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Israël, l’été des indignés, et après ?

par Patrick Caen

Publie le jeudi 10 novembre 2011 par Patrick Caen - Open-Publishing

Fin septembre 2011, Tel-Aviv.
Quelques dizaines de tentes restent encore installées sur le boulevard Rothschild, épicentre de la contestation qui a amené 500.000 personnes à manifester il y a trois semaines en plein cœur de la ville. A part cela Le quartier reprend son aspect antérieur, comme si rien ne s’était passé. La réalité est tout autre.

Tout ça pour un fromage

Tout a commencé par une histoire de fromage blanc trop cher. Il fallait bien un catalyseur à un mécontentement qui couvait déjà depuis des mois. Dans le journal Les Echos du 23 juin 2011 Catherine Dupeyron écrit : "Depuis une semaine, Israël est secoué par un débat passionné sur la hausse exorbitante du prix du « cottage cheese ». A l’origine de cette tempête, un appel au boycott des produits alimentaires, qui doit commencer en juillet par celui du « cottage cheese ». En quelques jours, un appel relayé sur Facebook par un internaute, Itzik Elrov, a réuni 100.000 signatures. Cet appel était motivé par sur la hausse exorbitante du prix du « cottage cheese », le fromage blanc à la base du petit-déjeuner israélien. Le sujet s’est presque aussitôt retrouvé à la une du plus grand quotidien israélien, le « Yediot Aharonot ». Et l’expression « révolution du cottage » a vite émergé alors que la hausse touche avant tout les plus pauvres.

Certains soulignent le caractère dérisoire de cette contestation comparée aux enjeux régionaux. Mais cette bataille est devenue celle des faibles contre les puissants, comme en Tunisie ou en Egypte. Et elle remet en cause certains fondements de la société, en l’occurrence le pouvoir du cartel laitier associé aux lobbys puissants des éleveurs et des kibboutz, deux groupes emblématiques du pays. Le secteur laitier est l’un des rares qui, en Israël, fait encore l’objet de fortes protections douanières. Or, le ministre des Finances, Youval Steinitz, menaçait de les lever pour ouvrir le secteur à la concurrence. La continuité de l’ultra libéralisme. C’est là le paradoxe de ce pays qui compte à la fois un taux de chômage l’un des plus bas des pays industrialisés, une croissance annuelle se situant entre 5 et 7% mais plus de 20% de la population vivant sous le seuil de pauvreté.

Les conséquences du libéralisme sauvage

Parallèlement à la révolte contre la flambée des prix des carburants et de l’appel au boycott de ce fameux fromage blanc lancé en juin, les tentes dressées en signe de protestation contre la politique du gouvernement en matière de logement (depuis la mi juillet des centaines d’étudiants ont installé des villages de tentes dans tout le pays) traduisent le malaise de la classe moyenne. Celle ci qui est la base de la société israélienne porte l‘essentiel le fardeau des obligations citoyennes vis-à-vis de l’Etat - travaillant, payant les impôts et servant dans l’armée. Depuis quelques années, la grogne grandit chez les membres de la classe moyenne, qui s’estiment, à juste titre, grands oubliés dans la distribution des ressources. Le premier ministre et le ministre des finances plastronnent sur des succès économiques engrangés par Israël pendant que l’Europe et les Etats-Unis s’enfoncent dans la crise financière.

Mais ce sont comme dans toute société capitaliste, ceux qui font partie de la petite minorité de la société placés tout en haut qui en recueillent les fruits, accédant, sans pratiquement mettre la main à la poche, aux logements et à l’éducation ainsi qu’à l’aide sociale. Comme partout, les richesses se concentrent de plus en plus entre les mains d’un tout petit groupe, qui exerce une influence politique toujours plus grande. Quatre grandes familles tiennent l’économie du pays.

