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1er mai : Journée de solidarité des travailleurs ou « fête du vrai travail » ?

par Vivian Petit

Publie le jeudi 26 avril 2012 par Vivian Petit - Open-Publishing
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Aux origines : La grève pour la journée de huit heures et sa répression.

En avril 1886 aux États-Unis, sous la pression ouvrière, plusieurs entreprises sont contraintes d’accorder la journée de huit heures à leurs salariés. Deux cent mille travailleurs peuvent ainsi bénéficier de cette réduction du temps de travail.
Le 1er mai de cette même année, la Fédération Américaine du Travail appelle à la grève pour exiger la généralisation de cette mesure. Le 3 mai, trois ouvriers qui manifestent devant leur usine sont assassinés par une milice patronale.
Le lendemain, plus de quinze mille ouvriers convergent vers Haymarket à Chicago pour protester contre l’assassinat de leurs camarades. Lors de la dispersion, alors qu’il ne reste que deux cent manifestants face aux policiers, une bombe dont on ignore la provenance explose, et tue sept agents de police. La police tire sur les manifestants, qui répliquent.

Prenant prétexte de ces événements, les autorités arrêtent plusieurs militants anarchistes, considérés comme les meneurs de la grève. Les accusés sont au nombre de huit, et la plupart ont pour point commun d’être récemment arrivés aux Etats-Unis : Georges Engel, Adolphe Fischer, Louis Lingg, Michel Schwab et Auguste Spies sont nés en Allemagne, et Samuel Fielden est né en Grande-Bretagne. Seul Oscar Neebe et Albert Parsons sont nés aux Etats-Unis.
Le 17 mai, les huits accusés sont condamnés à mort. Les peines de Michel Schwab, Samuel Fielden et Oscar Neebe seront commuées en des peines de prison. La classe ouvrière organisée dénonce une condamnation sans preuve, et voit dans ce verdit un jugement de classe.
Le 11 novembre 1887, Georges Engel, Adolphe Fischer, Oscar Neebe et Albert Parsons sont pendus. Quant à lui, Louis Ling s’est suicidé.

En 1893, John Altgeld, nouveau gouverneur de l’Illinois, innocente les condamnés : « Une telle férocité n’a pas de précédent dans l’Histoire. Je considère comme un devoir dans ces circonstances et pour les raisons ci-dessus exposées, d’agir conformément à ces conclusions et j’ordonne aujourd’hui, 26 juin 1893, qu’on mette en liberté sans condition Samuel Fielden, Oscar Neebe et Michel Schwab ». Georges Engel, Adolphe Fischer, Louis Lingg, Albert Parsons et Auguste Spies sont réhabilités.

La revendication de la journée de huit heures concerne évidemment les ouvrier des autres pays. En 1889, lors d’un congrès à Paris, la IIème Internationale (Socialiste) décide de « l’organisation d’une grande manifestation internationale en faveur de la réduction des heures de travail qui serait faite à une date fixe, la même pour tous ». Lors de la première édition en France, en 1891, l’armée tire sur la foule à Nies, dans le Nord. Neuf grévistes ne se relèveront pas : Un homme de trente ans, et huit jeunes âgés d’entre treize et vingt ans.
En 1894, de nouveau près de Chicago, deux manifestants sont assassinés …

La Journée Internationale des Travailleurs.

Le 1er mai 1906, la CGT, alors anarcho-syndicaliste, déclare « À partir du premier mai 1906, nous ne travaillerons que huit heures par jour. ». Malgré l’arrestation de nombreux syndicalistes, la grève générale a lieu. Cette journée de grève est renouvelée chaque année jusqu’en 1914, ce qui est dénoncé par certains anarchistes comme une manière pour les syndicats de garder le contrôle sur les luttes. En 1919, révoltés par la souffrance de la guerre, les travailleurs font du 1er mai l’une des plus grandes grèves de l’Histoire de France, et ce malgré l’interdiction de se rassembler faite par le gouvernement Clemenceau. Lors du défilé, les manifestants fraternisent avec les soldats et se battent contre les brigades centrales, qui font un mort et de nombreux blessés. La classe ouvrière obtient enfin la journée de huit heures.

