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Thierry Lepaon, la CGT et une tribune de Jean-Louis Moynot

par Jean-Pierre Page

Publie le mardi 30 décembre 2014 par Jean-Pierre Page - Open-Publishing
3 commentaires

J’ai lu avec intérêt la tribune de Jean-Louis Moynot dans le Monde du 19 décembre 2014. Il dresse un constat sévère de l’état de la CGT, et conclut par le nécessaire départ de Thierry Lepaon. Comme Jean-Louis Moynot je suis arrivé à la même conclusion mais pour d’autres raisons. En fait pour des raisons opposées aux siennes.

Jean Louis Moynot a été un dirigeant de la CGT, il a défendu ses idées il n’a pas été suivi et en a tiré les conséquences. Ce n’était certainement pas une décision facile à prendre d’autant que son attachement à la CGT ne s’était jamais démenti. Mais courageusement il l’a prise. C’était un débat de fond qui touchait à la stratégie et aux orientations de la CGT.

Cela n’avait rien à voir avec des pratiques contraires à ce que sont les valeurs de la CGT, ce qui est l’éthique et l’histoire du mouvement ouvrier de notre pays. A l’inverse Thierry Lepaon lui, fait un choix contraire à celui de Jean Louis Moynot. Il s’accroche à son poste au risque de diviser durablement la CGT !

Déjà celle ci doit faire face à une perte de crédibilité pourtant acquise par plus d’un siècle de dévouement, d’abnégation et de sacrifices de générations de militants. On ne peut par conséquent que se poser des questions sur les raisons qui inspirent cet aveuglement de Thierry Lepaon. Comportement totalement irrationnel ou autre chose ?

Contrairement à Jean-Louis Moynot je ne fais pas le même bilan sur les causes de la crise que traverse la CGT, crise qu’on ne saurait dissocier de celle du syndicalisme en France, en Europe et dans le monde.

Pour ma part je pense que ces 20 dernières années ont été caractérisées par un étouffement du libre débat sur ce que doit être notre vision du syndicalisme du 21 ème siècle face à une crise systémique du capitalisme, un aiguisement des luttes de classes et des tensions internationales sur de nombreux sujets.

Plutôt que d’élever le niveau de sa riposte la direction de la CGT à préféré faire le choix d’un volontarisme totalement coupé des réalités. La priorité est ainsi devenue la mise en œuvre d’une orientation qui doit tout à l’accompagnement des politiques sociales libérales en France et en Europe, un refus d’organiser les convergences des luttes, une vision du syndicalisme rassemblé à sens unique qui s’est faite à son détriment et donc du rapport des forces, un abandon de notre action en faveur du renouveau du syndicalisme européen et international comme l’avait pourtant décidé le 45ème congrès !

Le syndicalisme dont la CGT se prévaut donne ainsi l’impression d’être dans une impasse, incapable d’anticiper, et de se faire entendre de la masse des travailleurs. Elle s’est même progressivement coupée de ceux, en particulier les chômeurs et les précaires qui sont devenus les laissés pour compte ! Ne sommes nous pas passés d’un “monde de pauvres sans travail à un monde de pauvres avec un travail” ? Que faisons nous ?

Ainsi malgré la prise de pouvoir “des usurpateurs” comme Susan George nomme les multinationales malgré l’Europe vassale qui a élevé l’Euro au rang de nouvelle religion et malgré des institutions syndicales qui ne sont que des rouages de l’UE la CGT a persévéré dans une voie sans issue ! Ce n’est pas la CES/CSI ou la CFDT qui ont changé mais bien la CGT.

C’est sur ce fond de scène que depuis des années le refus d’entendre et de débattre est devenu dans la CGT une seconde nature, le culte du dialogue social avec le patronat et les gouvernements de droite comme de "gauche" est devenu un passage obligé ! Tout cela a été aggravé par la lutte des places, celle des clans et des courtisans. Cela a conduit à un recul sans précèdent de la démocratie interne.

Comme Jean-Louis Moynot j’ai connu une époque ou les débats internes étaient fermes et d’un contenu élevé, aujourd’hui on se complait dans des discussions d’édredons, tout en veillant à en exclure ceux qui ne partagent pas la vision des dirigeants et qui osent le dire.

L’institutionnalisation, la bureaucratisation et même la corruption ont conduit notre syndicat à prendre de plus en plus des distances avec les lieux de travail, les militants d’entreprises, les luttes et les solidarités pour lesquels nous sommes censés exister.

Quel serait l’intérêt d’une CGT ne vivant que pour elle-même ?