Israël est l’un des pays au monde le plus ultra libéral. La vieille culture de l’état providence issue des différents gouvernements travaillistes a disparu depuis longtemps. Depuis l’arrivée de Begin aux élections de 1977, Shamir ensuite et enfin Sharon, les gouvernements successifs ont liquidé toutes les acquis sociaux en privatisant à tour de bras et surtout en finançant les programmes de colonisation et bien sur l’armée. A cela s’ajoute une corruption non négligeable qui profite toujours aux mêmes. Il est donc logique que la pauvreté cantonnée jusqu’à présent parmi les couches traditionnelles du sous prolétariat sépharade, éthiopien, yéménite ainsi que parmi les arabes israéliens déborde maintenant vers les franges non négligeables d’ashkénazes diplômés, bien intégrés mais dans l’incapacité de pouvoir vivre dans des ville comme Tel Aviv, Beersheva, Ashkelon, Haïfa ou Jérusalem ou la spéculation immobilière fait exploser les prix des loyers.
Shelly Dvir, avocate et mère de deux enfants, a pris la parole et dit : "Alors que "je gagne plus que la moyenne, j’ai de moins en moins. Chaque année mon salaire diminue (en raison des prix)", affirme-t-elle. Elle a évoqué sa participation à la manifestation des mères :

"Quelque chose peut changer, et quelque chose doit changer. Nous avons de bons boulots, nous avons eu des diplômes, nous nous sommes portés volontaires pour aider les autres, nous avons fait l’armée et les camps de jeunes, mais nous ne pouvons pas élever des enfants dans ce pays", explique-t-elle. "Si pour élever deux enfants en Israël cela coûte plus de 10000 shekels (environ 2000 euro) par mois, quelque chose doit changer", a poursuivi Dvir. "Nous ne sommes pas là pour pleurnicher, nous ne sommes pas là pour nous plaindre. Ce n’est pas le cri de gens gâtés, ni celui de gens qui veulent que le pays règle leurs problèmes. C’est le cri de personnes qui veulent être plus impliquées dans la manière dont leurs impôts sont dépensés."

L’ultralibéralisme, ici comme ailleurs a produit des dégâts considérables. Des années de martèlement médiatique et politique ont ancré dans les esprits qu’il est l’unique système viable pour les sociétés humaines. Comment haïr et renverser ce qui est la seule option ? A cet égard il faut noter les lamentables efforts des médias politiques israéliens pour maintenir à tout prix le débat autour du tout économique libéral comme seul ordre du jour acceptable. Le mot économie prononcé toutes les minutes dans tous les débats traduit la volonté de traiter toute la revendication dans cet unique cadre. Il s’agit, résume un des experts économistes (et ils sont à l’honneur), de revenir d’un libéralisme de monopole à un libéralisme de concurrence !
Shelly Yakhimovitch, représentante du parti travailliste en déroute depuis les dernières élections, explique que « riches comme nous sommes, arrivant en tête pour tous les critères de l’OCDE, nous avons les moyens de revenir à la social démocratie ». Quel programme !

Et en fait tout cela concorde : la dénonciation de l’ultra libéralisme est catégorique et radicale ; les gens qui s’expriment sur les places et devant les campements reprennent tous la litanie des privatisations, déréglementations et baisse de pouvoir d’achat ; mais ils disent aussi qu’ils ne veulent plus vivre ainsi, qu’ils veulent vivre autrement, et cela ne peut se résumer à des changements économiques. Le slogan majeur, absolu, est partout : le peuple veut la justice sociale. Partout le mot révolution est repris dans les manifestations. Les aspirations semblent être bien plus grandes que ce qui peut être exprimé.

Boulevard Rothschild, Tel-Aviv, septembre 2011

Le mouvement a surpris dans une société rendue muette et immobile par des années de passivité, de désintérêt et d’abandon pour tout ce qui relève de la chose publique, et c’est un véritable soulagement de réaliser que cette société est vivante et capable de secouer sa léthargie.

La société israélienne se mobilisait massivement depuis des années plutôt pour des commémorations comme lors de l’assassinat de Rabin, que pour des revendications. Les grandes manifestations revendicatives de ces dernières années, souligne Michel Warschawski de l’AIC, sont celles des colons et des orthodoxes à Jérusalem.

