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Votre Voisin n’a pas de papiers : Paroles d’étrangers
Publie le mardi 18 avril 2006 par Open-PublishingM. Mehdi a le droit de vivre en France depuis plusieurs années mais pas celui de gagner sa vie légalement, ce qui le contraint à travailler au noir. Mme Melgar, installée à Paris depuis plus de vingt ans, n’a pas le droit de vivre avec son mari à cause de la disposition des pièces de son appartement. Faute d’avoir le droit de travailler pendant l’examen de sa demande d’asile, Mlle Masimba a été poussée à la prostitution. M. Koffi, qui ne sait ni lire ni écrire, a vu sa demande d’asile rejetée sans avoir jamais eu la possibilité d’expliquer oralement pourquoi il avait fui son pays...
Ces histoires, tirées des 25 témoignages recueillis par la Cimade et rassemblés dans ce livre, ressemblent à celles de beaucoup des étrangers que nous croisons tous les jours. Ils sont nos voisins, vivent et travaillent à nos côtés sans que nous soupçonnions les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien parce qu’ils ont du mal à faire valoir leurs droits. Cette méconnaissance n’empêche pourtant pas que leur présence en France reste largement perçue comme un « problème » à résoudre, auquel les hommes politiques répondent par un durcissement continu de l’accès à l’immigration.
Moins de trois ans après une loi qui a nettement dégradé les conditions de vie des étrangers, le gouvernement s’inscrit à nouveau dans cette logique en présentant en ce printemps 2006 un texte qui restreindra encore plus les droits des étrangers et aggravera la précarité dans laquelle beaucoup sont maintenus.
La Cimade, qui accueille chaque année des dizaines de milliers de migrants pour les aider dans leurs démarches administratives, s’alarme de la situation difficile qu’ils vivent au quotidien. C’est pourquoi elle a décidé de leur donner directement la parole. À travers 25 témoignages, ils nous racontent leurs espoirs, leurs déconvenues et, souvent, leur désespoir face aux obstacles qu’ils doivent affronter pour bénéficier de droits aussi élémentaires que celui de se faire soigner, de vivre avec sa famille ou tout simplement d’être entendus.
Chaque histoire, unique comme l’est le parcours de celui qui la raconte, est pourtant tristement banale. Elle traduit la condition de milliers d’autres personnes et illustre de façon concrète la façon dont la loi est appliquée. C’est pourquoi les témoignages sont accompagnés par des éclairages historiques et juridiques permettant de comprendre l’évolution des lois et les subtilités de leur mise en œuvre.
Extraits
Extrait du témoignage de Sékou Bamba, père d’un jeune garçon gravement malade
Quand Abdramane est né, ils ont testé son sang et on m’a dit qu’il avait une maladie qu’on appelle drépanocytose. C’est une maladie à vie. Maintenant, il a 4 ans et il sent beaucoup la douleur. Chaque matin, quand on le réveille, il se tord de douleur. Quand il est né, on nous a dit qu’il fallait demander les papiers pour les parents. On a besoin de rester à côté de l’enfant. Ils nous ont donné des autorisations provisoires de séjour, d’abord de trois mois, sans autorisation de travail. Je n’ai jamais compris pourquoi on m’autorise à rester en France pour m’occuper de mon fils, mais on m’interdit de travailler. Pourquoi ?
Extraits du témoignage de Maria Melgar, chilienne qui travaille depuis 23 ans comme concierge à Paris
J’ai 59 ans, même âgée, j’ai toujours rêvé de trouver un mari. Il y a trois ans à peu près, un ami à moi nous a présentés au téléphone. On a commencé à s’écrire, on s’est parlé tous les jours au téléphone et on a décidé de se connaître. Dès qu’on s’est vus, c’était comme si on se connaissait depuis toujours. Il est venu en France, et on a décidé de se marier, mais il fallait qu’il sorte de France tous les trois mois pour avoir le visa comme touriste. J’ai voulu faire la demande de regroupement familial pour qu’il puisse rester plus longtemps avec moi et qu’il soit en règle... Ça n’a pas marché. Il fallait présenter beaucoup de papiers, beaucoup, beaucoup. J’ai eu la visite d’un fonctionnaire pour le logement. Il a tout mesuré. C’était négatif parce que les conditions de mon logement, c’était pas assez bien. La raison, c’était qu’il faut traverser la cour pour aller à la chambre et que la salle de douche et toilettes, c’était pas assez aéré. Je trouve que les excuses qu’ils dis !
ent pour ne pas faire venir mon mari, que nous soyons ensemble tous les deux... non, je crois qu’ils se foutent de... qu’ils rigolent de nous.. Ça fait rire, ça : « Pas de fenêtre dans les toilettes. » C’est une excuse ridicule.
Extraits du témoignage de Kouassi Koffi, demandeur d’asile ivoirien
À la préfecture, quand je suis arrivé, ils m’ont donné le papier de la demande d’asile et m’ont dit qu’il faut remplir ça. Comme je ne sais pas écrire, j’ai demandé à un ami. Je lui ai dit il faut écrire ça et il écrit.
J’attendais maintenant qu’on me convoque. Maintenant l’Ofpra, ils m’ont envoyé une lettre, la lettre montre que j’ai été rejeté. Ben j’étais étonné. Jusqu’à maintenant, je ne sais pas pourquoi j’ai été rejeté. La lettre de l’Ofpra, elle a dit que ma demande, elle n’est pas fondée. C’est comme ça qu’ils ont dit. Je ne sais pas justement ce que ça veut dire, « ça n’est pas fondé ». Le français me manque beaucoup. Je ne suis pas venu ici en France juste comme ça. C’est un problème qui m’a fait sortir et jusqu’aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi l’Ofpra ne m’a pas convoqué, j’aimerais mieux m’expliquer devant l’Ofpra. Moi ce que je calcule, c’est peut-être parce que je ne sais pas écrire, je ne sais pas lire. Si je savais lire et écrire moi-même, j’aurais rempli et peut-être qu’ils m’auraient convoqué.