Il faudrait peut être qu’un jour la direction de la CGT se demande pourquoi l’abime s’est creusé à ce point entre son sommet et sa base. En fait nous assistons à une cacophonie ou l’on ne comprend qu’une chose la CGT n’est plus la même. On a même fait écrire sur le sujet un livre par une journaliste des Echos, livre qui par ailleurs fourmille d’idées reçues et d’inexactitudes.

Dorénavant la référence est devenue pour les dirigeants confédéraux le modèle du syndicalisme européen version CES. Louis Viannet m’a dit une fois “nous ne resterons pas le dernier carré”. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

A cause de ce conformisme ou plutôt de cette mise en conformité la CGT a été conduite à remettre en cause son identité, son indépendance et ce qui faisait sa singularité dans le syndicalisme en France, en Europe, dans le monde. Aujourd’hui elle cherche à se situer en démontrant qu’elle a changé, qu’au fond elle est une organisation comme les autres dans le monde bien policé du syndicalisme d’accompagnement. Pour le prouver, elle pratique depuis plusieurs années une forme de contrition d’autant plus surprenante qu’on ne le lui a pas demandé.

Nul ne saurait nier que le syndicalisme doit changer, bouger et tenir compte du monde dans lequel nous vivons ! Mais dans le cas de la CGT cela ne s’est pas fait avec continuité dans le respect de ce qu’elle est (ou était), mais au prix d’une rupture avec ce qui était sa vision, ses principes, son identité.

En fait la CGT a un problème existentiel, elle ne sait plus dans quel camp elle est. Pourtant comme le disait Elsa Triolet “les barricades n’ont que deux cotés”. Il lui faut donc choisir !

Ce choix est devenu un enjeu pas seulement syndical mais aussi politique. Chacun mesurant ce a quoi conduit un changement de et dans la CGT.

Jean Louis Moynot qui n’a pas fait preuve d’indifférence à ces bouleversements auxquels nous assistons nous propose de persévérer dans cette voie ! Or où en sommes nous ?

Soyons pour une fois lucide : le syndicalisme européen est une faillite. Il est paralysé, en panne d’idées, artificiel, inexistant et comme KO debout. Ce syndicalisme de l’échec c’est ce que nous connaissons en France mais aussi, en Espagne, en Grande Bretagne et en Allemagne ou même le système de “cogestion” a été abandonné alors qu’il n’était rien d’autre qu’une version de l’association capital/travail ! Dans tous ces pays comme dans le reste de l’UE non seulement aucun résultat n’a été obtenu ces dernières 25 années mais en plus le chômage et la pauvreté ont explosé, toutes les garanties sociales sont remises en cause, le service public est liquidé, le syndicalisme s’est partout affaibli en influence comme en force organisée.

En Grèce la politique de l’UE a précipité des centaines de milliers de personnes dans l’incapacité de recourir aux soins, les retraites ont été considérablement diminuées, la pauvreté revêt désormais un caractère de masse. La Grèce est-elle le laboratoire expérimental imposé demain à l’ensemble des populations des pays de l’Union européenne et notamment la France ? Déjà dans sa directive Marchés publics, l’UE a introduit la possibilité d’une mise en concurrence des régimes obligatoires de protection sociale…

C’est là le seul bilan du dialogue social européen a l’égard duquel la CES procède par incantations dans l’espoir vain de voir changer les choses ! Elle demeure ce qu’elle est au fond un rouage des institutions européennes !

Cela pourrait d’ailleurs s’appliquer également à la CSI(Confédération Syndicale Internationale) dont Jean Louis Moynot a été un des avocats auprès de la direction de la CGT.

Jean-Louis Moynot parle de “transformation du capitalisme” ! Mais de quelle transformation s’agit il ? Le MEDEF comme le patronat européen ne donnent ils pas à eux seuls l’image de ce que peut être la rapacité du capital, son caractère foncièrement réactionnaire, totalement dépassée par les exigences de développement social et culturel de notre temps. Le capitalisme n’est il pas partout dans le monde synonyme de régression et de guerres, n’est il pas devenu un système anachronique. Au fond “la transformation du capitalisme” c’est avant tout et plus que jamais toujours du capitalisme ! Pourquoi dire et faire comme si cela n’était pas le cas ?

La question se pose donc en ces termes : somme nous oui ou non pour un aménagement du système en quelque sorte un capitalisme à visage humain ou pour reconnaitre la contradiction fondamentale de l’opposition capital/travail et donc lutter pour une rupture et un autre choix de société !

A cette question légitime nous préférons jusqu’à présent ne pas répondre et entretenir une ambiguïté.

Par conséquent il ne faut pas chercher bien loin les raisons de cet immobilisme du syndicalisme et de la CGT qui provoque son déclin comme force sociale, et l’affadissement de son projet d’émancipation humaine.