Une nouvelle dynamique dans un pays qui n’en avait plus depuis longtemps
La dynamique du changement s’est remise en marche. Tout le monde s’en réjouira, mais il ne faut pas aller trop vite. En effet au delà des revendications sociales énoncées contre la politique ultra libérale de Netanyahou, les conditions du changement ne font qu’à peine qu’émergées dans une société trop longtemps aliénée par l’idéologie dominante de la sécurité d’Israël et de son mythe de la forteresse assiégée où tout ce qui est arabe est perçu comme dangereux et tout ce qui ne l’est pas, le reste du monde, n’est pas digne de confiance. Néanmoins la graine est semée, le doute s’installe en lieu et place des certitudes. La population israélienne est aux premières loges pour observer le déroulement des révolutions arabes dont les revendications de départ n’étaient pas très éloignées des siennes.
Des comparaisons se font, quand bien même les conditions liées au contexte socio politique ne sont pas comparables.

Ce processus de changement s’accompagne aussi naturellement d’une crainte, celle de voir ce mouvement se déliter entre les radicaux comme Daphni Leaf et les "réalistes" comme Itzik Shmuli, président de l’Union nationale des étudiants, qui au final n’aura pas pu s’empêcher d’aller négocier avec Netanyahou qui régla le problème en créant la fameuse commission Trajtentberg, du nom du haut fonctionnaire qui rendra un rapport insipide.

Il y a aussi un autre élément non négligeable pouvant menacer de faire exploser le mouvement, cette sécurité nationale vécue comme la condition de la survie qui pèse comme une chape de plomb obligée et assumée par tous dans un consensus de béton depuis la fondation de l’Etat. Néanmoins il semblerait que cette fois la vieille recette consistant à instrumentaliser un événement dramatique pour casser un mouvement et jouer l’union sacrée patriotique n’a pas fonctionné. En effet, le samedi 3 septembre, à l’appel des organisateurs de la "Marche du million", au moins 500 000 manifestants se sont rassemblés dans les principales villes d’Israël, Tel-Aviv se taillant la part du lion avec 300 000 manifestants, écrit Ilan Lior dans le quotidien de centre gauche Ha’Aretz. "Le succès de cette manifestation prouve que les missiles tirés de la bande de Gaza ne sont pas parvenus à saper notre mouvement de protestation. De même, les esprits chagrins, qui nous avaient accusés de ne pas être solidaires des citoyens israéliens endeuillés par les attaques du mois d’août, ne sont pas parvenus à faire croire à cette fable et n’ont pas réussi à casser notre mouvement en le politisant ou en le divisant par des slogans politiques."

Impressionnante manifestation contre la vie chère et pour la justice sociale en Israël

Tout l’été, le mouvement a été sous-traité par une presse internationale plus attirée par l’initiative palestinienne souhaitant devenir le 194ème état. Le plus grand mouvement social de l’histoire d’Israël n’a pas eu la place qu’il aurait du avoir dans les médias internationaux. Idem au sein de la gauche européenne et américaine, le scepticisme est le même : comment une société capable de produire un gouvernement aussi réactionnaire et belliqueux pourrait-elle accoucher d’un mouvement progressiste susceptible de bouleverser les équilibres en Israël, mais aussi dans l’ensemble du Proche-Orient ?

Pour peu que l’on veuille examiner ce mouvement de plus près, le contraste entre les années 2000 et la période actuelle est saisissant. Pendant la guerre à Gaza de l’hiver 2008-2009, la plus importante manifestation pacifiste avait réuni 200 personnes, surveillées par un hélicoptère et quantité de policiers, rassemblées autant pour protester que pour ne pas se sentir trop seules. « Je me fâchais avec tout le monde, se souvient Matan, jeune syndicaliste de 31 ans. Tous mes amis ou presque me tournaient le dos dès que j’évoquais Gaza, c’était très dur, il n’y avait aucune communication possible. »
À écouter son aîné de vingt ans, l’activiste Eitan Bronstein, le climat a bien changé : « Aujourd’hui, il fait bon être activiste en Israël. À propos de l’économie, nous avions laissé ces questions de côté. L’explosion des privatisations dans les années 1990, tout le monde s’en fichait, à part quelques-uns, très minoritaires. Ce mouvement social a créé quelque chose de très nouveau. Sur Rothschild, dans le centre de Tel-Aviv, nous avons eu plusieurs discussions incroyables sur le devenir de ce pays après le sionisme. Cela aurait été inimaginable il y a seulement trois mois. »

