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Une troisième voie pour l’agriculture
Publie le vendredi 2 février 2007 par Open-Publishing5 commentaires

de Serge-Henri Malet
Président d’Euralis, groupe coopératif agricole et agroalimentaire du Sud-Ouest, Christian Pèes tente d’alerter l’opinion publique sur les risques de pénuries alimentaires dans un livre l’Arme alimentaire, les clés de l’indépendance où, entre ultralibéralisme et altermondialisme, il défend une "troisième voie".
Celle d’une agriculture productrice des denrées alimentaires nécessaires pour les trente prochaines années, tout en étant régulée, innovante, durable et respectueuse de l’environnement.
Parce que je suis convaincu que la question agricole mérite un débat d’idées en profondeur à l’occasion des élections présidentielles. L’agriculture et l’agroalimentaire sont au cœur des enjeux de société des cinquante prochaines années. Et ce n’est pas le problème des seuls agriculteurs, mais celui de la planète dont la population va augmenter d’un tiers pour atteindre 9 milliards d’habitants à l’horizon 2050.
Aujourd’hui, sur 6 milliards, environ 1 milliard d’entre nous est confronté à la faim et 2 autres sont très mal nourris. Voilà pourquoi j’affirme que l’enjeu dans les trente ans à venir est de doubler la production alimentaire de la planète. Il faut donc produire plus, mais dans un contexte où la terre est de moins en moins disponible. Il y a une vingtaine d’années, on comptait 0,3 hectare de surface agricole utile par habitant au niveau mondial. On estime qu’en 2050 ce chiffre descendra à 0,2 voire 0,1 hectare, avec la croissance des villes, des autoroutes et autres aéroports. Dans mon département des Pyrénées atlantiques, on perd tous les ans environ 2000 hectares de surface agricole, du fait de l’expansion des villes de Pau, Biarritz, etc. Par conséquent sans une dynamisation de l’acte agricole nous courons tête baissée vers une pénurie alimentaire mondiale...
La croissance des rendements passe en partie par l’irrigation. Mais son utilisation est contestée par les citadins, notamment dans votre région avec la culture du maïs... D’abord on ne peut pas laisser dire que les redevances versées par les Français au titre de l’eau potable et de l’assainissement servent à payer l’eau utilisée par les agriculteurs. Ils ont toujours payé l’eau brute (sans traitement amont) qu’ils utilisent. Il y a aussi le faux procès fait au maïs qui a certes le défaut de ne pousser qu’en été, au moment où tombe moins de pluie, mais qui consomme 20 % d’eau de moins que le blé et 40 % de moins que le coton. Il faut dire aussi que le maïs a une capacité exceptionnelle à recycler le gaz carbonique (1 hectare de maïs recycle autant de CO2 qu’un hectare de forêt amazonienne). Toutes cultures confondues, l’irrigation consomme en France 1 % de la pluie tombée au cours d’une année. Il est possible, dans le cas du Sud-Ouest, de mieux gérer et d’augmenter le nombre des retenues d’eau permettant de recueillir l’eau de pluie issue du ruissellement, avant qu’elle ne s’écoule vers l’océan.
Pour nourrir la planète, ne faut-il pas également dépasser le cadre du libre échange que l’OMC veut imposer au commerce international des produits agricoles ?
Avec un petit groupe d’amis, et à leur tête Pierre Pagès, le fondateur, nous avons créé le Mouvement pour une organisation mondiale de l’Agriculture (MOMA, dont il est vice-président). Nous plaidons pour qu’il y ait plutôt une nouvelle instance internationale de régulation, plus consistante et stricte que l’actuelle l’OMC (Organisation mondiale du commerce) qui protégerait les citoyens du monde, en donnant à chaque pays le moyen de conquérir son indépendance alimentaire. La vie ce n’est pas que du commerce, il faut une approche plus globale et multisectorielle des relations internationales...
L’expertise agricole française est une des meilleures au monde. Comment peut-elle aider les filières agroalimentaires d’autres pays à se développer ?
Prenons l’exemple de l’Afrique. Nous savons que malgré les épidémies, les famines et certaines guerres civiles, elle va bientôt atteindre 1 milliard d’habitants. Une des solutions, c’est bien entendu des transferts de compétences et des technologies. Mais pour que ce continent puisse poursuivre son développement, il faut reconsolider ses cultures vivrières complètement déstabilisées aujourd’hui par les marchés mondiaux. On doit avoir recours à la même recette qu’on a appliqué à l’Europe avec la Politique agricole commune, c’est-à-dire la mettre à l’écart pendant une période, des turbulences du marché. Mais on n’en prend pas la direction avec les politiques actuelles de l’OMC qui privilégient le tout libéral. A terme, si on poursuit sur cette voie, le marché va tuer les Africains. Qu’on arrête le massacre !