Voila pourquoi la CGT est confrontée non pas à des problèmes de dysfonctionnements mais bien à la place qui doit être la sienne et donc à la stratégie qu’elle se doit de suivre.

Malgré ces évidences Thierry Lepaon et son équipe dont l’échec est patent nous parlent de changer mais dans une sorte de continuité, en quelque sorte comme le disait Lampédusa “ il faut que tout change pour que tout reste identique”. Quant à Jean-Louis Moynot il nous propose de nous recentrer sur le modèle syndical européen comme la CES qui s’était indignée du vote massif des travailleurs français en faveur d’un rejet du projet de constitution européenne et ce à l’appel entre autre de la CGT.

Pour ma part je pense que nous devons faire le choix de principes, ceux du syndicalisme de classe, indépendant et démocratique. Ce ne sont pas des formules de rhétorique voila pourquoi il faut leur donner du sens dans ce qui est notre pratique syndicale quotidienne et à tous les niveaux sans en exclure aucun ! L’unité et la cohésion de la CGT s’en trouveraient renforcées d’autant que s’il est une chose qui ne saurait se négocier ce sont bien les principes !

Ces principes ont toujours donné lieu dans la CGT, le Mouvement syndical français et international à des débats allant parfois jusqu’à la division et la scission. Ils furent depuis la naissance de la CGT animés d’une part par les tenants d’une vision réformiste et de collaboration de classe avec la bourgeoisie et d’autre part par les partisans d’une conception de luttes des classes et de rupture avec le capitalisme ! Pour autant ce sont, ses débats, ses victoires et ses défaites qui ont forgé la CGT tout au long de son histoire, une histoire fondée sur les valeurs inséparables qui sont celles du Mouvement ouvrier français et international. Pendant près d’un siècle, elles ont valu un grand prestige international à la CGT !

Au fond cette crise de la CGT peut contribuer à clarifier bien des choses. Si elle lui fait courir des risques évidents elle lui offre également l’opportunité de se dépasser en prenant les décisions qui s’imposent et que réclament un grand nombre de ses adhérents afin d’en sortir par le haut. C’est ce que propose l’appel “Défendons la CGT » d’ores et déjà soutenu par près de 700 militants et militantes et des dizaines d’organisations, nombre qui ne cesse de progresser. C’est la raison pour laquelle je le soutiens !

IL faut des actes forts, inciter partout à la libre parole, se réapproprier la CGT et décider par nous mêmes comme avec les travailleurs de quelle CGT nous avons besoin !

C’est pourquoi Thierry Lepaon doit démissionner, il est devenu un obstacle à l’unité et la cohésion de la CGT mais c’est également le cas du bureau confédéral, et de la commission exécutive confédérale. Ils ont perdu toute légitimité. Enfin il faut que le CCN comme il en a le pouvoir décide d’un Congres extraordinaire dans les meilleurs délais ! Le CCN doit mettre en place un collectif transitoire jusqu’au Congrès avant la fin de 2015 afin d’animer le travail confédéral et impulser la bataille revendicative, les luttes et la préparation du 51ème Congres de la CGT.

Jean-Pierre Page

Ancien membre de

la Commission exécutive confédérale de la CGT

Messages

  • JE PARTAGE TOTALEMENT cette contribution de JP PAGE , c est pourquoi j’ai signé l’ appel national "défendons la CGT" .
    je me permets de compléter ce texte : avec LE DUIGOU , JL MOYNOT a trouvé un digne successeur , qui lui n ’ pas eu besoin de démissionné et a bien profité de la CGT tout en obtenant des promotions de son administration de laquelle il a était détaché , il est vrai que contrairement à JL MOYNOT qui avait face à lui HENRI KRASUKI fidèle gardien d’une ligne de classe , LE DUIGOU était soutenu par des directions confédérales réformistes , pro-européenne et promotrices du syndicalisme rassemblés avec la CFDT et le "dialogue" avec le patronat .

  • J’ai également signé l’appel pour la démission de LEPAON et le Bureau Confédéral,
    seuls garants d’un renouvellement de la stratégie de la CGT.

    Il n’est plus possible de passer des compromis avec le Patronat et le Gouvernement libéral d’HOLLANDE-VALLS qui a renié tous ses engagements de campagne de 2012.
    VALLS a annoncé depuis la Catalogne hier "encore des années de sacrifices pour
    la population" alors que les Ministères se gavent de personnes et de Directeurs
    dans leurs somptueux Bureaux parisiens !

    Il faut qu’on prenne exemple sur la Grèce, l’Italie et la Belgique qui refusent l’austérité de l’Europe.

