Accueil > Ahmadinejad, le dernier des présidents

Ahmadinejad, le dernier des présidents

par Meir Javedanfar

Publie le vendredi 4 novembre 2011 par Meir Javedanfar - Open-Publishing

Note : Meir Javedanfar, Spécialiste du Moyen-Orient, il est né en Iran et possède aussi la nationalité israélienne. Il a publié The Nuclear Sphinx of Iran, éd. Basic Books, 2008, non traduit en français.

Depuis plusieurs mois, les deux têtes de l’exécutif iranien sont en désaccord constant. Le guide suprême Ali Khamenei, numéro un du régime, semble prêt à se débarrasser d’un encombrant numéro deux.

Le message de l’homme le plus puissant d’Iran était clair : le poste de président pourrait être aboli dans un avenir plus ou moins proche, auquel cas on recourrait au système parlementaire pour élire le gouvernement. “Il n’y aurait aucun problème à modifier la structure actuelle du régime”, a déclaré le guide suprême, Ali Khamenei, dans un discours prononcé le 16 octobre dans la ville de Kermanshah [ouest du pays]. Le différend qui oppose Ali Khamenei au président Mahmoud Ahmadinejad concerne leurs successions respectives. Le guide suprême prend l’affaire tellement au sérieux qu’il menace de supprimer la fonction même de président. Pour l’heure, il ne s’agit que d’une menace. Mais une menace qui ne peut être ignorée, surtout par M. Ahmadinejad.

Celui-ci ne pourra pas se représenter à la présidentielle quand son mandat expirera, en juin 2013, la Constitution iranienne limitant l’exercice à deux mandats consécutifs. Pour assurer sa succession, M. Ahmadinejad semble soutenir la candidature de son bras droit, Esfandiar Rahim Mashai. Sans doute espère-t-il qu’avec ce dernier à la présidence il pourra conserver un poste important au sein du cabinet – à l’instar de Vladimir Poutine dans le gouvernement de Dmitri Medvedev. Une fois que M. Mashai aurait rempli son mandat de quatre ans, M. Ahmadinejad pourrait profiter de sa notoriété pour briguer à nouveau la fonction. M. Mashai est un personnage controversé. De nombreux conservateurs sont furieux qu’il ait affirmé en public que le peuple d’Iran n’avait aucun problème avec celui d’Israël. La jalousie entre aussi en jeu. Peu après le mariage de sa fille avec le fils de M. Ahmadinejad [en 2008], la carrière politique de M. Mashai a décollé. Il est clair que, s’il se porte candidat à la présidentielle, M. Mashai déchaînera de véritables batailles rangées dans le monde politique iranien, conflits qui pourraient engendrer des violences. C’est la dernière chose dont Ali Khamenei aurait besoin, dans un régime déjà confronté à des sanctions [contre son programme nucléaire], à une myriade de problèmes économiques et à l’opposition du Mouvement vert [le mouvement de contestation qui a suivi la réélection d’Ahmadinejad, en juin 2009]. Le guide suprême ne veut pas que les conservateurs, qui représentent ses plus grands soutiens dans le monde politique de la République islamique, soient divisés par de sérieux conflits.

Mais Ali Khamenei [au pouvoir depuis 2005] est également préoccupé par sa propre succession. Depuis son accession aux fonctions de guide suprême, en 1989 [après avoir été président de 1981 à 1989], il a eu des relations difficiles avec ses deux premiers présidents, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani [président de 1989 à 1997] et Mohammad Khatami [président de 1997 à 2005]. M. Ahmadinejad est donc apparu comme un souffle d’air frais. Durant son premier mandat, il a été pour M. Khamenei ce que ce dernier était pour l’ayatollah Khomeyni lorsqu’il était président : un soldat enthousiaste et obéissant qui s’en remettait à son commandant. Mais cette période de grâce a pris fin au cours du second mandat de M. Ahmadinejad, quand celui-ci s’est montré très ambitieux. Il est difficile de dire pendant combien de temps encore M. Khamenei [qui serait très malade] sera numéro un du régime. Pour pouvoir finir tranquillement son mandat, il a peut-être décidé de ne plus exercer ses fonctions avec un président à ses côtés. Ce ne serait pas la première fois qu’il agirait ainsi. Lorsqu’il est devenu guide suprême, il ne s’est pas opposé à ce que le poste de Premier ministre soit aboli par un amendement de la Constitution.

Si son but est d’assurer la stabilité du régime, pourquoi ne pas se débarrasser du copilote pour assurer seul le gouvernement de la République islamique ? Après tout, les querelles avec le copilote peuvent nuire à la concentration et conduire au clash. Et, dans le nouveau régime, le majlis [Parlement, élu au suffrage universel] serait trop faible pour menacer la stabilité du régime.

Il se peut également que M. Khamenei prépare sa propre succession, car l’abolition du poste de président pourrait aussi avoir un impact sur le poste du prochain guide suprême du pays. Peut-être a-t-il déjà décidé que son fils Mojtaba lui succédera. Ali Khamenei a une moins grande légitimité que l’ayatollah Khomeyni, ce qui explique pourquoi il s’est senti menacé par ses numéros deux. Et Mojtaba Khamenei en aurait encore moins. Dans de telles conditions, il est vraiment tentant pour M. Khamenei de se demander pourquoi il devrait s’embarrasser d’un président.

http://www.courrierinternational.com/article/2011/11/03/ahmadinejad-le-dernier-des-presidents