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Von Hayek, étoile fasciste de l’univers des néo-conservateurs

Publie le mercredi 13 décembre 2006 par Open-Publishing
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En Europe, on se plaint souvent, et à juste titre, de l’horreur politique, stratégique et économique de la politique des « néo-conservateurs » qui tiennent, pour l’instant, la Maison Blanche en otage. Et pourtant, force est de constater qu’une partie de leur inspiration trouve ses origines en Europe. Après les dossiers que nous avons publiés sur Leo Strauss, Carl Schmitt et la « synarchie » financière, si active dans la montée des courants fascistes en Europe pendant les années 1920 et 1930, le moment est venu de se pencher sur le cas de l’économiste libéral-libertarien autrichien Friedrich August von Hayek (1899-1992), prix Nobel d’économie en 1974 et considéré comme un dieu par tous ceux qui se réclament de près ou de loin du « néo-conservatisme ».

La dictature totalitaire de Pinochet au Chili et la politique violemment anti-sociale de Margaret Thatcher, tous deux conseillés par feu Milton Friedman et ses Chicago boys, furent des expériences grandeur nature du modèle hayekien d’après-guerre : la « révolution conservatrice » popularisée à l’époque de Reagan par Newt Gingrich.

Au nom de la lutte contre le communisme et le socialisme qu’il voit comme ayant la même nature totalitaire que le fascisme, Von Hayek réussit, par sophismes successifs, le tour de force de convaincre son public qu’il est préférable d’avoir un régime non démocratique capable d’assurer l’ordre spontané du marché plutôt qu’une planification indicative démocratique...

De la synarchie à la Société du Mont-Pèlerin

En 1938, le futur ministre de Vichy Louis Rougier, seul membre français du « Cercle de Vienne » néo-positiviste, organise à Paris le Colloque Walter Lippmann. 1 A part ce journaliste américain, membre de la fameuse Société fabienne britannique, on y trouve des représentants de l’école autrichienne d’économie : Ludwig von Mises et son élève, Friedrich von Hayek. Y assistent également le philosophe Raymond Aron et le synarchiste Robert Marjolin.

Bien que le colloque Walter Lippmann de 1938 fût un franc succès, l’heure n’était pas à l’ultralibéralisme. Après l’Anschluss de mars 1938, certains de ceux qui, dans le camp anglo-américain, avaient participé à la mise au pouvoir d’Hitler pour aller combattre l’Union soviétique, se refusaient à accepter sa dictature sur l’Europe. Il fallait donc se préparer à lui faire la guerre, et l’économie de guerre était incompatible avec l’ultralibéralisme économique des cercles de von Hayek. En attendant des jours meilleurs, cependant, Lippmann, von Hayek et Wilhelm Röpke furent chargés de créer des organisations militant pour ces objectifs aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse.

Il fallut attendre 1947 pour que ce groupe se révèle publiquement après guerre. Grâce à l’argent d’un homme d’affaires suisse et le William Volker Charities Trust américain, trente-six économistes, historiens et philosophes se réunirent pendant dix jours autour de von Hayek dans le village suisse de Mont-Pèlerin (près de Montreux), pour discuter de « l’avenir du libéralisme ». Louis Rougier, très ami de von Hayek mais trop marqué par son passé vichyste, fut prié par Sir Lionel Robbins 2, de la London School of Economics (LSE), de ne pas y assister.

Ce fut la naissance de la Société du Mont-Pèlerin (SMP). A cette première réunion on retrouvait le noyau dur des participants du Colloque Walter Lippmann de Paris : von Hayek, von Mises, Lippmann et Jacques Rueff, bien que ce dernier jouera plus tard un rôle opposé sous De Gaulle.

Parmi les autres invités, citons : Henry Simons, parrain du monétarisme de l’école de Chicago, et son élève Milton Friedman, Sir Karl Popper, dirigeant de la société aristotélicienne de Vienne et professeur à la London School of Economics à la demande de von Hayek, Sir John Clapham, haut représentant de la Banque d’Angleterre dirigeant également la Royal Society anglaise, Ludwig Erhard, futur ministre de l’Economie et successeur d’Adenauer à la chancellerie allemande, ainsi que l’économiste français Maurice Allais, devenu aujourd’hui presque « dirigiste » par rapport à la folie des néo-libéraux actuels.

