Accueil > "Occupy Wall Street" : des anticapitalistes dans la première (...)

"Occupy Wall Street" : des anticapitalistes dans la première place financière

par Les Inrocks

Publie le dimanche 18 septembre 2011 par Les Inrocks - Open-Publishing

New York, Greenwich Village, un café un peu italien. "J’aurai un T-shirt vert pâle et des lunettes", nous a expliqué par texto celui qui se fait appeler Bold Jez. Il est assis à une table collée au bar, un café crème et un cahier posés juste devant lui. Sur son T-shirt, "Optimist Club" écrit en gros. Grand sourire. "Hello, asseyez-vous. Alors comme ça, vous voulez savoir comment on va occuper Wall Street ?" Bold Jez, qui se définit comme "philosophe et artiste", fait partie de la NYC General Assembly, l’un des quatre groupes qui, depuis plusieurs semaines, travaillent sur l’opération commençant à faire trembloter la Grosse Pomme : "Occuper Wall Street" ("Occupy Wall Street" en version originale).

A l’origine, une idée lancée presque comme une blague au coeur de l’été par les trublions antipub et anticapitalistes de Toronto, Adbusters. L’idée : la prise démocratique et populaire de la première place financière du monde, façon place Tahrir du Caire.

La date : le 17 septembre, celle de la journée mondiale de ceux qu’on appelle volontiers les Indignés (des occupations de banques ou de Bourses sont d’ailleurs prévues le même jour à Londres, Paris, Madrid et Berlin). "Cette occupation de Wall Street, ce sont donc des types de Toronto qui en ont eu l’idée, si l’on y songe", plaisante Bold Jez. Il poursuit : "Mais depuis, ça a fait son chemin en ville. Beaucoup de gens travaillent dessus. Il y a Adbusters donc, qui donne le ton via le net, et trois autres groupes qui s’occupent de la mobilisation de façon plus pratique : US Day of Rage, OccupyWallSt.org, et la NYC General Assembly."

"Leur but n’est pas encore fixé", note CBS

Circonscrite au départ aux cercles militants, l’idée a, depuis quelques jours, percé chez les grands médias américains, alertés surtout par l’arrivée en fanfare d’un nouveau candidat à l’occupation : le hacker masqué Anonymous, qui a décidé unilatéralement de soutenir la cause et qui affirme avoir des recrues internes à Wall Street capables de planter le système informatique du Stock Exchange.

La semaine dernière, le site de CBS parlait pour la première fois du projet d’occupation, avec une certaine ironie, en montrant l’une des bannières web utilisées par Adbusters pour l’événement - un montage d’une photo de la Bourse de New York et de militants de la place Tahrir, leurs chaussures à la main en signe de protestation (photo ci-dessus). "Des groupes veulent occuper Wall Street, mais leur but n’est pas encore fixé", expliquait l’article.

Bold Jez s’en amuse : "C’est vrai qu’il n’existe pas de bannière commune derrière laquelle tout le monde se range, et c’est peut-être en cela que nous nous différencions des mouvements altermondialistes, qui se structurent souvent autour d’une unique revendication. Bien évidemment, tous les gens qui seront là le 17 septembre sont gênés par une certaine forme de domination liée à l’argent, et ils ont tiré des leçons de ce qui s’est passé récemment dans les pays arabes ou en Espagne. Mais rien n’est figé. L’idée, c’est plutôt de prendre date, de discuter, de s’approprier un lieu, de montrer que nous sommes prêts à faire des choses ensemble, des choses dont nous ignorons encore l’issue." Bold Jez en a pourtant une idée. Le 1er septembre, en compagnie d’une douzaine de camarades, il sort les sacs de couchage devant Wall Street. Résultat immédiat : une dizaine de flics déboulent, et c’est l’arrestation. Une nuit au poste, et des questions en bataille sur Occupy Wall Street. "Les policiers semblaient désarçonnés. On leur a dit que nous, on était plutôt sur le côté campement et happening, mais que les autres bossaient certainement sur d’autres trucs", plaisante Bold Jez.

"Ce sont les citoyens qui doivent influer sur la démocratie"

Du côté des autres organisateurs, comme par exemple OccupyWallSt.org, on plancherait donc plutôt sur la logistique et les sandwichs : c’est en tout cas ce qu’explique l’un des représentants du groupe, Bill Csapo, un type sympa qui vous appelle "brother" et qui se dit trop occupé à gérer le "ravitaillement" du projet pour répondre aux questions des journalistes français. Il a "plusieurs réunions dans la journée" pour voir "comment il sera possible de nourrir les occupants" pendant la journée du 17 septembre, alors il invite gentiment le journaliste français à prendre contact avec sa camarade Alexa O’Brian, la fondatrice de US Day of Rage. "Si vous voulez parler idéologie, c’est elle qu’il faut contacter", explique-t-il en riant au téléphone.

US Day of Rage a été fondé en mars dernier et compte aujourd’hui près de sept cents membres (dont une vingtaine très actifs sur Facebook et Twitter). Plus politisée que Jez ou Csapo, Alexa O’Brian, jeune femme d’une trentaine d’années - qui a sacrifié sa pause déjeuner pour nous rencontrer -, voit le 17 septembre comme l’occasion de rappeler aussi des fondamentaux démocratiques.

"En janvier 2010, la Cour suprême des Etats-Unis a autorisé les entreprises à financer librement les campagnes électorales. Cela laisse présager que l’élection de 2012 sera très certainement la plus corrompue que l’Amérique ait jamais connue. Se regrouper devant Wall Street est une occasion de rappeler, notamment, que ce sont les citoyens qui doivent influer sur la démocratie, et non les entreprises", explique O’Brian, avant de conclure : "Je ne suis pas persuadée que nous partageons les mêmes idéaux, les mêmes aspirations. Par exemple, je n’aime pas toujours les images que diffuse Adbusters, je les trouve parfois trop guerrières, alors que la non-violence sera évidemment de mise. Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais cette date du 17 septembre est une prise de position dont nous avons tous envie. Et Wall Street est un endroit idéal pour cela, tellement symbolique."

Pierre Sianwkowski

http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/70241/date/2011-09-16/article/occupy-wall-street-des-anticapitalistes-dans-la-premiere-place-financiere-du-monde/