Mais vous renvoyez dos à dos ultralibéraux et altermondialistes...
Chez les « ultra » on s’obstine à appliquer à l’agriculture des systèmes qui ne lui sont pas adaptés : ceux de la libre concurrence mondiale. Et pour les « alter », place à l’agriculture de niche et de proximité ! Ces deux voies différentes et opposées mèneraient à réduction drastique de nos capacités de production. Et pourtant l’agriculture française est à même d’apporter les réponses efficaces et acceptables aux défis alimentaire, énergétique et environnemental... Nos techniciens et nos agronomes possèdent des savoir-faire inégalés, et notre agriculture respecte, comme nulle autre, des normes sanitaires, sociales et environnementales strictes. Notre modèle agricole est bon. Mais devant le rouleau compresseur de la croissance verte en Chine, au Brésil et aux Etats-Unis, avec des pratiques pas toujours respectueuses des hommes et de la nature, si nous ne faisons pas preuve de vigilance, c’est dans ces régions que sera produit tout ce que nous aurons dans nos assiettes. Et avec quelles garanties sanitaires ?
C’est pourquoi vous parlez de troisième voie pour l’agriculture française ?
En effet. Si les Français veulent assurer leur indépendance alimentaire et la puissance de leur agriculture dans cette économie mondialisée, ils doivent accepter l’idée d’une troisième voie plus pragmatique, reposant sur l’innovation, la concertation, la mondialisation régulée. Pour nourrir il faut produire, et pour produire il faut par exemple, gérer l’eau en acceptant des formes d’irrigation. La réponse au défi démographique demande une prise de décision immédiate.
Source La Terre.
Messages
1. Une troisième voie pour l’agriculture, 3 février 2007, 08:04
Pour vous répondre, il me semble que cette interview est pertinente par bien des aspects. Effectivement, ce n’est pas la mondialisation -qui est une tendance économique génèrale ancienne- qui est mauvaise, mais le systéme économique sur laquelle elle se construit. La mondialisation libérale qui s’impose depuis 30 ans et s’est accélérée depuis 1989 1992, se caractérise par l’imposition à tous d’un même systéme économique ( ex : les privatisations des services publics ont commencé dés les années 1970 en Afrique et Amérique Latine..)
L’agriculture n’y échappe pas. Si en Europe du Nord et de l’Ouest ainsi qu’aux Etats-Unis l’agriculture de type capitaliste est déjà ancienne, elle est en revanche très récente en Inde ou en Chine par exemple. Et elle est quasi-absente en Afrique. Or, la mondialisation de l’agriculture est une obligation pour la survie des hommes ! L’ agriculture a d’ailleurs toujours profité de celle-ci. ex : les hommes font "voyager" les plantes depuis toujours.. et heureusement. Car sans la pomme de terre "les disettes" n’auraient pas été régulées en Europe.
Aujourd’hui, dans le cadre de la mondialisation libérale de l’agriculture, celle-ci est de plus en plus sous la coupe de transnationales. José Bové cite souvent le "monstre" Mosanto ( et il a raison) qui impose les OGM -entre autre- sans aucune forme de contrôle citoyen ou des instances agricoles en Amérique Latine ou aujourd’hui en Chine, Inde ou Roumanie. C’est là le grand danger. On assiste à une raréfection des plantes nouricières utiles ( Blés, Soja, Maïs..) car celles-ci sont plus rentables à court termes. Pourtant, les OGM pourraient être une chance et une formidable découverte utile pour la médecinne ( traitement du diabète par exemple..) ou même pour la planète ( moins de pesticides ou phosphates utilisés ..) , mais placer sous le contrôle de transnationales celà devient risquer : il n’y a aucun contrôle et de recherche indépendante sur les effet à long terme sur les OGM.
Donc, il faudra bien une autre voie pour l’agriculture. On ne peut pas rejeter la "mondialisation" car elle est de toute façon intrasèque à l’histoire des hommes. Mais on ne peut pas non plus accepter qu’elle se fasse dans l’unique but d’enrichir une minorité d’exploiteurs ( l’agrobuisness cela rapporte beaucoup..) .
Ulrich Savary.
2. Une troisième voie pour l’agriculture, 3 février 2007, 12:32
tu crois aux bonnes paroles d’Euralis ?
je connais le Groupe et leur attitude vers les agriculteurs....productivisme, protection maximale dans les couvertures maladies qui se traduisent par un emploi injustifié et pas raisonné de pesticides dont on connait leur impact sur l’environnement ; politique du profit en proposant des accords avec des agriculteurs sur des bases de prix qui frisent l’intolérable...l’agriculture est un secteur en danger : consulte le taux de suicide chez les paysans (revenus modestes, célibat, surendettement, travail pénible...)
l’avenir n’est pas rose avec la fin en 2013 de la PAC (fin des aides donc mort annoncée de 70% des propriétés agricoles)
Euralis est dans une logique de profits comme les multinationales du monde néo-libéral auxquelles elle confie son partenariat...