« Une conscience politique est en train d’émerger en Israël »

« L’idée qui nous a réunis, c’est que l’actuel spectre politique israélien ne nous représente plus. » La veille, Matan a passé la nuit dans un commissariat, déterminé à soutenir une famille expulsée d’un immeuble squatté à Jérusalem-Ouest. Doctorant en histoire à l’Université de Tel-Aviv, membre de Tarabut – mouvement mêlant activistes arabes et juifs, et composante de Hadash, le parti communiste israélien –, Matan est également membre actif d’un nouveau syndicat, créé il y a quatre ans en opposition à la centrale historique, Histadrout, et qui compte plus de 8000 membres.

« Nous essayons de créer un nouveau cadre d’expression, qui nous permette enfin de nous battre contre ce régime agressif, explique-t-il. Notre syndicat, et le mouvement tout entier, font partie de ce combat. Les deux derniers mois en Israël montrent à quel point il existe une forte volonté chez les jeunes, chez les travailleurs, de changer la manière dont les ressources sont réparties. Au sein du mouvement des tentes, il y a une volonté de plus en plus grande de s’organiser. Cela se fait au niveau des quartiers, surtout sur la problématique du logement. »

Tel-Aviv, septembre 2011

« Ce mouvement a donné des bases politiques, économiques, à tant de gens, tant de jeunes, qui laissaient cela aux soi-disant experts, s’enthousiasme Eitan Bronstein. Ce néolibéralisme, qui nous tue tous, est enfin devenu la cible de ceux qui en souffrent. Il y a trois semaines, je me suis d’ailleurs rendu compte que, pour la première fois de ma vie, je me sentais fier d’être israélien. Cela ne m’était jamais arrivé auparavant. Il y a beaucoup de choses que j’aime ici, à commencer par cette ville incroyable qu’est Tel-Aviv. Mais le nom d’Israël est constamment associé à des choses terribles, non seulement contre les Palestiniens, mais aussi contre nous-mêmes. »
« Je ne veux pas donner l’impression d’être trop optimiste, mais je le suis, renchérit Matan. Je pense qu’il y a un véritable changement dans la manière dont chacun se positionne vis-à-vis du régime, et en particulier les classes populaires, qui adoptent une position antagoniste face au gouvernement. C’est indéniable : une conscience politique est en train d’émerger en Israël. »
À 37 ans, Noam Hofstadter milite depuis vingt ans dans tout ce qu’Israël compte d’associations opposées à l’occupation. C’est notamment un ancien pilier de B’Tselem, célèbre organisation qui travaille principalement dans les territoires occupés et publie régulièrement des rapports détaillés sur les effets et la progression de la colonisation en Cisjordanie.

Aujourd’hui plongé jusqu’au cou dans un mouvement dont il a accompagné l’émergence, il partage l’enthousiasme de Matan : « Je suis très optimiste : nous avons accompli beaucoup de choses avec ce mouvement. Ouvrir la question sociale à la société civile, vaincre le monopole exercé par la question sécuritaire. Cela faisait 63 ans que l’argument sécuritaire dominait tout ! C’est tellement abrutissant que les Israéliens sont tout ébaudis d’en être sortis, enfin, dans une certaine mesure. »

