Accueil > BOGOTÁ A ESPIONNÉ SUR LE TERRITOIRE BELGE

BOGOTÁ A ESPIONNÉ SUR LE TERRITOIRE BELGE

Publie le vendredi 21 mai 2010 par Open-Publishing

LALLEMAND, ALAIN

Un accord de libre-échange entre Union européenne et Colombie doit être signé ce mercredi. Or la prémisse de cet accord a peut-être été manipulée par Bogotá, dont le service d’espionnage a espionné pendant les discussions.

Dans le cadre du Sommet Europe - Amérique latine - Caraïbes (EU - LAC), un accord de libre-échange entre Union européenne et Colombie doit être signé ce mercredi à Madrid.

Cette signature ne présenterait que peu d’intérêt si elle n’intervenait avant que l’Europe et les pays concernés – surtout la Belgique, hôte des institutions européennes – ne connaissent le fin mot des opérations d’espionnage et d’intoxication menées en Europe par le Département administratif de sécurité (DAS), le principal service de renseignement colombien. Or ces opérations d’infiltration ont eu notamment pour objet de faciliter la conclusion de cet accord de libre-échange. En d’autres termes, l’Union prend le risque de signer un accord dont la prémisse a peut-être été manipulée par Bogotá.

Explication : depuis plusieurs années, le DAS, principal service secret d’Amérique latine (6.500 agents) est sous enquête judiciaire en Colombie pour avoir mené des opérations de surveillance, d’écoute et de dénigrement, non seulement de militants des droits de l’homme et opposants supposés, mais aussi de magistrats de la Cour suprême et de dirigeants politiques. En Colombie, ces dérapages allaient jusqu’à favoriser l’assassinat de syndicalistes.

Les « indélicatesses » de la DAS ont été à ce point manifestes que, début avril, les Etats-Unis suspendaient leur aide à la DAS (pourtant partenaire privilégié de Washington dans la lutte antidrogue) pour transférer ces fonds à la police nationale et à l’équivalent de la police judiciaire colombienne (CTI).

Le dossier « Europa »

Quelques jours plus tard, les 15 et 20 avril dernier, la télévision colombienne RCN-TV révélait la teneur de documents de la DAS saisis par les enquêteurs colombiens de la CTI, notamment un dossier baptisé « Europa ». Selon les pièces de ce dossier, la DAS a chargé l’un de ses fonctionnaires, German Villalba, directeur adjoint de la section « renseignement humain », depuis lors appréhendé à Bogotá, d’ouvrir plusieurs antennes d’espionnage en Europe chargées de suivre, filmer ou enregistrer les adversaires présumés de l’actuel gouvernement colombien. Il ne s’agissait pas nécessairement de Colombiens, mais aussi, éventuellement, de parlementaires européens, à la fois sympathisants ou opposants au gouvernement de Bogotá.

Basé en France, le journaliste colombien Hernando Calvo Ospina a suivi ces révélations. Sur son blog, il explique comment ont été découverts les éléments d’une campagne d’espionnage baptisée « Opération Europe », dont l’objectif était notamment de « neutraliser ou influencer le système juridique européen (et) la Commission des droits de l’homme du Parlement européen. » Fin avril, le groupe des Verts du Parlement européen a demandé en vain que la Colombie « éclaircisse ce scandale » avant que ne soit signé l’accord commercial de ce mercredi.

Le Soir a obtenu confirmation du fait que des agents colombiens ont espionné des organisations non gouvernementales sur le territoire belge. Il revient donc logiquement à la Sûreté de l’Etat de s’en préoccuper. Ce n’est au mieux que dans plusieurs mois que l’opinion publique belge saura si les agents belges (ou leur comité permanent de suivi) s’en sont inquiétés.

Broederlijk Delen, espionné et saboté

Le magazine flamand MO* révèlera dans son édition de juin que le principal service de renseignement colombien, le Département administratif de sécurité (DAS) a bel et bien espionné en Belgique le Parlement européen, l’ONG catholique flamande Broederlijk Delen, l’ONG Oxfam Solidarité, ainsi qu’une ONG colombienne disposant d’un siège à Bruxelles, Oficina Internacional de Derechos Humanos Acción Colombia (Oidhaco). Ces noms, révèlent MO*, figurent dans les documents du DAS saisis par la justice colombienne. On y précise notamment qu’il y a eu un ordre d’enquête sur le fait de savoir « si les collaborateurs de Broederlijk Delen auraient d’autres relations que professionnelles avec les collaborateurs des organisations partenaires colombiennes » et qu’injonction fut donnée de s’opposer à l’approbation par l’Union européenne d’un projet introduit par Broederlijk Delen au bénéfice de l’association colombienne Colectivo de Abogados (Collectif des avocats).

MO* révèle que le nouveau directeur du DAS s’est déplacé en Belgique ces dernières semaines pour tenter de limiter l’impact du scandale. Il aurait notamment rencontré Broederlijk Delen, ainsi que l’un des membres de Colectivo de Abogados, Luis Guillermo Perez, dont l’habitation aurait fait l’objet en octobre 2009 d’un cambriolage avec vol d’ordinateurs et disques durs externes.

http://www.lesoir.be/actualite/monde/2010-05-19/bogota-a-espionne-sur-le-territoire-belge-770904.php