    A QUOI SERVENT TOUS CES DEPUTES EUROPEENS A PART AVALISER LA POLITIQUE DE MERCKEL QUI CONDUIT A LA CATASTROPHE ?

  • Il y a 10 ans, les intermittents et précaires ont occupé le toit du MEDEF pendant 5 jours et nuits. Une action spectaculaire mais qui a eu très peu d’écho, faute de soutien. Pourtant, les intentions étaient claires : il s’agissait de dénoncer le paritarisme bidon qui gouverne nos relations sociales. Dans ces relations soi-disant paritaires, il suffit qu’un syndicat jaune (au hasard la CFDT) signe un accord de régression sociale (comme le dernier accord UNEDIC, qui baisse drastiquement les droits des chômeurs, même les cadres sont touchés*) pour que le MEDEF remporte le morceau.
    Quand je dis que les occupants du toit du MEDEF ont eu très peu de soutien, c’est pour souligner, tout de même, les rassemblements en bas de l’immeuble notamment des sans-papiers (hommage à Romain Binazon), de la LCR, Krivine en tête, des anars, et pour regretter le silence de la CGT à l’époque.
    Aujourd’hui, il apparait plus que jamais qu’il n’y a rien à gagner à être le partenaire social du MEDEF. Non seulement ce genre de relation malsaine ne permet pas d’obtenir des avancées sociales, mais en plus le "paritarisme" sert de prétexte au gouvernement pour ne pas légiférer.
    Lors des dernières négociations sur l’assurance chômage (qui se sont déroulées comme d’habitude au siège du MEDEF), la CGT a dénoncé la déloyauté consistant, pour le MEDEF, à discuter pendant des heures en tête à tête dans les couloirs avec les futurs signataires, la réunion plénière étant expédiée en 1/4 d’heure. C’est bien, mais ça ne suffit pas...

    *Caroline, cadre, a 900 euros par mois au lieu de 3.600
    (article payant des échos.fr)
    Cette cadre dans la finance a occupé un poste payé 4.500 euros par mois pendant plus de trois ans avant de s’inscrire à Pôle emploi.
    Parmi les exemples mis en ligne par le comité de chômeurs CGT du Morbihan, celui de Caroline est le plus frappant. Quand la jeune femme s’est séparée de son mari, il y a quelques années, elle n’a pas eu le choix. Cette ancienne cadre dans la finance installée dans le Sud a dû retrouver tout de suite un emploi pour se loger et nourrir ses deux filles. Elle a pris le premier poste qu’elle a trouvé, un mi-temps payé quelque 1.300 euros par mois. Au bout de neuf mois, elle s’est retrouvée au chômage - avec une allocation de quelque 850 euros par mois - et est alors montée en région parisienne pour multiplier ses chances de retrouver un emploi conforme à son profil. Bon calcul : au bout de trois mois à Pôle emploi, elle est embauchée sur un poste à environ 4.500 euros net. Trois ans et trois mois plus tard, en octobre dernier, la voici de retour à Pôle emploi, soit juste après l’entrée en vigueur des droits rechargeables.
    Le mois dernier, elle a reçu sa notification de droits. Surprise... Alors qu’elle s’attendait à une allocation de quelque 3.600 euros par mois, elle apprend qu’elle touchera seulement 850 euros. La raison ? Elle n’avait pas épuisé ses anciens droits à indemnisation. « Il aurait fallu pour cela que je reste à mon poste 60 jours de plus pour arriver à 3 ans et 163 jours de travail, puisqu’il me restait encore 163 jours d’indemnisation que je n’avais pas consommés », explique-t-elle aux « Echos ».

    A cela s’ajoute une autre incidence des droits rechargeables : celle sur le calcul des jours de différés d’indemnisation résultant des indemnités compensatrices de congés payés perçues au moment du départ de l’entreprise.
    Il restait 18 jours de vacances à prendre à Caroline, qui correspondaient à environ 4.200 euros. Mais, avec les droits rechargeables, cette somme a été divisée non pas par son salaire journalier effectif, juste avant le chômage, mais par celui qu’elle avait perçu dans son emploi précédent. Résultat : trois mois de différé d’indemnisation en plus au lieu d’un. Avec les 7 jours de délai d’attente et les 180 jours des indemnités de rupture, Caroline, dont la pension alimentaire pour ses filles (200 euros) a été calculée sur son salaire en activité, sera indemnisée à partir du 2 août 2015, à 850 euros. Elle ne commencera à toucher 3.600 euros d’allocations qu’en janvier 2016. Mieux vaut pour elle avoir retrouvé un emploi d’ici là.
    L. de C., Les Echos