La participation d’autres figures, tel l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie et animateur de l’Union paneuropéenne, Otto de Habsbourg, ainsi que Max de Thurn et Taxis, descendant d’une très vieille famille vénitienne, montre bien qu’il s’agissait d’une rencontre visant à tracer la politique mondiale de l’après-guerre. Signalons aussi la présence de Bertrand de Jouvenel, grand défenseur de l’Europe des régions, en opposition aux Etats-nations, ultérieurement une figure de premier plan pour le Congrès pour la Liberté de la Culture (CLC). Il est révélateur que plusieurs croisés de la SMP se retrouvent activistes du CLC, cette arme de la « guerre froide culturelle » contre le communisme, financée par la famille Rockefeller et les Allan et John Foster Dulles. A titre d’exemple, en 1955, pour leur congrès annuel à Milan, les responsables du CLC sélectionnent cinq orateurs, dont le fabien Sydney Hook, le libéral Raymond Aron et l’économiste Friedrich von Hayek... Raymond Aron passera ainsi des « Décades de Pontigny » au CLC, en passant par le Colloque Walter Lippmann et la Société du Mont-Pèlerin...

C’est là que furent posés les fondements conceptuels de la révolution conservatrice de Hayek dont le nom deviendra le marqueur du coup d’arrêt infligé aux « trente glorieuses » à partir de 1971, à la mort des accords de Bretton Woods. A partir de cette année-là, sous couvert de « mondialisation », une dérégulation systématique des marchés financiers et économiques ôtera de plus en plus aux Etats-nations tout pouvoir réel sur le destin de leurs peuples.

La Route de la Servitude

Sur le plan politique, dans La route de la servitude, publié en 1944, von Hayek dramatise sa thèse en « prouvant » que toute planification et tout dirigisme conduisent nécessairement à la suppression totale des libertés, y compris les libertés politiques... En clair : pour lui, le « socialisme », la politique du New Deal de Roosevelt et le dirigisme gaullien d’après-guerre sont structurellement incompatibles avec la démocratie et de même nature que le fascisme totalitaire.

S’inspirant de la « société ouverte » de Sir Karl Popper, von Hayek postule que l’économie est un système ouvert et qu’aucun planificateur ne peut calculer, puis imposer, un prix ou une allocation jugée optimale. Ce n’est pas un « cerveau » central, mais le marché, qui permet aux systèmes d’évoluer. La base de cette condamnation de tout ce qui est collectif, Hayek la dérive d’Aristote. Ainsi, pour Hayek, le « but commun en vue duquel la société doit être organisée est souvent désigné d’un terme vague comme : "bien commun", ou "bien-être général" ou "intérêt général". Point n’est besoin de réfléchir beaucoup pour voir que ces termes n’ont pas une signification suffisamment définie pour déterminer une politique ».

Cette déclaration n’est pas une simple polémique, mais l’expression d’une philosophie « individualiste » pour qui la multiplicité des hommes, de leurs besoins et des possibilités de les satisfaire, empêche l’homme de concevoir l’intérêt général tout court. « Le point important est qu’un homme ne peut embrasser plus qu’un terrain limité, ne peut connaître que l’urgence d’un nombre limité de besoins. (...) il ne peut se soucier que d’une fraction infinitésimale des besoins de l’humanité. (...) [L’individualisme] part simplement du fait incontestable que les limites de notre pouvoir d’imagination ne permettent pas d’inclure dans notre échelle de valeurs plus d’un secteur des besoins de la société... »

L’ordre naît du chaos

Von Hayek prétend bien sûr que toute sa science sociale se fonde sur la science physique. Comme l’écrit son adepte français Guy Sorman : « Le libéralisme, dit Hayek, est la seule philosophie politique véritablement moderne, et c’est la seule compatible avec les sciences exactes. Elle converge avec les théories physiques, chimiques et biologiques les plus récentes, en particulier la science du chaos formalisée par Ilya Prigogine. Dans l’économie de marché comme dans la Nature, l’ordre naît du chaos : l’agencement spontané de millions de décisions et d’informations conduit non au désordre, mais à un ordre supérieur. Adam Smith, le premier, avait su pressentir cela dans La richesse des nations, il y a deux siècles. »

On comprend assez vite que la déification du marché et du chaos créationnel, ainsi que la diabolisation de l’Etat, profite essentiellement aux intérêts synarchistes européens et à leurs extensions outre-atlantique.

