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Trente ans après la fin de la guerre, le delta du Mékong redevient un pays de cocagne

Publie le samedi 30 avril 2005 par Open-Publishing

de Jean-Claude Pomonti

Les canaux du delta du Mékong sont autant d’avenues. Ils ont leurs stations d’essence, leurs ateliers de réparation de bateaux, leurs entrepôts pour grossistes, leurs épiceries et leurs artisans, du mobilier à bon marché à la quincaillerie. Sur des embarcations légères, des femmes vendent fruits et légumes. Les marchés des bourgs sont toujours installés à proximité et, un peu partout, écoliers, ménagères et commerçants ont recours à de petits ferries pour passer d’une berge à l’autre.

Sur ces voies d’eau signalisées, le trafic est intense. Des chalands disparaissent sous des montagnes d’enveloppes de grains de riz, combustible utilisé dans les fours à briques ou ceux des potiers. Pierres, ciment, sable, produits de première nécessité, matériel de construction et même touristes sont ainsi transportés à bas prix et en évitant les routes de plus en plus encombrées de l’ancienne Cochinchine.

Trente ans après la fin des combats et en dépit de l’existence de poches de pauvreté, le delta du Mékong est ainsi redevenu un pays de cocagne. "Autrefois, les riches empruntaient leurs bateaux pour circuler et demandaient à leur chauffeur d’aller les attendre à tel ou tel endroit. C’est un peu la même chose aujourd’hui" , constate, non sans malice, le rejeton d’un ancien grand propriétaire terrien.

Des vergers ­ manguiers, longaniers ­ et des potagers ont été aménagés entre les maisons ou les paillotes. L’électricité et la télévision se sont généralisées. Les haies d’hibiscus et les bouquets de bougainvilliers égaient un environnement aquatique dominé par les différents tons verts des rizières et une multitude de plantes. De petites nasses à poissons sont posées le long des rives, loin des hélices des bateaux.

Le delta du Mékong, qui fut le grenier à riz de l’Indochine française, a beaucoup souffert de la guerre. Après les accords signés à Genève en 1954, le régime du Sud y a durement traqué ceux qu’il avait appelés les communistes vietnamiens ­ ou Vietcongs. Ce furent aussi l’occasion de règlements de comptes sans liens avec la politique et celle de regroupements brutaux de populations rurales dans des "hameaux stratégiques" censés priver le "poisson" communiste de son eau.

Au fil des années, une fois l’insurrection décidée par Hanoï en 1959, des conseillers américains se sont impliqués de plus en plus étroitement dans cette contre-guérilla. Du temps de John Kennedy, l’intervention de leurs hélicoptères a contribué à reporter un moment l’échec de leur "guerre spéciale" . Mais après l’assassinat du président américain en 1963, son successeur Lyndon Johnson s’est résolu à l’envoi, moins de deux années plus tard, de troupes américaines au Sud-Vietnam.

Le delta du Mékong demeura, toutefois, jusqu’au bout, une terre de guérilla. Jamais les divisions du Nord n’y ont été dépêchées. "Il a fallu détruire la ville pour la sauver" , constatera un colonel américain en 1968, après l’offensive du Têt communiste contre les villes du Sud-Vietnam, à propos de Ben Tre, petit chef-lieu de province du delta. On pourrait en dire presque autant d’autres villes. Même l’opération "Phénix" , redoutable chasse aux sorcières dirigée par la CIA, ne viendra pas à bout des Vietcongs. Le 30 avril 1975, quand l’ordre de reddition donné par le général Duong Van Minh, nommé chef de l’Etat sudiste deux jours plus tôt, lui parviendra, le commandant de la région, le général Nguyen Khoa Nam, l’exécutera avant de se suicider. Le delta tombera, pour l’essentiel, comme un fruit mûr.

EXPORTATIONS DE RIZ

A Can Tho, principale ville de la région, les chaussées de très larges avenues ont été refaites. Sur la rive du Mékong a été aménagé un vaste ensemble hôtelier avec restaurants-spectacles, salons de massage et bateaux-mouches. Des dizaines d’embarcations légères y attendent le touriste. D’autres villes semblent également en plein essor, comme Vinh Long, My Tho ou même Go Cong.

Décidés en 1986, l’ouverture du Vietnam et, surtout, l’abandon d’une économie collectiviste dans le delta ont marqué un tournant. Le Vietnam est devenu, depuis des années, derrière la Thaïlande et devant les Etats-Unis, le deuxième exportateur mondial de riz. Les villes marchandes du delta se construisent ou reconstruisent. Du poivre de l’île de Phu Quoc, au large du port de Ha Tien, aux élevages de poissons-chats, la région s’est remise au travail. Les restaurants sont pleins. Pour le Parti communiste, qui entend toujours régner sans partage, le problème demeure la léthargie de petits apparatchiks qui, dans les campagnes les plus reculées, continuent de s’adonner à des banquets au lieu d’imaginer le développement des zones qu’ils administrent.

Mais, non loin de Vinh Long, sur un bras du grand fleuve, les fours des briqueteries et poteries s’alignent à portée de chalands. De là, on aperçoit la majestueuse silhouette du pont de My Thuan, construit voilà quelques années par les Australiens, et qui relie le delta à Saïgon, rebaptisée Ho Chi Minh-Ville en 1975 en l’honneur du héros de l’indépendance.

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