« Je suis très sensible au langage, complète Eitan Bronstein. D’habitude, toute organisation qui veut mobiliser ici s’appuie sur le nationalisme : ’’C’est notre terre sainte que nous défendons’’, etc. Pendant les dernières manifestations, les leaders n’ont pas utilisé cette rhétorique. Daphni Leaf, par exemple, la première qui a planté une tente sur Rothschild, tient un discours impeccable de ce point de vue. Jamais de rappel démagogique à l’holocauste, combien les Juifs ont souffert, etc. C’est un signe, j’y vois un espoir formidable pour Israël, aussi parce que cela vient des jeunes. »
Pour Noam, le changement de discours au niveau sécuritaire est déjà l’une des plus grandes réussites de ce mouvement : « Aujourd’hui, il n’est plus antipatriotique d’évoquer les questions sociales quand des roquettes tombent sur le sol israélien, estime-t-il. C’est le début d’un changement de mentalité. Chacun s’autorise à penser avec d’autres termes. Il est clair, même pour les Israéliens qui reçoivent ses missiles, qu’ils souffrent de problèmes sociaux importants : parce qu’ils habitent la périphérie ! Qu’ils sont discriminés et marginalisés, encore plus s’ils sont arabes ou bédouins. Mais tout ça est un processus, nous avons besoin de quelques années pour nous en sortir. »

Une question demeure : pourquoi la question du conflit avec les Palestiniens continue-t-elle d’être tenue à l’écart des revendications du mouvement ?

Le mouvement face au tabou de l’occupation

« Mon avis ne diffère pas de celui des médias dominants » : à 40 ans, Leor ne fait pas partie du petit monde des activistes marginalisés. Depuis la mi-juillet, il est cependant de toutes les manifestations. Informaticien, doctorant en biologie, « centriste » comme il se qualifie lui-même, mais en dehors des grosses machines électoralistes que sont Kadima ou le parti travailliste, son embarras dès que l’on aborde la question du conflit reflète celui de beaucoup de participants du mouvement social.

De la guerre et du blocus imposé à Gaza, il ne sait que penser : « Je ne sais pas ce qui se passerait si on le levait, confie-t-il. L’idée que l’on affame une population pour la contraindre à la modération, c’est ridicule, cela ne peut être qu’une idée de généraux qui ont beaucoup trop de pouvoir dans ce pays. Mais je constate que, depuis la guerre, il y a moins de roquettes qui nous tombent dessus. Cette question de Gaza est complexe, il faudrait que j’en sache plus sur la politique palestinienne interne pour trancher. »
Le principe de base des tenants du mouvement est très clair : ne pas mêler le conflit avec les Palestiniens aux revendications, de peur de fragiliser une base militante encore toute neuve. « Ce n’est pas tellement le conflit qui m’intéresse, que les questions internes à la société israélienne, lâche Leor. Je vais vous raconter une histoire : après la guerre de Kippour en 1973, il y avait un programme télévisé très populaire, qui s’appelait "Le lavage de cerveau". Je me souviens d’un sketch : deux politiciens entrent sur scène. L’un s’avance et dit : "Nous ne devons pas rendre les territoires !" Et tout le monde applaudit. L’autre s’avance et dit : "Nous devons rendre les territoires !", et tout le monde applaudit. Soudain, une toute jeune fille entre sur scène, tenant un petit morceau de pain. Elle est très pauvre. Les deux politiciens s’approchent d’elle, lui volent son pain et la chassent de la scène. Ils se partagent le pain, le mangent. Puis, l’un s’avance vers les spectateurs et hurle : "Nous ne devons pas rendre les territoires !"... Je crois que cette satire est très fidèle à ce qui se passe en Israël depuis sa création. »

Le cheminement intérieur qui l’a fait sortir de lui-même et participer activement au conflit est donc tout centré sur la société israélienne : « Depuis 1973, Israël subit un processus d’américanisation très profond, poursuit Leor. Nous sommes devenus un petit Etat des Etats-Unis d’Amérique, qui nous versent chaque année une subvention pour que cela continue. Notre culture est américaine, nous avons importé jusqu’aux inégalités sociales, l’absence de solidarité, et ce qui se passe en ce sens est bien plus important que toutes les questions de sécurité, et bien plus dangereux pour l’existence même de notre Etat. Les questions de sécurité, nous pouvons les résoudre assez facilement. Nous savons ce qu’il faut faire : évacuer la majeure partie des implantations de Cisjordanie. C’est simplement une question de volonté politique. »

Tous ne l’entendent pas ainsi. Fin juillet, plusieurs activistes arabes israéliens de Jaffa plantent une tente, en plein milieu de Rothschild, qu’ils baptisèrent la tente 1948. Dans un premier temps, ils mettent en place une exposition photo sur la situation en Cisjordanie, l’occupation de la terre par les colons israéliens, la souffrance quotidienne des Palestiniens qui y vivent. Puis ils organisent des débats sur des sujets tels que l’occupation, et sur les moyens de partager différemment la Palestine historique.