Ecole de Salamanque

Von Hayek passera toute sa vie à tenter de collecter des justifications scientifiques, juridiques et historiques pour étoffer son éloge du marché si supérieur dans sa régulation à celle imposée par les hommes. Il ira d’abord chercher des arguments à « l’école de Salamanque », un groupe de scolastiques dominicains et jésuites à la merci des Habsbourg qui avait, pour faire plaisir aux banquiers de Charles Quint, concocté le mythe de l’autonomie des marchés financiers et leur rôle dans la définition d’un « prix juste », équivalant au prix d’échange. 3 Un entretien récent avec l’un des vice-présidents actuels de la Société du Mont-Pèlerin, l’historien américain Leonard Liggio, confirme cette analyse.

Mélangeant tout, cet ancien élève de von Mises et ancien proche de von Hayek se définit comme un « libéral aristotélico-thomiste ». Dans une interview récente, Liggio disait que « son intérêt pour l’histoire avait bien persuadé Hayek que les derniers disciples de saint Thomas d’Aquin faisaient partie des fondateurs du libéralisme : de Vitoria, Suarez, Mariana, Molina et le Belge Lessius (Ecole de Salamanque). Schumpeter a dit de John Locke qu’il était le dernier des Scolastiques. »

Moi totalitaire ? pas totalement...

Sophiste et « grand défenseur de la liberté », von Hayek exige, pour échapper à la soumission à d’autres hommes, « la soumission de l’homme aux forces impersonnelles du marché qui dans le passé, a rendu possible le développement d’une civilisation qui sans cela n’aurait pu se développer ; c’est par cette soumission quotidienne que nous contribuons à construire quelque chose qui est plus grand que nous ne pouvons le comprendre... ».

Prônant « une collaboration plus étroite et efficace entre l’Empire britannique, les nations de l’Europe occidentale et probablement les Etats-Unis », von Hayek réclame « une autorité super-nationale qui doit être extrêmement puissante pour imposer la loi commune » (La route de la servitude, p. 168).

La dictature « libérale » d’Augusto Pinochet au Chili a été une des prouesses de cette révolution conservatrice. Feu Milton Friedman de la Société du Mont-Pèlerin et fervent adepte de von Hayek en était le conseiller économique avant de devenir celui de Margaret Thatcher. En 1981, au journal chilien Mercurio, Von Hayek déclarait : « Je suis complètement contre les dictatures comme solutions pour le long terme. Mais parfois une dictature peut être nécessaire pour une période de transition. A certains moments, un pays peut éprouver le besoin d’un gouvernement dictatorial. Vous comprenez qu’un dictateur peut régner d’une façon libérale tout comme un démocrate peut régner d’une façon non-libérale. Personnellement je préfère un dictateur libéral à un régime démocratique sans libéralisme... »

La Société du Mont-Pèlerin, les Etats-Unis et la France

Ce n’est donc pas un hasard que la Société du Mont-Pèlerin et son idéologie fasciste représentent la maison mère et la pépinière de la plupart des think-tanks néo-conservateurs aux Etats-Unis et dans le reste du monde. Un examen approfondi des dirigeants de ces fondations et de leurs mécènes nous conduit inévitablement à la Société du Mont-Pèlerin.

Edwin Feulner, par exemple, n’est pas seulement le trésorier de la SMP mais également le président de la Heritage Foundation qui finance à son tour l’American Enterprise Institute, où siègent Lynne Cheney, Richard Perle, Michael Ledeen ou Irving Kristol. Feulner fut aussi pendant longtemps à la tête de l’Intercollegiate Studies Institute (ISI) qui contrôle une large part de la presse étudiante sur les campus américains.

