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Voynet en chasse gardée

Publie le jeudi 17 janvier 2008 par Open-Publishing

Jean-Pierre Brard, solidement implanté, brigue un cinquième mandat, avec l’appui du PCF, du PS et du MRG. Mais les dissidents, notamment socialistes, se sont ralliés à la sénatrice verte.

de MATTHIEU ÉCOIFFIER

Rue Rapatel et rue Faidherbe, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), les habitants s’arrachent les cheveux au volant de leur voiture. « C’est le plan de circulation du maire qui nous fait tourner en rond », peste Sylvie, la trentaine. Mais, dans cette ville de gauche où la plupart des habitants « n’ont connu que Brard », leur édile depuis vingt-cinq ans, plus que le plan de circulation, ce sont les bisbilles à gauche qui font tourner cette électrice socialiste en bourrique : « A Montreuil, la droite n’existe pas, elle fait 30 %. La vraie baston sera à gauche. Et ça va être violent. » Car beaucoup de gens aspirent à « déboulonner » leur maire, tout en le déclarant « indéboulonnable », confie Sylvie.

Apparatchiks. A 59 ans, Jean-Pierre Brard, maire apparenté communiste depuis 1984 de cette ville de 101 000 habitants, brigue un cinquième et dernier mandat. Il bénéficie d’une forte implantation et du soutien officiel du PCF, du PS, et du PRG, avec qui il cogère la ville. Et, pour l’heure, la seule en position de défaire Jean-Pierre Brard est Dominique Voynet. Montreuilloise depuis près de cinq ans, la sénatrice verte de Seine-Saint-Denis est entrée en campagne tambour battant à l’automne dans la foulée de sa défaite à la présidentielle. A la dernière municipale, les Verts ont totalisé 29 % des voix. Et Voynet espérait alors obtenir le soutien officiel du PS via un deal avec les fabiusiens : une alliance aux municipales contre le soutien des Verts aux cantonales pour permettre au député Claude Bartolone de piquer au PCF la présidence du conseil général de Seine-Saint-Denis. Mais l’affaire a tourné court. Les verts locaux sont dans l’opposition municipale et refusent toute fusion avec Jean-Pierre Brard entre les deux tours. Et Dominique Voynet compare Montreuil à la Roumanie juste avant la chute de Ceausescu et décrit Brard en « autocrate, vers qui tout remonte, jusqu’à la moindre attribution de logement social ». Voire en « serpent » qui a hypnotisé ses administrés. Réplique cinglante de l’intéressé : « Comment Dominique Voynet peut-elle prétendre travailler avec l’affreux dictateur qu’elle voit en moi ? » Façon de faire porter à l’écologiste le chapeau de la division alors que la direction du PS exige l’union des forces de gauche au deuxième tour.

Consultés, les militants socialistes comme ceux du PRG se sont prononcés en faveur d’une alliance avec Voynet ? Brard emporte le soutien des appareils et promet aux apparatchiks socialistes locaux de mieux partager les délégations.

Pour marginaliser son duel avec Voynet, Brard se pose en rempart contre la droite. « On parlait d’Henri Guaino candidat à Montreuil. Finalement, nous avons une tête de liste UMP désignée directement par l’Elysée : Mme Aminata Konaté. Elle est montreuilloise, pas connue, et fait partie des réseaux Rama Yade », assure le maire. « Si je suis bien informé, il est question d’une visite de Sarkozy à Montreuil pendant la campagne. Il fera un coup, mais ce sera à haut risque : les gens sortiront dans la rue », plastronne-t-il. Mais parler de Sarkozy, c’est surtout pour lui une manière de souligner que « Voynet n’est pas un sujet » : « Je n’ai pas d’adversaire à gauche. » Et Brard, qui table sur 40 % au premier tour, contre... la moitié pour son adversaire verte, de préciser que, si « elle se maintient, elle perd. Et si elle se retire, elle perd. Elle est morte nationalement ». Les jeux pourtant ne sont pas faits. « Je suis très conscient de générer des adhésions inconditionnelles et des détestations inexpugnables », avoue Brard.

Manœuvrier.Plutôt apprécié comme député, sa gestion municipale suscite un fort rejet. « Il est très bon à l’Assemblée nationale. On l’a vu sur les lois Hortefeux ou l’amendement ADN », explique Karim, 29 ans d’origine algérienne, qui dénonce« les abus de pouvoir, le clientélisme et les pratiques staliniennes de certains élus communistes fantômes ». « Il a de bonnes valeurs, mais il ne va pas au fond », résume Laurent, un éducateur, qui raconte que Brard a imposé un « projet éducatif local et global » (PELG) prévoyant la suppression de l’école le samedi, fait à la va-vite, sans concertation :« On s’est retrouvés à trois animateurs pour cent enfants. »

Brard a surtout l’image d’un habile manœuvrier. Il a d’abord dézingué la tentative de la section PCF locale de lui imposer Clémentine Autain sur sa liste, taxant d’« ambitieuse » et de « parachutée » l’égérie antilibérale. « C’est un autocrate qui m’a insultée », réplique cette dernière. Et, aux législatives, Brard avait réussi à obtenir le retrait au deuxième tour de Mouna Viprey, la candidate du PS arrivée juste derrière lui. Candidat unique, il a été réélu avec 100 % des votes exprimés, mais seulement un tiers des électeurs se sont déplacés, et 30 % ont voté blanc ou nul. Ce qui fait dire à Manuel Martinez que « la municipale sera le troisième tour des législatives. Il y a un coup de poker à jouer ». Ce conseiller général PS devrait rejoindre la liste Voynet. Tout comme Mouna Viprey, en troisième position, dès la fin de la semaine. Fodé Sylla, tête d’affiche du PRG dans la ville, a déjà sauté le pas. « Une belle union puisque les Verts connaissent bien le Bas-Montreuil des bobos et Mouna a construit des relais dans les cités », explique une socialiste « dissidente ». D’autres figures des quartiers sont en bonne position sur sa liste. « Ce qui m’inquiète, c’est que Voynet est une battante, mais elle n’a pas gagné beaucoup de batailles. Voynet a une belle équipe de citoyens. Si elle joue collectif et que le bouche à oreille mobilise dans la ville, elle a ses chances », juge Véronique, une sympathisante. Voynet, elle, table sur le « bouillonnement citoyen » contre « le réseautage classique ». Sauf que « Brard est un vrai renard. Il a envoyé une belle boîte de chocolats aux maisons de retraite », raconte Karim.

« Je ne connais quand même pas les 101 000 habitants », ironise Brard, qui inaugure à tour de bras : une jolie piscine - la seule de la ville -, un nouveau théâtre et une galerie d’exposition - la première dans cette ville d’artistes. Brard a en revanche refusé le Vélib’ dans le Bas-Montreuil pour ne pas discriminer le Haut. Et propose aux habitants des cités un tire-fesses à vélo sur l’avenue Jean-Moulin. Il promet aussi la prolongation du métro pour 2015. « Comme à chaque municipale depuis trente ans », ironise Karim.

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