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"Programme primaire".

par Jean-Marie Harribey.

Publie le lundi 10 octobre 2011 par Jean-Marie Harribey. - Open-Publishing
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Le mot est à la mode, je l’utilise donc : je suis primaire et je crie. Y en a vraiment marre, trop, c’est trop. Le gouvernement, les banques, les spéculateurs, les éditorialistes vendus aux bourgeois, ça suffit. Je m’étrangle en lisant la une du Monde du 6 octobre 2011 : « Dexia, première banque victime de la crise de la zone euro ». C’est une blague ou quoi ? Dexia, première banque victime de ses agissements après avoir plumé les citoyens ! Et c’est partout la même histoire, la tragédie grecque le montre ! Telle est la triste vérité.

L’ébranlement actuel du système bancaire est l’aboutissement programmé de la frénésie de privatisations, de déréglementations et de spéculation. Et Dexia est l’exemple typique des pratiques scandaleuses et dévastatrices qui se sont développées depuis plus de deux décennies, créant turpitudes sur turpitudes et dévoiement des États, sommés de servir les intérêts des actionnaires quand ils ne le faisaient pas spontanément.

D’où vient Dexia ? Créé en 1987 sous les auspices de la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit local de France, destiné à financer les collectivités locales, connaît sa première introduction en Bourse en 1991 (merci Cresson, Premier ministre), puis est privatisé par Balladur en 1993. Il ne reste plus qu’à le fusionner avec le Crédit communal de Belgique en 1996 pour donner Dexia.

En près d’un quart de siècle, la banque a alors, d’une part, élargi la gamme de ses activités, et, d’autre part a progressivement soumis les collectivités locales qui empruntaient à un régime draconien. Dexia accorde des crédits dits « structurés » dont les taux sont dans un premier temps faibles, puis ils augmentent car ils sont indexés sur des paramètres financiers très volatils, comme « les cours des devises étrangères, le prix de l’énergie, l’écart entre les taux directeurs, etc. »[1] D’où le nom d’emprunts toxiques que les collectivités locales ont sur le dos : fin 2009, ils représentaient 36 % des prêts de Dexia aux collectivités locales, soit 26 milliards d’euros sur un total de 72 milliards. De plus, Dexia impose des pénalités exorbitantes si les collectivités veulent se sortir de cet engrenage : environ 4 milliards.[2] Comme par hasard, les départements comme La Seine-Saint-Denis concentrent les plus grandes difficultés. Les collectivités locales victimes de Dexia !

Mais alors pourquoi Dexia flanche ? Parce que la pratique financière néolibérale emporte tout. En élargissant la gamme de ses activités, Dexia s’est mêlée au maëlstrom financier de ces dernières années. Elle a participé à la restructuration du secteur bancaire (achat de plusieurs banques françaises et étrangères, participations). Et elle a donc tété des subprimes par le biais de la banque américaine FSA qu’elle avait rachetée en 2000 pour la revendre en 2009, une fois mise à mal par la crise.

Les États français et belge ont alors recapitalisé Dexia en 2008. Avec le succès dont on prend la mesure aujourd’hui. Car, non seulement Dexia a engrangé des actifs financiers de plus en plus pourris à cause de sa pratique démente, mais, en plus, elle s’est trouvée prise à son piège qu’elle avait tendu aux collectivités locales. En effet, celles-ci ont vu leurs dettes s’alourdir à cause de l’accroissement des charges d’intérêt. Quand les dettes s’accroissent et qu’elles risquent de ne jamais être honorées, alors le problème de l’emprunteur se transforme en problème du prêteur puisque celui-ci est obligé d’inscrire à l’actif de son bilan des créances qui ne valent plus rien ou presque. La presse d’aujourd’hui indique que les actifs financiers douteux de Dexia se monteraient à 95 milliards d’euros, peut-être même 200 milliards.

Alors quand on lit que Dexia est victime de la crise de la zone euro, sous-entendu de la crise des dettes publiques, on se dit que trop de choses ne tournent pas rond. Tant qu’à faire, si Dexia fait faillite, il n’y a qu’à dire que c’est de la faute aux enseignants ou aux infirmières qui coûtent de la dépense publique. Certains doivent le penser, j’écouterai l’éditorialiste de France inter demain matin à 7h20. Il est vrai que ces pauvres actionnaires de Dexia doivent avoir en ce moment quelques difficultés à vendre leurs actifs pourris.

La faute aux enseignants, vous dis-je ! La preuve en est d’ailleurs administrée par Françoise Fressoz dans Le Monde du 1er octobre 2011 (quelle mine, ce journal, quand même !) : « les prélèvements obligatoires absorbent plus de 43 % de la richesse nationale ». Je suis primaire, quand je lis le verbe « absorber », je crie : l’État, les collectivités locales, la Sécurité sociale n’« absorbent » rien, car leurs salariés créent de la richesse qui retourne à la collectivité (http://harribey.u-bordeaux4.fr/travaux/valeur/non-marchand-diplo.pdf).[3] Il faut que l’Institut Molinari relève de l’aphorisme de Michel Audiard : « les cons osent tout et c’est à ça qu’on les reconnaît » pour affirmer que les Français travaillent du 1er janvier au 26 juillet pour l’État et commencent seulement à travailler pour eux au-delà.

Comme j’ai décidé ce soir d’être primaire, voici un programme de nuit du 4 août à mettre en œuvre même avant le prochain 4 août :

 socialisons toutes les banques, sans indemnisation des actionnaires, pour en assurer le contrôle public démocratique et maîtriser l’émission de monnaie ;

 rétablissons le droit de créer de la monnaie de banque centrale pour des objectifs collectifs, et cela à tous les échelons qui se révéleront nécessaires (zone euro ou, à défaut, nation) ;

 réformons la fiscalité avec une progressivité de l’impôt sur le revenu pouvant aller jusqu’à un taux marginal supérieur de 100 %, dès l’instant où on considère que la hiérarchie des revenus ne devrait pas dépasser un écart décidé par la société : par exemple, pourquoi pas, 1 à 10.

Trois mesures simplement pour un 4 août ? Oui, c’est primaire, j’en conviens, mais c’est plus clair qu’aux… primaires…

[1] Voir Michel Cabannes, Les finances locales sur la paille ?, Le Bord de l’eau, 2011.

[2] Chiffres cités par Michel Cabannes.

[3] Voir Jean-Marie Harribey, « Les vertus oubliées de l’activité non marchande », Le Monde diplomatique, novembre 2008.

Cet article a été posté le Jeudi 6 octobre 2011

http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2011/10/06/programme-primaire/#more-234

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