Euralis ne fait ni la promotion ni la protection de l’agriculture
1. Une troisième voie pour l’agriculture, 4 février 2007, 12:59
Non je ne crois pas aux dires d’une transnationale. Mais par conre je crois en une autre mondialisation, y compris de l’agriculture.
Mais ce à quoi je crois le plus, c’est qu’une terre sans petits agriculteurs, sans petites productions est une terre où la ruralité disparaît. Des régions entières en France sont en cours de "désertification rurale". Marie-George Buffet parle d’un vrai plan de délocalisation du monde agricole. A l’avenir, les terres seront définitivement aux mains de très gros exploitants qui ne seront que les gestionnaires de grands groupes capitalistes de l’agrobuisness. L’Union Européenne et la FNSEA ont une grande part de responsabilité à cause de leur course à la rentabilité maximal (dont la PAC est que l’un des aspects..) . Le résultat : la pollution des eaux et demain l’utilisation massive des OGM sans aucun contrôle... .
Il faut donc une agriculture à la fois très productive, mais ausssi respectueuse de l’environement et des revenus des agriculteurs. C’est pour cela que le PCF avance depuis longtemps l’idée d’un revenu minimum garanti pour les exploitants agricoles : "le SMIC paysan". Mais aussi un secteur bancaire public qui pourrait -entre autre- aidé aux maintiens d’activités agricoles dans des zone rurale en souffrance. Mais aussi pour financer des exploitations respectant un cahier des charges rigoureux en terme de respect de l’environement.
Enfin, il faut lutter contre le poids écrasant des grandes surfaces qui ne cessent d’imposer des prix toujours plus bas aux exploitants agricoles pour augmenter leur marge ( tout en augmentant leur prix de vente aux consomateurs.) L’organisation de lieux de vente directes entre exploitants et consomateurs peut être un moyen : les exploitants agricoles vendent directement aux consomateurs une partie de leurs productions.
Ce ne sont que quelques pistes qui ne concernent que la France.. Mais le probléme est mondial.
Aujourd’hui les paysans africains produisent 1 000 fois moins qu’un agriculteurs américains ou européens... d’où des graves problémes de malnutritions en Afrique et une grande dépendance du continent africain envers l’aide humanitaire de l’Union Européenne ou des Etats-Unis...
Ulrich Savary.
2. Une troisième voie pour l’agriculture, 5 février 2007, 18:06
Monsieur 86.***.192.**, dans votre commentaire vous affirmez connaître Euralis, vos propos semblent démontrer le contraire.
Je suis Président de la coopérative Euralis et je tiens, à vous répondre ceci : je préside une coopérative et non une « multinationale ». Pour rappel, une coopérative est une entreprise dont le capital est détenu par ses adhérents (15 000 adhérents dans le cas d’Euralis). Le rôle principal de la coopérative est d’assurer des débouchés pour les productions de ses adhérents (ce qu’Euralis s’emploie à faire depuis plus de 70 ans !). Pour ce qui est du mode de redistribution des résultats, ils sont réinvestis dans le développement de l’outil de travail commun (notre coopérative) et pour partie redistribués aux adhérents (et non à des actionnaires anonymes).
Pour ma part, je me suis également fixé pour mission de défendre l’agriculture et les agriculteurs face à toutes les attaques dont ils font l’objet.
Vous décrivez un avenir sombre pour l’agriculture pendant que d’autres se relèvent les manches. Nous avons des efforts à faire, soit, agissons ! Ainsi, avec nos techniciens et nos adhérents, nous avons l’ambition, chez Euralis, d’encadrer et de mettre en œuvre des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement.
Je ne peux me satisfaire de votre triste constat. Au contraire, je crois que l’agriculture à de l’avenir… pour peut qu’ensemble, nous, acteurs du monde agricole, nous agissions pour faire évoluer les mentalités et les pratiques.
Pour une vision plus globale et moins partielle du monde agricole, je vous conseille vivement la lecture de mon ouvrage « L’arme Alimentaire » qui vient d’être édité aux éditions du « Cherche midi ».
Christian Pèes
Au plaisir de vous retrouver sur mon blog : « ww.christianpees.com »
3. Une troisième voie pour l’agriculture, 4 février 2007, 18:43
Cette ode au maïs me laisse songeur ; Si pour le sud-ouest c’est tout à fait adapté avec chaleur et pluies d’été par contre l’extension des zones de maïs hors de cette région nécessite un arrosage trop important, autant que j’en sache !
Jean-Philippe VEYTIZOUX