La revendication à l’origine de cette journée internationale des travailleurs étant satisfaite, les ouvriers se mobilisent les années suivantes sur d’autres mots d’ordre, dont l’obtention des congés payés. La journée du 1er mai est pour les syndicats l’occasion de maintenir l’activité de l’organisation, et de faire connaître leurs mots d’ordre. A ce titre, les 1er mai 1936 et 1937, qui connurent un nombre très élevé de manifestants, resteront dans l’Histoire. Pour la masse des participants, cette journée est aussi l’occasion de se retrouver, d’avoir une idée des forces en présence, et parfois de tisser des liens de solidarité pour les luttes présentes et à venir. Comme l’écrit le socialiste libertaire Nestor Makhno en 1926, « En fait, le premier mai n’est pas un jour de fête pour les travailleurs. Non, les travailleurs ne doivent pas, ce jour là rester dans leurs ateliers ou dans les champs. Ce jour là, les travailleurs de tous pays doivent se réunir dans chaque village, dans chaque ville, pour organiser des réunions de masse, non pour fêter ce jour ainsi que le conçoivent les socialistes étatistes et en particulier les bolcheviks, mais pour faire le compte de leurs forces, pour déterminer les possibilités de lutte directe contre l’ordre pourri, lâche esclavagiste, fondé sur la violence et le mensonge. »

« Fête du Travail » et « Fête de Jeanne d’Arc » : Les premières tentatives de récupérations nationalistes du 1er mai.

Dans une perspective nationaliste hostile au mouvement ouvrier, le 24 avril, jour de la saint Philippe, Pétain décide de rendre férié le 1er mai. Pour remplacer les manifestations ouvrières dorénavant interdites, il met en place « la fête du Travail et de la Concorde sociale ». Le 1er mai, il déclare : « Le 1er mai a été, jusqu’ici, un symbole de division et de haine. Il sera désormais un symbole d’union et d’amitié, parce qu’il sera la fête du travail et des travailleurs. Le travail est le moyen le plus noble et le plus digne que nous ayons de devenir maître de notre sort. » L’églantine est remplacée par le muguet ...

L’appellation « Fête du travail » n’est cependant pas une invention de Pétain, puisqu’on la retrouve dès 1890 dans les discours de Jules Guesdes, ce socialiste à propos duquel Karl Marx répétait à Paul Lafargue « si c’est cela être marxiste, alors je ne suis pas marxiste ». Aussi, en 1947, sur la proposition du député Daniel Mayer (membre du PS) et avec l’accord du ministre du Travail Ambroise Croizat (membre du PCF), le 1er Mai devient dans toutes les entreprises publiques et privées un jour chômé et payé.

De 1954 à 1962, pendant la guerre d’Algérie, les manifestations sont interdites dans Paris, et il faudra attendre 1968 pour connaître un nouveau défilé du 1er mai. Celui du 1er mai 1975, qui célèbre la fin de la guerre du Vietnam, reste dans de nombreuses mémoires.

Le 24 avril 1988, au soir du premier tour de l’élection présidentielle, et quarante-sept ans jour pour jour après le discours de Philippe Pétain, Jean-Marie Le Pen déclare le 1er mai « fête du travail et de Jeanne d’Arc ». Dans l’imaginaire de l’extrême droite, Jeanne d’Arc représente en effet la résistance à l’invasion étrangère. Le collaborationniste Robert Brasillach, dont les poèmes sont souvent cités par Jean-Marie Le Pen, écrivait le 12 mai 1944 dans Je suis partout : « Jeanne appartient au nationalisme français dans ce qu’il a de plus réaliste, de plus profond et de plus attaché à la terre. ». Lors des élections présidentielles de 1988, 1995 et 2007, ces rassemblements ont été l’occasion pour Jean-Marie Le Pen de mettre en scène son appel à l’abstention ou au vote blanc pour le second tour.

