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Libye. Aujourd’hui, les états-majors s’alarment de la présence vraisemblable, parmi ces "rebelles", de combattants d’al-Qaida

Publie le dimanche 3 avril 2011 par Open-Publishing
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Le piège libyen

Plus question de se voiler la face, ni de se bercer d’illusions : les choses tournent plutôt mal en Libye. Brouillonne, décidée hâtivement, l’intervention de la coalition occidentale prend déjà l’allure d’une guerre difficile, voire d’un enlisement politico-militaire. La décision prise par Barack Obama d’autoriser l’envoi d’agents spéciaux de la CIA pour soutenir les « rebelles », incapables de résister aux contre-offensives de l’armée libyenne, fait frémir ceux qui ont un peu de mémoire. La plupart des bourbiers militaires (à commencer par la guerre du Vietnam) commencent toujours par l’envoi - discret - de quelques « commandos » dont on espère qu’ils suffiront à faire « le job ». Puis on augmente leur nombre et l’enlisement commence.

Depuis une dizaine de jours, j’éprouve un sentiment de « déjà-vu ». Il ne concerne pas seulement les aspects militaires de l’opération, à savoir la croyance naïve qu’une offensive aérienne massive pouvait suffire à régler la question. Il ne se limite pas non plus au lyrisme benêt des va-t-en-guerre médiatiques, toujours les mêmes. Je pense aux mécanismes diplomatiques, médiatiques, juridiques qui ont permis de mettre en route cette équipée. Ils étaient ambigus depuis le début.

Si les opinions occidentales ont, dans un premier temps, approuvé l’intervention, c’est qu’elle fut d’abord présentée comme purement « humanitaire ». Dans le texte de la résolution 1973 adopté in extremis par le Conseil de sécurité, on se réfère à la « protection des civils » contre les menaces meurtrières du dictateur de Tripoli, notamment les habitants de la ville de Benghazi, déjà encerclée par les chars de Kadhafi. Fort bien. Reste que, faisant cela, on venait en réalité au secours d’insurgés sans doute armés de bric et de broc mais qui n’étaient pas des « civils » calfeutrés chez eux. Les premières frappes aériennes ouvraient la voie à une reconquête militaire par une petite armée mal commandée mais lyriquement guerrière. On peut trouver ces rebelles plus sympathiques que les blindés et l’artillerie lourde du dictateur, mais on était bien dans le « militaire » et non l’« humanitaire ». On a donc berné l’opinion.

Plus imprudent encore. En fournissant un soutien aérien aux « rebelles », on choisissait d’aider des gens dont, en vérité, on ne savait pas grand-chose. Aujourd’hui, les états-majors s’alarment de la présence vraisemblable, parmi ces « rebelles », de combattants d’al-Qaida, et précisément d’Aqmi (al-Qaida au Maghreb islamique). On hésite donc à livrer à la rébellion des armes modernes (missiles antichars ou sol-air) qui se retrouveraient tôt ou tard dans le Sahel et menaceraient nos propres forces, au Mali, en Mauritanie ou au Niger. L’envoi de spécialistes de la CIA et du MI6 britannique permettra de contourner la difficulté. Mais c’est déjà un pas de plus dans l’engagement « à la vietnamienne ».

Plus troublant : une erreur d’analyse a été commise au départ. On a voulu voir dans cette affaire l’insurrection d’un peuple contre son dictateur fou. Cette dimension existe, à n’en pas douter. Mais, comme toujours, la réalité est plus complexe. L’insurrection « démocratique » se superpose, en Libye, à une vieille rivalité clanique, géographique et tribale entre les villes de la Cyrénaïque (dans l’Est) et celle de la Tripolitaine (dans l’Ouest). L’ancienne royauté libyenne était enracinée en Cyrénaïque. Cette région est donc devenue « rebelle » après la prise de pouvoir de Kadhafi, le Tripolitain. Cela signifie que, derrière l’insurrection démocratique d’un « peuple libyen », réapparaît un antagonisme entre l’est et l’ouest de la Libye. Les récents revers des insurgés à l’approche des villes de la Tripolitaine en témoignent.

Dans quelques semaines, la vraie question risque d’être redoutable : comment sortir du piège ? Un piège dans lequel nous a précipités l’activisme brouillon de David Cameron et Nicolas Sarkozy.

http://www.sudouest.fr/2011/04/03/le-piege-libyen-360732-755.php

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