les salariés afin que le patronat ne puisse plus s’appuyer sur leur exploitation pour continuer à tirer vers le bas l’ensemble des revendications de tout le salariat.

La répression réelle des trafics d’êtres humains, de leurs employeurs négriers donneurs d’ordre et non de leurs victimes.

Un accès neutre et égalitaire à la nationalité française.

Le droit de vote aux élections locales pour les étrangers non européens établis en France durablement.

L’ouverture de l’accès aux emplois de la Fonction Publique des étrangers non européens, par voie de concours.

Notre démarche s’inscrit dans la revendication générale de la Cgt fondée sur le principe d’accès égal aux droits pour l’ensemble des travailleurs, français et étrangers, et le maintien des acquis sociaux pour tous.

Nous demandons : Le maintien des moyens et des prérogatives d’un service public de qualité, garantissant l’égalité de traitement de tous ses usagers.

Nous refusons : La décentralisation des missions régaliennes de l’Etat et le transfert de ses agents et de ses moyens.

Syndicats signataires :
 CGT Agence Nationale Pour l’Emploi (ANPE) ;
 CGT Syndicat des personnels du Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations (FASILD) ;
 Section CGT Sous-Direction des Naturalisations
 Section CGT Office de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) / Commission des Recours des Réfugiés (CRR)- MAE ;
 Section CGT Office des Migrations Internationales (OMI) ;
 CGT Préfectures ;
 CGT Préfecture de Police de Paris ;
 CGT Ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille ;
 CGT Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Cohésion sociale ;
 CGT Services Extérieurs du Travail, de l’Emploi et de la formation professionnelle (SETE) ;
 Union Générale des Fédérations de Fonctionnaires CGT (UGFF/CGT).