Par ailleurs, si certain média dressent régulièrement un parallèle entre le défilé de l’extrême droite et celui de la classe ouvrière, il convient de rappeler que la « fête de Jeanne d’Arc » n’a jamais pu concurrencer la journée des travailleurs en nombre de participants. Il est important de rappeler que dans la dernière décennie, les manifestations du 1er mai qui ont eu le plus de succès sont celles de 2002, qui avaient pour but de « faire barrage à l’extrême droite » ...

La « Fête du vrai Travail » ou la misère du sarkozysme.

Cette année, comme les précédentes, la CGT, la CFDT, l’Unsa, la FSU, et Solidaires lancent un appel commun à défiler, notamment pour « l’emploi et les salaires ». Les partis de gauche et d’extrême gauche, ainsi que les organisations libertaires, se joindront bien sûr au défilé.

A l’opposé de cette démarche, ce 24 avril, soixante-et-onze ans jour pour jour après le discours de Pétain et vingt-quatre ans après celui de Le Pen, Sarkozy a appellé à faire du 1er mai « une fête du vrai travail ». Celui qui ose nommer « corps intermédiaires » les syndicats et les collectifs de lutte n’a pas non plus peur d’affirmer que « le travail libère », traduction exacte de l’inscription de l’entrée du camp d’Auschwitz ...

Tout comme lorsque son conseiller Henri Guaino affirme sans peur du ridicule qu’« il y aura la fête des permanents syndicaux et il y aura la fête des travailleurs », Sakozy condamne ceux qui luttent, comme il le disait clairement dans son discours du 22 avril à la Concorde : « J’ai donné rendez vous à la France qui affronte les difficultés d’la vie, sans jamais rien d’mander, parc’qu’elle a trop d’fierté. J’ai donné rendez-vous à la France qui souffre sans jamais se plaindre, parc’qu’elle a trop d’pudeur. J’ai donné rendez-vous à la France qui n’proteste pas, à la France qui n’casse pas (…) »

Le symbole du 1er mai est par ailleurs choisi pour attirer ceux qui ont voté pour le FN au premier tour la célébration du « vrai travail » visant la stigmatisation des « assistés » : le président sortant propose « de mettre en place une carte vitale biométrique et de conditionner l’obtention du RSA et du minimum vieillesse à dix ans de présence minimum sur le territoire. »

La définition du « vrai travail » donnée par Bruno Lemaire, ministre de l’Agriculture, est assez éloquente : « Le vrai travail, ça veut dire les gens qui prennent leur voiture le matin pour se rendre dans leur entreprise, leur usine, leur exploitation, qui travaillent toute la journée, rentrent le soir et ont encore mille choses à faire pour leur famille, pour eux-mêmes, pour gérer leur foyer. »

Le « vrai travail » serait donc l’application de la vision managériale à tous les pans de l’existence, la rencontre entre l’oikonomia (« administration du foyer » en grec ancien) et l’économie néo-libérale. Cette vision ne pourra pas être combattue sans nommer le projet totalitaire qui avance derrière les « valorisations de compétences » et autres « validations d’acquis » : la volonté de faire entrer toute activité dans une vision économique ...

Messages

  • Et je me dis, en voilà une belle occasion pour récupérer par la peur les voix que les français me refusent.
    Je suis le capitaine courageux qui est prêt à braver la tempête.
    Manque de chance, il n’y a pas de tempête. Mais je maîtrise certains éléments (pas tous malheureusement...) alors si je semais le vent et si je récoltais la tempête. Il suffit de faire souffler suffisamment fort le vent dans les rues pendant les manifs, j’ai des gens prêts à cela, on cogne on casse, bien sûr comme d’habitude de mon poste de commandement j’exhorte au calme et comme cela ne suffit pas, les vitrines sont cassèes, etc etc ... on a connu cela en 68, l’opinion se retourne comme une crêpe, ce sont les syndicats et les forces de gauche qui ont foutu le bordel ; il faut réprimer avec la bénédiction du front national.
    Les électeurs constatant ’’ la France forte’’ du capitaine courageux vont bien voter le 6 Mai. La paix sociale est sauvée. Et tout le monde en reprend pour au moins 5 ans.