Accueil > WOID #XIV-34. Ilan/Abdallah

WOID #XIV-34. Ilan/Abdallah

Publie le samedi 25 février 2006 par Open-Publishing

Les leçons de l’histoire sont rarement aussi évidentes que celles d’une pièce de Shakespeare - ou bien c’est que nous n’y faisons pas attention. Ilan Halimi, un jeune Juif de France, a été enlevé, tenu contre rançon, torturé à mort par une bande d’immigrants de banlieue qui s’imaginaient que tous les juifs sont riches. Toutes les tendances politiques françaises - à peu près - sont d’accord pour dénoncer le crime comme un incident raciste, sauf cette poignée qui discute, avec une logique irréprochable, que s’il suffit de croire que les juifs ont de l’argent pour être un raciste alors nous sommes tous des racistes.

Oui, justement. Ceux qui ont été témoins de la montée du Nazisme ont remarqué à quel point les sentiments hostiles aux juif étaient monnaie courante dans les années précédentes : plaisanteries, commentaires informels, caricatures, poncifs. Tout celà formait la part journalière de l’existence des juifs en Allemagne, en Autriche et ailleurs, et il ne restait plus, pour les partis, le gouvernement ou la presse qu’à canaliser ce sentiment. Des historiens comme R. I. Moore, Tilly et Goldhagen l’ont déjà signalé : la violence ne vient pas du Père Violence, elle est sous-jacente dans des comportements quotidiens qu’on encourage ou qu’on décourage dans toute société. Ilan a été victime de ce racisme irréfléchi, informel, inoffensif en apparence qu’on entend un peut partout en France et ailleurs, sauf qu’en son cas ce racisme provenait d’une communauté d’immigrants Musulmans pauvres des banlieues, où les opinions anti-sionistes dominent.

Et si nous apprenions demain qu’un jeune Musulman danois a été torturé à mort parce que "les Musulmans ne partagent pas nos valeurs" nous aurions également raison d’accuser en partie le Jyllands-Posten, ce journal qui a essayé de classer tous les Musulmans comme terroristes, avec l’intention expresse de marginaliser et de dévaloriser la vie des immigrants danois. Donc la question n’est pas, comme le prétendent quelques sionistes français et la majorité des fascistes, qu’Ilan ait été tué parce que les Musulmans haïssent les juifs, c’est qu’il a été tué parce que les sentiments antisémites autant qu’anti-musulmans ont droit de cité dans notre quotidien propre, et sont exacerbés par des gouvernements ou une presse qui s’en arroge le "droit," avec la complicité des défenseurs de ce "droit."

Jane Kramer, dans le New Yorker, journal libéral s’il en fut, affirme que l’expression de cette haine, avec tout ce qu’elle implique, est de l’essence même de nôtre tradition de libertés et de démocratie : elle a sans doute raison, parce que si la liberté de parole est un absolu alors vous exercez le même droit quant vous publiez des caricatures islamophobes ou que vous racontez une blague antisémite ou que vous traitez quelqu’un de juif en écrasant un mégot sur son visage.

Mais il revient à Robespierre, incarnant la somme des contradictions de la pensée des Lumières, de formuler le problème dans toute sa clarté : "Les droits de chacun s’arrêtent où commencent les droits des autres." Et c’est au poète anglais W. H. Auden à offrir la seule solution possible : "Nous devons nous aimer les uns les autres, ou mourir."

[traduit de l’Anglais]

- Hoipolloi Cassidy