« Ils ont compris l’importance d’apporter ce message aux Israéliens juifs de Rothschild, glisse Eitan Bronstein, militant de Zochrot. Nous avons même eu une discussion sur la notion de pardon liée à la Nakba, avec les passants, c’était complètement nouveau, formidable. » Parmi eux, Mohamed Jabali, 31 ans, Palestinien israélien de Jaffa, admet avoir vécu « l’expérience politique de (sa) vie » cet été, en plein centre de Tel-Aviv.

Débattre de la Nakba sur Rothschild

Né il y a trente et un ans de cela à Taybeh (un village près de Tulkarem, mais situé en territoire israélien), traducteur, professeur d’arabe et d’hébreu, Mohammed travaille à Jaffa, le quartier historique de Tel-Aviv, à la mise en place d’une liste aux prochaines élections, qui mette en avant le droit des Palestiniens d’Israël au statut de minorité reconnue en tant que telle, avec ses besoins spécifiques en termes d’éducation en langue arabe, d’emploi ou de possibilité d’exercer leur culte.

« Si la communauté palestinienne de Jaffa est menacée par la gentrification de la ville, s’inquiète-t-il, elle ne le sera pas comme toutes les autres communautés : déménager signifiera la destruction totale de ce qui reste de la communauté palestinienne à Jaffa, car ils ne trouveront ni école en arabe, ni église, ni mosquée, dans les autres parties de Tel-Aviv. La menace pour eux n’est donc pas uniquement économique. »

Se joignant dès l’origine au mouvement de protestation qui s’étendait à toutes les villes d’Israël, Mohammed a participé à l’établissement d’un campement à Jaffa. Puis ils ont décidé d’aller plus loin. « Nous, c’est-à-dire le groupe d’activistes palestiniens et israéliens dont je fais partie, pensions qu’il serait regrettable que le mouvement social ne prenne pas en compte les problèmes politiques, qui sont le nerf de l’injustice sociale dans ce pays, explique-t-il. Nous avons donc dressé une tente au milieu de Rothschild, l’avons dénommée "1948", pour apporter un discours de changement de régime. Car l’injustice sociale a commencé, non pas avec ce gouvernement, mais en instituant cet Etat, en 1948. Nous avons rédigé un texte, activistes juifs et arabes, pour appeler à ce changement en faveur d’un régime qui représente tous les citoyens d’Israël, et non pas uniquement la partie juive de la population. »

Conclusion

Un mouvement qui commence par un simple boycott et qui débouche sur une prise de conscience collective, du jamais vu dans l’histoire d’Israël. De même qu’une manif rassemblant 500 000 personnes alors que le pays compte 7 millions d’habitants. Pareil pour des individus se mettant à échanger sur l’occupation, le sionisme et la colonisation. Ces éléments sont particulièrement significatifs pour un pays comme Israël qui vient de prouver qu’il existe autre chose que la loyauté sans faille à l’état et à sa politique et que des possibles sont envisageables tant pour dépasser le sionisme que pour combattre l’ultra libéralisme. L’histoire n’est pas finie.

Sources :

Pierre Puchot, journaliste à Médiapart. article du 23 septembre 2011.
Courrier international

Extrait du texte de Michèle Sibony : Sur la révolte des tentes, impressions Haïfa - 10 aout 2011. Site de l’UJFP

Journaux israéliens Ha’aretz juillet et septembre 2011, Jerusalem post et Maariv

Site de Anarchist against the wall

Patrick
octobre 2011