En France, c’est le professeur Guy Millière qui gagne la médaille d’or de la soumission volontaire aux néo-conservateurs : traducteur de von Hayek et de Friedman, auteur du livre Pourquoi Bush sera réélu (2004), professeur d’histoire des idées et des cultures à Paris VIII Saint-Denis, il participe aux travaux de l’American Enterprise Institute et enseigne aux Etats-Unis.

Conférencier de la Banque de France, enseignant à Sciences Po, traducteur du site de Daniel Pipes de Campus Watch, éditorialiste de la Metula News Agency, il voyage souvent aux Etats-Unis où il s’est entretenu sur « l’éthique judéo-chrétienne » avec ceux qui font exactement l’opposé de cette éthique : le faucon Paul Wolfowitz, l’islamophobe Daniel Pipes, le va-t-en guerre Laurent Murawiec, l’ancienne figure de la nouvelle gauche David Horowitz, actuellement impliqué avec Lynne Cheney dans une chasse aux sorcières sur les campus américains, et le télé évangéliste escroc Pat " diamond " Robertson, impliqué dans des trafics douteux avec plusieurs dictateurs africains ! Le 22 août 2005, Pat Robertson appela à l’assassinat du président catholique du Venezuela Hugo Chavez.

Pour convertir la France à ce néo-conservatisme, Guy Millière multiplie conférences, articles, pétitions, instituts et mouvements. Le porte-avion de cette flottille semble être l’Institut Turgot, basé simultanément à Paris et à Louvain-la-Neuve, où les héritiers de l’Ecole de Salamanque et des Habsbourg tiennent encore le haut du pavé. Guy Millière, qui en fut co-fondateur, y siège dans le comité scientifique avec Michel Crozier et Steve Hanke du Cato Institute. Présidé par un membre de la SMP, l’Institut Turgot abrite trois grands noms dans son comité de soutien : Norman Podhoretz, un des pires néo-conservateurs américains, Claude Bébéar de AXA, connu comme le parrain du capitalisme français, et l’historien américain Leonard Liggio, de la George Mason University, un des grands financiers de l’internationale du Mont-Pèlerin. Liggio se dit « hostile au néo-fascisme façon New Deal et à l’interventionnisme étatique ». Le 28 août 2006, il devait partager la tribune avec Chantal Millon Delsol à l’Université de la nouvelle économie d’Aix-en-Provence, qui clôturait avec la présentation d’une nouvelle traduction de La route de la servitude de Friedrich August von Hayek.

FIN

http://www.catallaxia.org/article.php?sid=686

Messages

  • Oui, le néo libéralisme est un très vieux système, que les américains exportent volontiers mais se garde bien d’appliquer eux-mêmes. L’Angleterre a été effectivement la tête de pont en Europe de l’implantation de ce système économique dévastateur, aux aspects autoritaires intrinsèques, il est important de le noter maintenant. On leur doit aussi l’organisation du réseau informatique planétaire qui permet les opérations spéculatives, en temps réel, n’importe où dans le monde. La bourse aux quotas CO2 aussi par exemple, affreux dévoiement des accords de kyoto.
     La notion de social-libéralisme pour qualifier les sociaux démocrates qui adhèrent au néo libéralisme, c’est à dire tous depuis que le couple Royal Hollande a placé le PS sur cette ligne, est impropre. Il n’y pas la plus infime partie "sociale" dans ce système économique. Voir le projet de constitution européenne, Bolkenstein... Au contraire tout le volet des acquis sociaux est très menacé par les suites d’une élection présidentielle qui va donner, dans tous les cas, un président serviteur de l’ultralibéralisme, en France. De ce point de vue la liquidation des restes du gaullisme, entamée officiellement depuis Maastricht, n’est peut-être pas pire que la prise de pouvoir, en France, de sociaux démocrates, serviteurs zélés de ce système comme on a pu le voir avec J Delors, puis Pascal Lamy. On peut même dire que la désillusion populaire rapide qui suivrait l’élection de Mme Royal, ainsi que l’apparition des réalités industrielles, économiques et sociales, soigneusement camouflées aujourd’hui, ouvrirait dangereusement la voie à une solution autoritaire.

     Pourvu que ceci ne soit que des spéculations intellectuelles.
    JMB